Caméra piéton des policiers : radioscopie d’un énième naufrage de la commande publique<!-- --> | Atlantico.fr
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En général, le ministère de l’intérieur ne communique pas sur les « flops » des matériels commandés et retirés du service.
En général, le ministère de l’intérieur ne communique pas sur les « flops » des matériels commandés et retirés du service.
©Damien Meyer / AFP

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Il est patent que les matériels en service ne répondent aux attentes que l’on est en droit d’attendre de ces caméras.

Philippe Vénère

Philippe Vénère

Philippe Vénère a été policier pendant 40 ans. Ce grand spécialiste français du doit des automobilistes a été notamment commissaire divisionnaire et officier du ministère public du tribunal de police de Paris de 1992 à 1996. Il a également enseigné à Paris 8 où il a effectué plusieurs travaux de recherche sur la délinquance des mineurs.

Il a publié Manuel de résistance contre l'impôt policier (J'ai lu / mars 2011) et Les flics sont-ils devenus incompétents ? (Max Milo / septembre 2011)

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Atlantico : Le 14 juin, à Saint-Yrieix, en Charente, un automobiliste a été mortellement touché par le tir d’un policier en tentant d'échapper à une interpellation lors d'un contrôle routier. Le policier, mis en examen pour « homicide volontaire », était « bien porteur d'une caméra piéton » mais « dont l'exploitation n'a pas été possible faute de charge suffisante au moment des faits ». Faut-il vraiment s’étonner de ces faits ?

Philippe Vénère : Dans les circonstances survenues à Saint Yrieix, on a la preuve que la caméra avait une défaillance de batterie rendant inutilisable l'exploitation de l'enregistrement. Doit-on s'en étonner ? Oui bien sûr, car cette caméra était programmée pour fonctionner normalement, le magistrat aurait eu à sa disposition un élément irréfutable du déroulement des faits. A charge pour lui de l'interpréter. Au lieu de cela, l'information va s'étendre dans le temps, sans garantie quelconque de la manifestation de la vérité. Quand on constate l'importance que devait tenir cet enregistrement dans l'enquête on ne doit pas seulement s'en étonner, mais être scandalisé, car les conséquences sont désastreuses pour les parties en cause. Je ne peux me prononcer sur le fait en lui-même, mais je suis certain que la décision de la justice n'apportera pas la réponse qu'elle aurait dû avoir si elle avait disposé d'un élément aussi fiable qu'un enregistrement vidéo.

Comment expliquer que ces caméras-piétons soient inefficaces ? Quels sont les principaux défauts ?

Il s’agit essentiellement de la fiabilité de ces caméras dont l’alimentation s’avère défaillante dans le temps. En effet, les fonctionnaires lorsqu’ils sont de service sur la voie publique, s’absentent plusieurs heures de leur base. Il n’est donc pas question de retourner plusieurs fois à leur service pendant leur tournée pour changer de batterie. Il est patent que les matériels en service ne répondent aux attentes que l’on est en droit d’attendre de ces caméras.

Un effort a été fait en 2021 par l’acquisition de caméras plus performantes de marque Motorola, avec une autonomie de 12 heures, mais à l’évidence il y a des défaillances.

Surtout, comment expliquer que le marché public ait retenu un modèle à ce point inadapté à l’usage sur le terrain ? 

Les fonctionnaires de police n’ont aucune possibilité d’intervention dans le choix des matériels que l’administration a décidé d’acheter, et ne peuvent peser sur les marchés publics. Les décideurs sont des fonctionnaires du ministère de l’intérieur et n’appartiennent en aucun cas au service actif. Lors de la discussion des offres reçues suite à l’ouverture des marchés publics, le coût tient une place importante et pèse sur la décision d’acquisition. Ce ne sont donc pas les modèles les plus performants et les onéreux qui sont forcément choisis.

Lors du Beauvau de la sécurité, Emmanuel Macron a  fixé comme objectif de doter chaque fonctionnaire de police d'une caméra-piéton d'ici la fin 2022 et chaque véhicule d'ici 2023. L'objectif quantitatif est-il rempli, à défaut de l'objectif qualitatif ? 

Je ne pense pas que cet objectif ait été atteint au sens littéral de l’affirmation du président de la République. Disons qu’au moins une patrouille de policiers ou de gendarmes est dotée d’un tels équipement, mais nous sommes loin du compte. N’oublions pas qu’ils y a environ 252.000 policiers et gendarmes, or, en 2021 il n’y avait environ que 40.000 caméras ancienne et nouvelle génération qui avaient été distribuées. Il en fallait 200.000 de plus et les financements votés n’ont pas été à la hauteur du besoin.

Y a-t-il d’autres exemples similaires de naufrages de la commande publique au sein de la Police Nationale ?

En général, le ministère de l’intérieur ne communique pas sur les « flops » des matériels commandés et retirés du service. J’ai connu certains errements en matière d’armement individuel lorsque l’on a voulu liquider des stocks de munitions anciens avec des armes non prévues à cet effet. Mais cela a été réglé « en interne » sans publicité.

Il serait intéressant de questionner sur ce point les syndicats de police qui sont au fait de ces « flops », bien que leur action tende plus à faire corriger les erreurs qu’à attaquer le ministère. Il est un fait que la technocratie prend un pas bien trop important dans les choix qui sont opérés au détriment des utilisateurs qui n’ont droit à la parole.

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