Ce calcul politique qui se cache derrière le baroud d’honneur de Jens Weidmann, le patron démissionnaire de la Bundesbank <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président de la Banque centrale allemande (Bundesbank) Jens Weidmann assiste à une conférence de presse à l'issue d'un sommet des ministres des Finances du G7, le 13 mai 2017, à Bari
Le président de la Banque centrale allemande (Bundesbank) Jens Weidmann assiste à une conférence de presse à l'issue d'un sommet des ministres des Finances du G7, le 13 mai 2017, à Bari
©ALBERTO PIZZOLI / AFP

Départ surprise

Jens Weidmann a annoncé le mercredi 20 octobre qu’il quitterait ses fonctions en fin d’année, après dix ans à la tête de la Banque centrale allemande. Le nouveau gouvernement allemand devra donc nommer le prochain président de la Bundesbank.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Le Président de la Banque centrale allemande démissionne, parce qu’il a perdu la bataille théorique. Il joue sa dernière carte, politique

Coup de tonnerre si l’on veut, montée d’une discorde ou aveu de défaite ? Ce 20 octobre, Jens Weidmann, le Président de la Banque centrale allemande (la BUBA) annonce que, "pour des raisons personnelles", il quittera ses fonctions le 31 décembre. C’est donc bien avant la fin de son second mandat, qui aurait dû s'achever en 2027. « Pour des raisons personnelles » bien sûr, après 10 ans, ce qui ne l’empêche pas d’écrire qu’à l'avenir, il sera « crucial (...) de ne pas considérer seulement les risques de déflation, mais aussi de ne pas perdre de vue les risques d'inflation potentiels ». Ces risques, selon lui, appellent à une politique monétaire plus restrictive. La politique monétaire devra en outre « respecter son mandat étroit et ne pas se laisser entraîner par la politique budgétaire ou les marchés ». « Etroit », c’est en effet l’idée que le patron de la BUBA se fait du mandat de la BCE : l’inflation à 2% à moyen terme.

Partir « pour des raisons personnelles » ou pour peser pour le choix de son successeur ? Rien, en effet, ne pouvait motiver son départ, au moment même où l’inflation remonte (sauf maladie, ou juteuse proposition), sauf si le départ d’Angela Merkel lui offre la possibilité d’un successeur aussi strict que lui, lié certes à une Chancellerie de gauche mais qui cherche des alliances ! On parle en effet, avec Olaf Scholz comme Chancelier et des alliés idéologiquement proches, d’un ministre des finances FDP bien plus strict, comme Christian Linder. Ce « départ » serait-il son dernier essai conservateur ?

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De fait, en dix ans, la seule concession visible de Jens Weidmann est qu’il faut tenir compte des risques de déflation pour retenir un « objectif symétrique d’inflation ». Il sera au-dessus de 2% s’il a été (fortement) au-dessous, de manière à atteindre le célèbre « 2% d’inflation à moyen terme ». La déflation est en effet à la porte, avec la crise des dettes publiques à partir de 2012, puis avec la pandémie de 2019/2020. La prise en compte de ce risque lui permet d’expliquer son accord, il y a quelques mois, sur la nouvelle stratégie de la BCE, plus ouverte. Ce sera le seul « oui » de ce « Monsieur non sur tout », comme (dit-on) Mario Draghi l’aurait nommé.

Outre ce point, Jens Weidmann et la BUBA ont été hostiles à toutes les évolutions de la BCE et ils ont toujours perdu. Ils n’ont jamais dirigé la BCE et vu leur pouvoir se retreindre : Weber, Issing. Issing était le patron de la doctrine, directement venu la BUBA. C’était un monétariste strict : pour lui, la monnaie crée l’inflation. Il faut la surveiller et il parle le premier aux réunions du Conseil de la BCE, sous présidence de Jean-Claude Trichet et il pèse. Issing parti, finie l’école germanique avec le Belge  Peter Praet, puis l’Irlandais Philip Lane. Axel Weber le patron de la BUBA qui devait prendre le poste de président a dû démissionner, face aux oppositions politiques que suscitait sa candidature, pour laisser la place à l’italien Draghi !

On ne compte plus les autres échecs de Jens Weidmann. Citons-en 5.Forward guidance, avec l’idée que la BCE allait dire ce qu’elle comptait faire dans les mois à venir, jusqu’à 18 mois, c’est là une rupture avec le célèbre « we do not pre-commit » de Jean-Claude Trichet où la BCE ne disait pas ce qu’elle allait faire d’une fois à l’autre. Quantitative easing, où la BCE serait accusée jusque devant la Cour suprême allemande, de financement monétaire puis, encore maintenant d’action disproportionnée, entendons trop en défaveur de l’Allemagne au bénéfice des « autres » ? Il a perdu dans les opérations d’endettement massif de la Commission européenne NEXT EU et FIT for 55, qui vont obliger la BCE à prolonger sa politique de taux bas. Perdu sur l’intégration des préoccupations écologiques dans la politique monétaire, alors que le patronat allemand en veut plus. En théorie, la politique monétaire de la BUBA ne veut favoriser une activité et orienter une « politique industrielle ». Il a surtout perdu dans la modernisation du système bancaire allemand, pléthorique et sous efficace, que les taux bas de  la BCE font souffrir et forcent à se concentrer. Et oublions l’interview où Jens Weidmann expliquait le Covid-19 serait une simple et rapide crise en V !

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La BUBA, plus profondément, n’a pas pensé l’euro, qui n’est pas un gros mark. Elle n’a pas intégré ce qu’implique l’euro en termes de concentrations et de polarisation des richesses dans une zone élargie et sans risque de change, dans un monde de lutte des grandes monnaies : dollar, euro et bientôt yuan. Et Jens Weidmann n’a jamais dit que l’euro avait été une bénédiction pour l’industrie allemande en le sous-évaluant par rapport au mark, et pourtant !

Jens Weidmann s’en va « pour raisons personnelles », mais peut-être pas que cela. La BUBA a perdu une bonne part de son pouvoir, avec son ancienne boussole mono-monétariste.« Ne pas se laisser entraîner par la politique budgétaire ou les marchés » dit-il. On comprend « par la politique »  et « par les marchés », ces deux ennemis de la BUBA. Il faut au contraire souhaiter que la BUBA aide à la mondialisation et à la modernisation de l’euro, en pleine révolution technologique et crise géopolitique mondiale, pas en freinant ou en refusant. Je sais : c’est plus compliqué.

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