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Ce défi vertigineux que nous pose la loi de Moore : si les capacités de stockage continuent à croître de manière exponentielle, les appareils électroniques consommeront la moitié de l’énergie mondiale d’ici 20 ans
©Reuters

Danger

Une étude menée par Nicola Spalding, chercheuse à l'université de Zurich prédit que le développement technologique suivant le principe général de la loi de Moore entraînera une hausse colossale des coûts énergétiques nécessaires au bon fonctionnement des technologies en question. Elles pourraient épuiser d'ici 20 ans la moitié de l'énergie produite au niveau mondial.

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

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Atlantico : Loi de Moore oblige, la pollution énergétique qu'entraîne l'utilisation des appareils électroniques a déjà dépassé celle du trafic aérien mondial. Au rythme de développement actuel des technologies de manière générale et des technologies de stockage, une étude menée par Nicola Spalding, chercheuse à l'université de Zurich, prédit que ces mêmes équipements épuiseront la moitié de l'énergie produite au niveau mondial d'ici 20 ans.  Aujourd'hui, quelles options sont à l'étude pour éviter que ce scénario ne se concrétise ?

Stephan Silvestre :Tout d’abord, il convient de distinguer l’énergie électrique des deux autres usages de l’énergie, la motricité et le chauffage. Sur le bilan énergétique global, il n’est pas envisageable que la moitié soit consacrée à l’électronique, mais sur l’électricité, oui. Ensuite, la loi de Moore, qui décrit un doublement de la puissance informatique tous les 18 mois environ, ne s’applique pas continûment sur de longues périodes. La technologie informatique passe par des ruptures technologiques qui permettent d’accroître les capacités de calcul sans passer par une simple multiplication des puces électroniques (typiquement le nombre de transistors par millimètre carré). On peut citer, par exemple, les transmissions sur fibre optique à la place des câbles à cuivre, la miniaturisation des composants ou encore les mémoires flash. Ainsi, un smartphone moderne a une capacité de calcul équivalente à celle du fameux supercalculateur Cray-2 de la fin des années 1980 (près de 2 Gflops), tout en consommant infiniment moins de courant. D’autres ruptures sont encore attendues à l’avenir : par exemple, la spintronique (on parle aussi d’ordinateurs quantiques), qui permet d’utiliser une propriété quantique des électrons (le spin), qui offre beaucoup plus d’états possible que le bipôle 1-0 et permettra de démultiplier des capacités de calcul. Les chercheurs travaillent aussi sur des ordinateurs tout-optiques, qui devraient offrir le même gain de puissance qu’a apporté la fibre optique par rapport au câble de cuivre. Enfin, de nouveaux matériaux permettront d’améliorer la gestion thermique de l’électronique. Il s’agit là d’un enjeu fondamental car la majeure partie de la puissance électrique est dissipée sous forme de chaleur plutôt que de servir au traitement des informations (c’est le fameux effet Joule). C’est la raison pour laquelle plusieurs géants de l’informatique (les GAFA) ont placé leurs datacenters géants dans des zones polaires comme le Groenland.

Ne faudrait-il pas penser à un nouveau management des ressources? Réfléchir à des systèmes résilients où améliorer les process de recyclage ?  

Il est certain que le modèle de développement exponentiel, tel que celui de Moore, n’est pas tenable indéfiniment. Il existe trois réponses à cette question, qui devront se combiner. La première découle des observations précédentes, à savoir que les sauts technologiques permettent à l’humanité de maintenir ses besoins croissants en stockage et traitement de l’information sans –trop- démultiplier ses besoins en matières premières et en énergie. Le second axe réside dans l’accentuation des efforts pour minimiser les besoins de nos systèmes : baisse de l’intensité énergétique, amélioration de la durée de vie des appareils (qui tendent à devenir des consommables) ou augmentation des taux de recyclage des nombreux métaux qui composent nos équipements modernes. En effet, un smartphone moderne utilise plus de 40 métaux, dont certains sont rares, comme l’yttrium, le tantale, le ruthénium ou encore le bismuth. Or, ces métaux pâtissent de taux de recyclage très faibles, voire ridicules. Les grands pays consommateurs cherchent déjà à promouvoir le recyclage(1), mais cette option bute sur les coûts élevés qui la rendent nettement moins compétitive que l’extraction minière. Cependant, le troisième axe reste le plus important : il s’agit de la démographie. Tant que la démographie mondiale sera croissante, il est illusoire d’espérer une baisse de la consommation en équipements électroniques. Il existe un peu d’espoir en la matière : la démographie humaine devrait se stabiliser, puis baisser avant la fin du XXIe siècle, mais cela laisse devant nous encore plusieurs décennies de croissance des besoins. 

Est-ce que le développement des énergies propres permettrait d'assumer ces dépenses énergétiques à venir ?

Le développement des énergies propres (c’est-à-dire autres que les hydrocarbures) est, bien entendu, souhaitable pour minimiser l’impact de l’homme sur l’environnement, en particulier pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Cependant, ces ressources, même renouvelables, ne signifient pas une baisse de la consommation. Certaines d’entre elles sont même gourmandes en métaux rares, comme les éoliennes ou les panneaux photovoltaïques. Pour réduire la consommation, il faut agir sur les performances des équipements et sur leurs durées de vie à l’usage. Des appareils conçus pour deux ans de fonctionnement ne sont pas raisonnables dans cette perspective. 

(1)Voir, par exemple, le rapport Metal Recycling, Opportunities, Limits, Infrastructures du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, 2009. 

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