Ce que François Hollande est vraiment allé chercher au Nigéria <!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande en visite au Nigéria.
François Hollande en visite au Nigéria.
©Reuters

Crocodile du Botswanga

Face aux actions de Boko Haram au Nigeria, les questions de sécurité ont largement occupé les deux jours de la visite de François Hollande dans le pays. L'occasion également pour la France de poursuivre le déploiement de sa diplomatie économique avec les pays les plus dynamiques du continent africain, tout en songeant à sa sécurité énergétique.

Philippe Hugon

Philippe Hugon

Philippe Hugon est directeur de recherche à l'IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), en charge de l'Afrique. Professeur émérite, agrégé de Sciences économiques à l'université Paris X, il vient de publier son dernier livre Afriques - Entre puissance et vulnérabilité (Armand Collin, août 2016). 

 

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Atlantico : Rares ont été les visites de chefs d’État français au Nigeria, la seule ayant été celle de Chirac en 1999. Quelles sont les motivations partagées de ce rapprochement entre Paris et Abuja ?

Philippe Hugon : Deux principales raisons peuvent expliquer ce rapprochement: premièrement, les questions sécuritaires, et notamment celles liées à la lutte contre le terrorisme et les djihadistes. Ce rapprochement, sur le plan militaire, du renseignement, etc, est favorisé par le fait qu'il y a moins d'opposition à la présence d'anciennes puissances coloniales en Afrique de l'Ouest.

La seconde raison réside dans le fait que le Nigeria constitue la première puissance d'Afrique de l'Ouest. Avec 170 millions d'habitants, le pays s'apprête à devenir le premier du continent africain en matière de PIB. Il s'agit, par ailleurs, d'un marché potentiel important. De plus, le Nigeria dispose de ressources pétrolières et gazières importantes. Face à ce marché, les possibilités pour les entreprises françaises sont significatives, d'autant plus que Paris met en place actuellement une diplomatie économique, c'est-à-dire un redéploiement de ses relations avec les parties de l'Afrique les plus dynamiques économiquement (Afrique australe, Afrique orientale et Afrique occidentale).

Une conférence internationale sur la sécurité, la paix et le développement en Afrique a lieu ce jeudi en marge de la visite de François Hollande. Celui-ci est le seul chef d’État occidental invité à cette conférence. La France confirme-t-elle son rôle de gendarme du continent africain ? Qu'attendent concrètement les chefs d’État africains de la part de la France ?

Dans son pré carré francophone, il faut reconnaître que la France est restée le gendarme de l'Afrique. Il s'agit de la seule puissance européenne à intervenir dès lors qu'il y un certaine nombre de situations conflictuelles. Les interventions françaises se cantonnent aux zones/pays où elle a pu étendre son influence.

Il convient de rappeler que les Etats-Unis se sont désengagés, en accord avec la France, de cette zone d'influence française en Afrique,  même s'ils continuent à intervenir au Soudan et en Éthiopie.

La présence de la France s'explique aussi par le fait qu'elle dispose de bases prépositionnées , parce qu'elle a une bonne connaissance du continent, en plus de sa très bonne compétence dans les forces spéciales et de renseignement. Il est donc évident que des pays comme le Nigeria ont besoin, pour lutter contre les djihadistes, pas simplement de l'appui américain qui est tout de même important, mais également du soutien d'autres puissances comme la France.

Comme le Mali et la Centrafrique, le Nigeria fait face aux fréquentes attaques et autres attentats de la part des fondamentalistes musulmans. Quelles comparaisons peuvent-être faites entre ces trois pays ? Le fondamentalisme musulman est-il le seul problème sécuritaire auquel doit faire face l'Afrique ?

Il s'agit là de trois situations différentes. Au Mali, on a assisté au développement d'AQMI, de mouvements djihadistes salafistes, et de mouvements Touaregs qui se réfèrent à un extrémisme religieux. Avec l'appui de forces africaines, la France s'est ainsi engagée dans la lutte contre ces réseaux, qui sont à la fois des réseaux religieux et mafieux. La distinction entre les deux est parfois difficile à faire.

Dans le cadre du Nigeria, la situation est différente. Boko Haram n'est pas dans le djihadiste international. La secte revendique un islam pur et dur pour le Nigeria, avec l'instauration de la Charia au Nord du pays. Boko Haram se veut aussi un mouvement anti-occidental, mais qui lutte essentiellement au sein du Nigeria. Il n'y a pas vraiment eu d'incursions dans d'autres pays de leur part, même s'il est probable qu'ils luttent en Centrafrique, tandis que des prises d'otages ayant eu lieu au Cameroun auraient impliqué la secte. Globalement, l'action de Boko Haram est tournée contre l’État et l'armée du Nigeria.

Quant à la Centrafrique, il s'agit de mouvements venus du Nord, soutenus vraisemblablement par le Tchad. Puis progressivement, des milices se sont constituées, les anti-balaka. Les enjeux initiaux étaient relatifs à la prise du pouvoir, au contrôle du commerce du diamant; on était donc loin des dimensions religieuses ou même ethniques actuelles.Une cristallisation sur ces deux dimensions a fini par se produire, mais sans qu'il y ait de mouvements djihadistes à l'œuvre. Ceci ne veut pas dire qu'il n'y aurait pas des membres de shebabs ou de Boko Haram qui agiraient en Centrafrique. L'enjeu réside beaucoup plus entre les différentes milices qui s'opposent et qui ont fini par prendre l'étendard de la religion pour se définir. Il pourrait y avoir un risque, si jamais la Centrafrique sombrait dans le chaos, pour que le pays devienne une terre d'accueil du djihadisme.


Récemment encore, François Hollande parlait de "sécurité de proximité" pour justifier l'intervention française en Centrafrique. Au regard de la nature de l'opération menée, s'agit-il là de la qualification la plus adaptée dans la mesure où celle-ci correspond davantage à une opération de police menée sur le plan intérieur ?

Cette expression renvoie au fait que les mouvements qui sont en train de se développer dans certaines régions africaines ont un impact sur l'Europe. On ne peut donc pas considérer que se soient uniquement des problèmes liés à la présence de la France par rapport à son ancien empire colonial. L'expression de "sécurité de proximité" est volontairement utilisée par la France, notamment vis-à-vis des partenaires européens qui se disent que ces affaires ne les concernent pas en raison notamment de la distance géographique, et du poids de la Françafrique, etc. La position française, elle, est la suivante: s'il y a des zones de chaos en Afrique, l'Europe ne pourra pas en sortir indemne. Les conséquences pourraient être la remise en cause des intérêts économiques de l'Europe en Afrique. C'est donc à l'échelle européenne qu'il convient d'entendre l'expression de "sécurité de proximité".

Lors de la Conférence de Paris en décembre dernier, François Hollande avait affirmé que "la France et l'Union européenne veulent être des partenaires dans le développement, par l'Afrique, de ses propres ressources en matière de sécurité". Concrètement, comment cela pourrait-il se traduire ? Quel intérêt pour la France de voir l'Afrique devenir autonome en matière de sécurité et de défense ?

La communauté internationale en général, et l'Europe et la France en particulier, voudraient que les problèmes de sécurité africaine soient pris en charge par les Africains. C'est pour cette raison que l'UE ne veut pas intervenir directement, mais préfère financer ce que l'on appelle les "Forces africaines en attente", mais également la formation de militaires africains, renforcer les forces régionales africaines, etc.

Le problème, c'est que l'on observe très nettement la criante défaillance des armées nationales africaines, mais aussi celle des forces régionales qui n'ont pas d'unité de commandement, qui sont mal équipées, etc. De fait, la France, en premier lieu, et un peu l'Europe et les Casques bleus, voient bien que la sécurité présuppose des interventions militaires qui ne soient pas le fait des seuls Africains. Il y a donc convergence d'objectifs de la part de la France et de l'Europe, même si cette dernière est plus réticente pour ce qui est des interventions directes; l'Europe a bien conscience néanmoins de la faiblesse des interventions africaines.

Le Nigeria est un important pays producteur de pétrole. L'aspect énergétique fait-il aussi partie du schéma diplomatique actuel mis en œuvre par la France en Afrique ?

Cela est évident. Comme l'Europe, la France a besoin d'une sécurité énergétique en hydrocarbures, pétrole et gaz. Actuellement, le Nigeria est le premier pays africain producteur de pétrole et de gaz. Beaucoup de projets de gazoducs et d'oléoducs, en vue d'approvisionner l'Europe, sont en cours. Dans les relations existantes entre la France et le Nigeria, il n'y a pas seulement la volonté de trouver des marchés pour les opérateurs français dans le domaine agroalimentaire, de la distribution, des télécommunications, etc. Il y aussi la volonté d'accéder à une sécurité énergétique et de diversification des partenaires dans ce domaine.

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