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Catalogne : ce nouveau modèle national que devra inventer l’Espagne si elle veut rester unie
©PAU BARRENA / AFP

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D’après le journaliste et intellectuel espagnol Josep Carles Laínez, grand connaisseur de la vie politique espagnole et ancien éditorialiste de la revue philosophique Debats puis de plusieurs blogs politiques espagnols, le président du Conseil espagnol, Mariano Rajoy, a perdu la bataille médiatique et internationale autour de la question de l’ouverture des collèges électoraux à l’occasion du référendum catalan sur l’indépendance, le 1er octobre 2017.

Josep Carles  Laínez

Josep Carles Laínez

Josep Carles Laínez est un écrivain, critique littéraire et chroniqueur. Il vit entre Valencia (Espagne) et la Principauté d’Andorre. Il écrit surtout en Catalan et Espagnol.

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En niant la gravité des faits et en ayant pas su adopter une stratégie anticipatrice adaptée, équilibrée et efficace, Mariano Rajoy a subi une vraie défaite le 1er Octobre, bien qu’il ne semble pas encore avoir compris la portée de cet évènement...

La nouvelle s’est répandue tôt le matin du 1er Octobre : dans de différents villages de Catalogne, les voisins et citoyens lambda catalans ont bloqué les rues avec des tracteurs. Le message médiatique et politique de cette « résistance asymétrique » de la part du peuple catalan dont le cœur sociologique se situe dans les zones rurales et les villages et petites villes,  a eu une portée extraordinaire, mais l’Etat espagnol et le gouvernement espagnol n’avait pas pris la mesure de l’efficacité et de la légitimité de pareille résistance « du faible au fort » qui a suscité l’émotion du monde entier et même de citoyens espagnols non-catalans et pas seulement dans les régions marquées par d’autres « nationalismes » régionalistes comme le pays basque et la Galicie. Le fait accompli a saisi d’effroi la majorité des Espagnols, littéralement sidérés, car ce même élan séparatiste s’est étendu dans toute la région de Catalogne, de façon fulgurante, avec des militants partout sur les places, non plus seulement pour lutter en faveur de l’indépendance de la Catalogne, mais simplement pour affirmer leur « droit à voter », pour faire face à l’État désormais considéré comme une « force d’occupation » oppressive qui empêcherait la tenue d’une « élection démocratique ». La boucle était déjà bouclée, et le piège rhétorique et médiatique tendu par les séparatistes catalans sur l’exécutif espagnol était déjà flagrant et victorieux.

C’est donc le peuple catalan, dépourvu d’urnes, de bulletins de votes et d’enveloppes, qui a réussi à renverser la signification même d’un referendum, lequel a été seulement « suspendu » par la Cour constitutionnelle, d’un point de vue officiel, et pas réellement interdit, fût-il en dehors de la légalité. Par ailleurs, le Gouvernement de Mariano Rajoy a étonnement laissé faire les séparatistes et n’a pas réussi à faire fermer les bureaux de vote illégaux en faisant confiance à la police catalane (Mossos de Escuadra) puis en ratant le travail d’intelligence en amont, toujours en pêchant par manque de réalisme et par refus de prendre la mesure de la situation en Catalogne, dans une logique de déni de réalité.

Ainsi, de manière aussi simple qu’insoupçonnée, le peuple de Catalogne a fait littéralement tomber le Gouvernement espagnol, qui n’a pas pris la mesure réelle des faits, et dont la vice-présidente, Soraya Sáenz de Santamaría, a persisté à affirmer jusqu’au jour, à la stupéfaction de ceux qui l’écoutaient, que le referendum n’aurait pas eu lieu... Et je suis quasiment sûr qu’elle n’a pas lu jamais Jean Baudrillard

Il est clair que le Président du Conseil espagnol, Mariano Rajoy, n’a pas su, et à aucun moment, contrôler une situation qui était rendue de plus en plus compliquée au fil des jours, ceci surtout lorsque le nombre de blessés par la répression de la police espagnole centrale a augmenté et a éclaté au grand jour, au grand bénéfice des Catalanistes posés en victimes avec les médias du monde entier comme témoins.

Sa tactique, qui consistait à faire comme si ces choses graves ne se produisaient pas - s’est effondrée d’un coup en Catalogne en se heurtant au principe de réalité.

Ainsi, la première erreur stratégique de Mariano Rajoy a été de ne faire les choses qu’à moitié, en appliquant pas totalement la loi espagnole en vigueur, contre le Président catalan, Carles Puigdemont, qui aurait pu être arrêté lorsqu’il était encore temps. D’évidence, cette retenue des autorités espagnoles doit beaucoup à la peur de Rajoy de déplaire trop aux médias et à l’opposition qui risquaient de « mal réagir ». Rajoy n’a donc pas su et n’a pas pu être conséquent avec ce que son propre Gouvernement affirmait : si le référendum n’avait réellement pas eu lieu, en croyant à tort que les bureaux de vote avaient été fermés, alors pourquoi envoyer des milliers de policiers et de gardes civils (Guardia civil) en risquant de créer des craintes injustifiées ?

D’après le gouvernement espagnol, tout ce qui se passait en Catalogne n’aurait été qu’un « grand cirque », selon les mots du Ministre de l’intérieur, Juan Ignacio Zoido. Mais dans ce cas, pourquoi lui avoir donné tant d’importance ?

La crise de Catalogne va entraîner des conséquences très graves et il sera très difficile dans le futur de l’Espagne, de trouver une solution d’ajustement. Les peuples catalans et espagnols qui composent le Royaume d’Espagne partagent certes environ 500 années d’histoire commune, ce qui n’est pas rien, mais on ne peut nier qu’un réel problème de cohésion national existe aujourd’hui, et depuis des années. Ce problème ne pourra pas être réglé facilement. Bien au contraire, tout indique qu’il est en train de s’enkyster.

L’histoire pèse de tout son poids dans cette affaire, mais malheureusement, aucun Gouvernement de Madrid n’a jamais voulu admettre réellement que les territoires de l’ancienne Couronne d’Aragon, dont la Catalogne faisait partie et prétend avoir joué un rôle de protagoniste et de moteur, ne sont pas des pays qui ont été vaincus par la force des armes, mais de vieux Etats-nations souverains dotés de nombreuses caractéristiques propres, culturelles et politiques. Or Madrid a toujours voulu se comporter comme Paris en France, un centre qui commande une périphérie, puis elle a toujours voulu imposer en Espagne un modèle politique comme celui de la France.

D’après moi, il est très triste, en tant que citoyen espagnol valencien de culture proche du catalan (le valencian est la même langue que le catalan) que l’Espagne n’ait jamais su imaginer pour ce pays composite un destin comparable à celui de la Suisse, lequel conviendrait bien mieux aux peuples – si différents – qui composent la péninsule ibérique.

Hélas, le pire dans cette crise, c’est que le temps dévolu au changement et qui aurait pu être utiliser pour adapter le modèle actuel à pareil modèle suisse, plus souple, semble s’être déjà écoulé. La possibilité de rectifier la situation semble de plus en plus mince, même s’il est indéniable que le devoir de tous les Espagnols bâtir une nouvelle Espagne est impérieux. Le referendum – certes illégal – aurait pu être une occasion de créer les conditions visant à permettre l’éclosion d’un projet national ou plurinational différent. La conclusion terrible est que si Madrid persiste à refuser de se rendre compte de cela et d’en tirer les conséquences, l’Espagne risque tout simplement de mourir et sera détruite par ceux qui affirment l’aimer le plus….

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