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Le nouveau président de la Commission européenne
Le nouveau président de la Commission européenne
©Reuters

Peut mieux faire

Adoubé par les vingt-huit en décembre dernier, et porté par la Commission européenne, le plan Juncker devrait être mis en place au cours de l'année 2015. Destiné à attirer des investisseurs privés vers de grands projets d'infrastructures, les Etats membres rechignent à mettre la main au portefeuille pour le financer. Et pour cause : son équation financière semble difficile.

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme est professeur émérite à l'Université de Paris XII, il a fait ses études à HEC, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Paris, à l'Université Harvard, ainsi qu'à l'Institut d'Etudes Politique de Paris. 

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Vous voulez des investissements ? Eh bien en voilà, la fée Europe, d’un coup de baguette magique, met sur la table 315 milliards d’euros qui vont créer des millions d’emplois à court terme et des milliards de richesses à moyen terme. Adieu impôts écrasants, dette menaçante, chômage éprouvant ; ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. La réalité économique est malheureusement bien différente de ce discours politique.

On connaît deux grands types d’investissements. Les investissements privés dans des activités rentables, financés par le secteur privé sous forme d’actions, d’obligations ou d’emprunts. Les investissements publics dans des activités non rentables mais très désirables, financés par l’impôt ou la dette publique. On a aussi accessoirement quelques investissements en partenariat public-privé, comme par exemple les autoroutes payantes, publics par la décision, et privés par la réalisation ou le financement. Le plan Juncker vise des investissements d’un autre type, inédit: non rentables, et cependant financés par le secteur privé.

Non rentables. Les propositions de la France au Plan Juncker se concentrent sur trois « axes » : la rénovation du système ferroviaire; la « régénération de 200 quartiers populaires parmi les plus dégradés » ; et les prêts aux PME qui investissent dans la robotique. Des investissements dans ces trois secteurs sont sans doute très souhaitables socialement. Mais ils ne sont guère rentables financièrement. Les dépenses du système ferroviaire français sont couvertes à 50% seulement par les paiements des usagers (les seuls salaires de la SNCF sont du même ordre de grandeur que ces paiements : tout le reste est à la charge du contribuable). C’est peut-être très bien ainsi, mais cela n’en fait pas un secteur rentable. De la même façon, détruire des barres de béton et les remplacer par de coquets et confortables pavillons agrémentés de piscines et de salles de spectacle, bravo, mais ce ne sont pas les loyers des HLM qui permettront de rembourser ces investissements-là. Quant à la robotique dans les PME, elle doit être rentable dans certains cas, et n’a alors guère besoin de ce détour par Bruxelles, et pas rentable dans beaucoup d’autres. Pour l’essentiel, les investissements du plan Juncker sont des investissements publics non rentables.

Financés par le privé. Cependant le plan prévoit de faire financer 93% de ces investissements par le secteur privé. L’Union Européenne n’envisage pas du tout de sortir 315 milliards d’on ne sait quelle poche, mais de créer un fonds spécial de seulement 21 milliards (comme si la Banque Européenne d’Investissement ne pouvait pas faire l’affaire). Et encore, les pays membres sont extrêmement réticents à donner ces 21 milliards, même en paroles. Les 294 autres milliards viendront, nous assure-t-on, du secteur privé.

C’est là que le bât blesse. Par quel miracle le secteur financier, souvent accusé de rechigner à financer des projets rentables, se jetterait-il ainsi sur des projets non rentables ? Parce que, veut-on nous faire croire, ces 21 milliards exerceront un effet de levier, un effet multiplicateur. Ce sont les noms donnés à la baguette magique de M. Juncker. En réalité, l’Union Européenne pourra bien payer (ou prêter) 7% des investissements supplémentaires de la SNCF ou de la rénovation des quartiers, cela ne suffira évidemment pas à rendre de tels projets rentables - et attractifs - pour le secteur privé. La référence aux ratios fonds propres sur prêts imposés aux banques (ratios voisins de 7%) n’est pas un argument recevable : elle s’applique aux prêts que les banques estiment rentables.

De deux choses l’une. Ou bien les investissements promis à grands sons de trompes sont des investissements rentables, et il y a bien assez de banques et de fonds en Europe et en France pour les financer ; dans ce cas le fonds Juncker ne servira à rien. Ou bien il s’agit d’investissements non-rentables que le secteur public ne peut hélas pas financer, et le secteur privé ne voudra certainement pas s’y engager; dans ce cas aussi le plan Juncker sera inutile.

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