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C'est la faute à la "droite" : comment François Hollande profite du fiasco de la déchéance de nationalité pour poser l'acte 1 de sa nouvelle stratégie pour 2017
©wikipédia

Cap à bâbord

Dans une interview accordée à Libération, Michel Sapin appelle François Hollande à "remettre en avant les idéaux de gauche". Le même jour, c'est Emmanuel Macron qui a déclaré que la rémunération du patron de PSA était excessive. Un tir groupé qui annonce une tentative de récupération de l'électorat de gauche.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Laurent  Joffrin

Laurent Joffrin

Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et licencié en sciences économiques, Laurent Joffrin est directeur de la publication du journal Libération.

Il est notamment l'auteur de Le Réveil français, chez Stock, 2015

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Atlantico : Mercredi 30 mars, le gouvernement a envoyé de multiples signaux sur son appartenance à la gauche. Dans quelle mesure peut-on y voir un mouvement stratégique de la part de François Hollande pour tenter de récupérer un électorat qu'il avait jusqu'à aujourd'hui délaissé ?

Laurent Joffrin : Cela me paraît cohérent. Il est vrai que depuis la fin de l'année 2015, François Hollande a beaucoup déconcerté son propre électorat, déçu non seulement du résultat, mais voyant aussi l'équipe Valls proposer des projets qui vont à l'encontre de ses convictions. Et cela lui a coûté assez cher car la baisse de sa popularité récente est imputable aux défections d'une partie des sympathisants de gauche. La politique sociale-libérale menée par le Premier ministre bénéficiait jusqu'alors du soutien de l'opinion sur la déchéance de nationalité, mais elle a heurté une partie de la gauche, cadres comme militants. Pour la loi El Khomri en revanche, elle est immédiatement impopulaire. C'est pour cela que François Hollande a besoin de faire un rappel des symboles et des mythes de la gauche.

François Hollande se rend compte que le centre ne sera pas suffisant, et que la gauche représente une part qu'il ne sera pas possible de négliger pour avoir une chance en 2017. Même si la courbe du chômage diminue, il faudra arriver à ce que le candidat de gauche fasse 26% pour passer devant la droite, ce qui d'ailleurs constituerait un tour de force compte tenu de l'impopularité actuelle du Président. Et pour cela, il faudra faire le plein parmi les voix de gauche, et mordre sur le centre. 

Bruno Cautrès : Les signaux envoyés le 30 mars par le gouvernement (interview de Michel Sapin appelant François Hollande à remettre des idéaux de gauche dans l’interprétation de ce qu’il a entrepris depuis 2012, déclaration d’Emmanuel Macron sur la rémunération du patron de PSA, charge de François Hollande contre la droite après le renoncement sur la réforme constitutionnelle) traduisent effectivement une stratégie politique qui commence à se mettre en place. Plus l’élection présidentielle de 2017 va se rapprocher (nous sommes aujourd'hui à un an de cette échéance), plus chaque camp va vouloir accentuer la ligne de clivage gauche-droite. Il s’agit d’une tendance classique de la stratégie électorale des partis et des candidats, qui consiste à mobiliser son camp par l’évocation de tout ce qui l’oppose à l’autre camp. Ici nous avons trois signaux envoyés à peu près au même moment pour exercer une force de rappel à la gauche : il s’agit d’évoquer ou de laisser penser que la droite c’est l’argent, c’est le la tactique de court terme contre l’intérêt général et que la gauche est attachée à un ensemble de valeurs. 

Cette stratégie est d’autant plus intéressante à observer que l’exécutif traverse une très mauvaise passe : les deux débats publics qui ont marqué les dernières semaines (déchéance de nationalité et loi sur le travail) ont profondément perturbé l’électorat de la gauche et jamais le doute sur la direction dans laquelle va le gouvernement et sur la capacité de François Hollande à incarner une ligne de gauche n’a été aussi important parmi son électorat de 2012. Parallèlement le doute est maintenant très fort, dans son électorat et au-delà, sur la capacité de François Hollande à tout simplement se qualifier pour le second tour de la prochaine présidentielle. Nous assistons donc, depuis quelques semaine déjà, à une opération pour « sauver le soldat François Hollande » en multipliant les signes vers les électeurs de gauche pour leur dire : même si vous n’êtes pas content de François Hollande et de l’action du gouvernement, une politique « de droite » faite par la gauche, c’est quand même mieux qu’une politique de droite faite par la droite...

Jeudi 31 mars, plusieurs manifestations sont organisées contre le projet de loi El Khomri sur la réforme du code du Travail. Dans un contexte de chômage important, quelles sont ses marges de manœuvre pour recréer de l'émotionnel chez les électeurs de gauche ?

Laurent Joffrin : C'est difficile à dire car effectivement, le Gouvernement a toujours un déficit budgétaire important à 3,5% et manifestement il tient à rester dans les clous de Bruxelles. Il lui sera donc délicat de lancer des projets économiquement coûteux, bien que le Gouvernement ait procédé en début d'année à un relèvement du point d'indice du salaire des fonctionnaires.

Quant aux réformes sociétales, je pense qu'elles ne suffiront pas. Le cœur des préoccupations en France se situe sur les questions sociales. Ses marges de manœuvre, à moins qu'il ne fasse preuve d'imagination, sont bien faibles. 

Bruno Cautrès : Ces marges sont très faibles mais elles existent. Les électeurs de gauche sont effectivement très perturbés par plusieurs des réformes entreprises par le gouvernement et globalement trouvent que les directions prises par Manuel Valls ou Emmanuel Macron n’incarnent pas totalement « la gauche ». Dans le même temps, ces électeurs perçoivent bien la réalité du climat économique en France et la nécessité de faire des réformes. Une partie de ces électeurs n’est d’ailleurs pas tant opposée que cela à ce qu’incarnent Manuel Valls et Emmanuel Macron. C’est de fait beaucoup plus dans l’électorat qui se situe à la gauche du PS (EELV, Front de gauche) que dans l’électorat socialiste que la critique est forte vis-à-vis de ces orientations.

Pour « recréer de l’émotionnel » à gauche, comme vous le dites, la marge de manœuvre va dépendre de deux paramètres : le moment où la droite va devoir mettre sur la table toutes ses propositions économiques (en particulier en matière de réduction des dépenses publiques et de réformes du périmètre de l’action de l’Etat) et celui qui en sera le porteur pour la présidentielle. Si c’est Nicolas Sarkozy qui sort vainqueur de la primaire, l’aversion de nombreux électeurs de gauche vis-à-vis de l’ancien Président est susceptible de créer cette dimension « émotionnelle ». Mais même si c’est Alain Juppé, la teneur des propositions économiques du candidat « de la droite et du centre » viendra forcément rappeler à un moment donné aux électeurs de gauche que la droite c’est décidément toujours bien la droite.

Aujourd'hui, les sondages donnent François Hollande à environ 15% au premier tour de l'élection présidentielle. Quelle force politique pourrait aujourd'hui représenter un François Hollande qui réincarnerait celui du discours du Bourget ?

Laurent Joffrin : Cela me semble être une tâche herculéenne. 15%, ce n'est pas lourd, il faudrait gagner une dizaine de points supplémentaires. Mais il pourra compter sur le manque d'alternative aujourd'hui à gauche : personne ne voit quelqu'un qui serait crédible aux yeux des Français.

Aujourd'hui, Martine Aubry a une expérience ministérielle mais dit ne pas vouloir se présenter. Certains pensent qu'une personnalité qu'on ne connaît pas encore se dégagera d'ici à l'élection mais cela ne s'est jamais vu en France (Ségolène Royal avait émergé au moins un an et demi avant). Manuel Valls pourrait le faire : il a démontré ses qualités mais si François Hollande ne peut pas se présenter à cause de son bilan calamiteux, je ne vois pas comment Manuel Valls pourrait le faire.

Bruno Cautrès : L’espace politique de la gauche existe toujours mais il s’est rétrécit avec l’exercice du pouvoir. Malgré le retour de personnalités écologistes au gouvernement, celui-ci reste à périmètre restreint autour du noyau dur du « hollando-vallsisme ». Ce qui pourrait « booster » François Hollande et recréer autour de lui une dynamique serait une réelle amélioration économique mais concrète et perçue directement dans la vie des français : que les familles voient leurs jeunes trouver plus facilement un emploi correspondant à leurs qualifications, qu’elles aient une réelle augmentation de leurs ressources, que la pression fiscale diminue de manière très significative pour les classes moyennes supérieures, que le chômage diminue fortement d’ici la fin de l’année. Mais je ne pense pas qu'aujourd'hui François Hollande soit en mesure de bénéficier d’un tel retour en grâce auprès des français.

La cote d’alerte de sa popularité est pour le moment tombée trop bas et François Hollande n’a pas pu trouver, jusqu'à présent, le moyen d’enrayer cette dynamique négative. Il lui manque d’expliquer aux français de manière plus pédagogique et concrète pourquoi il n’a pas pu tenir certains engagements, quelles leçons il en tire et en quoi la confrontation avec la réel a été d’abord subie puis lui a permis de comprendre ce que veut dire gouverner un pays exposé aux flux de la mondialisation, mais avec une ambition de justice sociale qui ne soit pas un simple discours. Or, force est de constater que sur un thème comme la jeunesse, épine dorsale de sa campagne 2012, on n’a pas vu dans la vie réelle des changements majeurs. 

Par ailleurs, l'opposition semble aujourd'hui muette. La droite a-t-elle selon vous bien pris en compte cette hypothèse ?

Laurent Joffrin : Une grande partie de la droite est polarisée par la montée du Front national, et emploie donc un discours droitier. Mais elle a deux handicaps : elle est divisée, et son programme est très libéral. Lorsqu'on voit que plus de 60% des Français rejettent la loi El Khomri, on peut se demander comment ceux-ci réagiront face aux programmes de la droite...

Mais je pense aussi qu'une partie des leaders de la droite n'a pas bien intégré que nous étions dans un système tripartisan et non plus, comme historiquement, bipartisan. Comme les trois partis ne peuvent pratiquement pas s'allier, il suffit d'être à un quart des voix pour remporter l'élection. Même un Parti socialiste faible peut alors réaliser un score suffisant pour passer au second tour. Lors des régionales, la droite unie a fait 27%, le PS a fait 24%... L'écart n'est pas grand ; lors d'une campagne, les trois points peuvent se rattraper.

Bruno Cautrès : La droite peut sans doute avoir tendance à considérer que l’élection de 2017 est déjà jouée et qu’il suffit d’assurer la présence de son candidat au second tour. Ce serait une grave erreur pour elle de ne baser sa projection d’avenir que sur ce pari. Car une chose est de gagner l’élection de 2017, une autre chose est de donner sens à cette éventuelle victoire et de ne pas se tromper sur les souhaits d’action publique des français : les français ne « rêvent » pas d’une révolution « thatcherienne » mais continuent de souhaiter une action publique forte dans certains domaines clefs (santé, éducation, transports publics par exemple) tant en voulant un Etat plus simple et plus moderne.

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