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Cannabis et déclenchement de schizophrénie : la bombe à retardement de la Super Skunk
©ULISES RUIZ / AFP

Danger

Alors depuis l'arrivée des catégories de cannabis, skunk ou superskunk à la fin des années 90, plusieurs études montrent les risques de maladies mentales liées à la consommation de ces nouvelles variétés.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Alors que depuis l'arrivée des catégories de cannabis, skunk ou superskunk à la fin des années 90, plusieurs études avaient pu montrer les risques de maladies mentales liées à la consommation de ces nouvelles variétés, des psychiatres britanniques mettent aujourd'hui en cause ces produits pour des cas de psychose, de délires paranoïaques et de schizophrénie. Comment expliquer de tels effets ?

Le chanvre indien ou Cannabis indica est une plante herbacée annuelle à tige droite, proche du chanvre commun ou Cannabis sativa, qui est quant à lui utilisé pour fabriquer la fibre textile de chanvre. Car le premier est riche en tétrahydrocannabinol (THC), alors que le second n'en renferme que des traces. Les principaux synonymes du chanvre indien ou "cannabis" sont le haschisch (mot d'origine arabe), l'herbe, la marijuana (mot d'origine espagnole), la marie-jeanne ou encore le shit. En réalité, ces synonymes ne sont pas strictement équivalents, car chacun d'eux est fréquemment associé à un mode de préparation particulier, réalisé à partir de la plante brute. C'est ainsi que les termes d'herbe, de marijuana et de marie-jeanne sont plutôt employés pour désigner l'herbe séchée, alors que ceux de haschisch et de shit le sont plutôt pour désigner la résine (plus concentrée en THC) qui est extraite de l'herbe.
En raison de sa richesse en tétrahydrocannabinol (THC), son principal principe actif, le cannabis est un produit stupéfiant, classiquement considéré comme une "drogue douce", ce qui est de moins en moins vrai eu égard aux procédés actuels de fabrication de dérivés concentrés en THC qui sont de plus en plus souvent consommés. Comme presque tous les stupéfiants, il a un effet antalgique ou antidouleur, qui est parfois utilisé en thérapeutique.
Ce sont les feuilles, les fleurs et les tiges du chanvre indien femelle ou "cannabis" qui sont consommées, après avoir été séchées et hachées : il s’agit alors du cannabis naturel ou "herbe". Ce cannabis naturel peut être mâché ou fumé. Le kif est en principe du cannabis naturel qui est mélangé à du tabac pour être fumé. Mais c'est de plus en plus souvent de la résine qui est mélangée à du tabac, pour être fumée dans des "joints" roulés ou dans des pipes à eau inspirées du narguilé.
Si la notion de "drogue douce" pouvait à la rigueur se justifier avec la consommation de cannabis naturel (herbe séchée), elle n'est plus adaptée aux formes concentrées que sont la résine et surtout l'huile (forme la plus riche, mais moins utilisée), réellement dangereuses. Il faut préciser que la forte tendance actuelle à l'augmentation de la concentration en THC des dérivés du cannabis est particulièrement le fait d'une sélection génétique d'herbes concentrées et qui plus est de souches de cannabis produites par manipulations génétiques. Ces formes concentrées de cannabis sont cultivées notamment aux Pays-Bas et appelées Misty, Ice blue, Nederweet, Amnesia, Sinsemilla, Skunk ou encore super Skunk. Ainsi, non seulement la résine est plus concentrée que l'herbe en THC, mais de surcroît on est parvenu à obtenir de nouvelles formes de cannabis qui sont naturellement enrichies en THC. Les résines de cannabis les plus concentrées ont ainsi un taux de THC qui dépasse très largement 20 %, alors que le taux initial du Cannabis naturel était très inférieur à 10 %.
Le THC a une affinité exceptionnelle et une réelle toxicité pour le cerveau.
Ce produit a des effets enivrant et sédatif, qui peuvent être recherchés par les consommateurs. Mais il perturbe la mémoire à court terme et la fixation mnésique durable ; il entraîne également des troubles de l'équilibre et de la coordination.
Le THC a aussi des effets désinhibiteurs, pouvant se manifester par une agressivité dirigée contre soi ou contre les autres, par des comportements dangereux (sources d'accidents de la voie publique, d'autant plus que ce produit perturbe l'équilibre et la coordination), ainsi que par une désinhibition sexuelle (relations non consenties ou non protégées). Il a également un effet anxiolytique très apprécié et recherché par les sujets inquiets. Mais cette action anxiolytique s'atténue avec le temps (c'est la tolérance, à ne pas confondre avec la dépendance) : après plusieurs mois ou années d’un abus de cannabis, l’anxiété réapparaît et de façon bien plus intense qu’elle ne l’était auparavant. Ce produit a encore un effet antidépresseur. C'est ainsi que les sujets dépressifs peuvent devenir des consommateurs réguliers de cannabis. Mais là encore, une tolérance s'installe avec les mois et surtout les années. Comme avec l'anxiété, la dépression finit par réapparaître et de façon bien plus grave qu'auparavant, avec dès lors un risque de suicide. En effet, l'augmentation du taux de suicides chez les jeunes serait en partie liée à leur fréquente consommation de cannabis.
Mais ce qui est encore plus préoccupant, c'est la relation bien établie entre la consommation de cannabis et la survenue ou l’aggravation de la schizophrénie. La schizophrénie est une psychose chronique se traduisant par des délires (typiquement, des délires paranoïdes, ainsi appelés parce que moins structurés que les délires paranoïaques), des hallucinations, un comportement aberrant et parfois d'allure automatique, un langage pauvre et parfois incompréhensible, une perte de contact avec la réalité, un repli sur soi (repli autistique) et souvent une régression intellectuelle et mnésique.

Quels sont les risques de long terme de consommation de tels produits skunk ou superskunk ?

La schizophrénie évoluée aboutit à un handicap mental et social majeur. Le risque de schizophrénie (maladie appelée communément "la folie") est d’autant plus élevé que la consommation est précoce et importante. Plusieurs études sont particulièrement alarmantes à ce sujet.

Les risques élevés de psychose chronique avec les formes récentes concentrées de cannabis sont liés à la toxicité cérébrale importante du THC et aux fortes concentrations en THC, notamment présentes dans le skunk et le superskunk. C'est véritablement très préoccupant, étant donné la forte consommation de cannabis en France et particulièrement chez les jeunes (la France est hélas en tête des pays de la Communauté européenne sur ce point).

Mais bien avant l'évolution vers une schizophrénie, nous avons vu que le cannabis entraînait des altérations de la mémoire. Il s'agit de troubles de la mémoire à court terme (mémoire non durable), mais elle conditionne la mémoire à long terme qui s'en trouve donc également affectée. Ce déficit mnésique est réversible au début de la toxicomanie au cannabis, puis devient avec les mois et les années irréversible, constituant un handicap plus ou moins sévère.

Mais il faut aussi parler des effets secondaires de type somatique du cannabis : ils sont eux aussi importants. La fumée du cannabis est plus irritante que celle du tabac. La température de combustion est plus élevée, ce qui augmente la production de monoxyde de carbone (CO). Il y a également une plus grande quantité de goudrons cancérigènes qui sont formés (sept fois plus). Le cannabis favorise donc encore plus le cancer bronchique que le tabac seul (les deux sont souvent associés).

Par ailleurs, il a été montré que le THC diminuait les défenses immunitaires. Les fumeurs de cannabis font fréquemment des infections pulmonaires. Sachant que ces défenses nous protègent des cancers, ces sujets ont une augmentation du risque de cancers. En lien avec la production de CO, le cannabis favorise l'artériopathie (artérite) des membres inférieurs, l'infarctus du myocarde et les accidents vasculaires cérébraux (AVC).

De plus, chez l'homme le cannabis fait chuter le taux de testostérone (baisse de la libido, des érections et des caractères sexuels secondaires tels que le volume musculaire et la pilosité). Il réduit également le nombre de spermatozoïdes (baisse de la fertilité masculine). Il favorise également le cancer du testicule et dans sa forme la plus agressive. Chez la femme, le cannabis perturbe la grossesse : l'accouchement prématuré est plus fréquent, le poids des nouveau-nés est plus petit et le risque de mort subite du nouveau-né est accru. En outre, il existe une augmentation du nombre de développements psychomoteurs retardés, ainsi que du nombre de troubles de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Enfin, les enfants de mère consommatrice de cannabis pendant la grossesse ont un risque élevé de développer une addiction.

La normalisation et l'habitude de la consommation du cannabis tiennent-elles suffisamment compte de ces nouveaux éléments de risques ?

Nous l'avons vu, la France est un pays très gros consommateur de cannabis, surtout du côté des adolescents, chez lesquels il s'agit d'un problème de "santé publique" extrêmement préoccupant. Pourtant, la question de la dépénalisation de cette drogue est souvent évoquée et même carrément proposée, alors que l'on parle beaucoup trop peu de tous les effets secondaires graves de cette substance.

Cette situation française très inquiétante est liée à un déficit manifeste d’information, qui est encore aggravé par une véritable désinformation organisée par les réseaux de producteurs, de vendeurs et revendeurs de cannabis, qui constituent aujourd'hui de véritables lobbies mafieux extrêmement puissants et influents.

On estime ainsi que, malgré le caractère illicite de cette drogue dont on connaît les graves dangers, il y aurait en France au moins quelque 1 600 000 usagers réguliers, parmi lesquels de l'ordre de 600 000 usagers multiquotidiens, à comparer aux quelque 14 000 000 fumeurs de tabac. On avance même que 70 % des garçons âgés de 17 ans déclareraient avoir déjà essayé le cannabis. Parmi eux, un sur cinq deviendra consommateur habituel de cette drogue.

De toute évidence, le trafic du cannabis est très lucratif et intense, notamment en France. C'est la première drogue consommée dans le monde et en même temps la plus ancienne. Longtemps considérée comme une drogue "douce", la résine de cannabis concentrée d'aujourd'hui, issue de souches sélectionnées et modifiées d'herbe, fait des ravages intellectuels, corporels, sociaux et sociétaux (accidents, appauvrissements, marginalisations, suicides…). La prévention en France ne semble en vérité pas à la hauteur du problème irréfutable.

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