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“C'est comme si notre pays avait instauré un jour de congé supplémentaire” : ce qui se cache derrière l'augmentation des dépenses en matière de santé
©BERTRAND GUAY / AFP

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Le gouvernement à l'instar du premier Ministre, Edouard Philippe, voudrait enrayer la hausse des dépenses en matière de santé. Le 26 août dernier, Edouard Philippe s'inquiétait : "En trois ans, le nombre de journées indemnisées est passé de 11 à 12 par an et par salarié du privé. C'est comme si notre pays avait instauré un jour de congé supplémentaire".

François Taquet

François Taquet

François Taquet est professeur en droit du travail, formateur auprès des avocats du barreau de Paris et membre du comité social du Conseil supérieur des experts-comptables. Il est également avocat à Cambrai et auteur de nombreux ouvrages sur le droit social.

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Atlantico : À quoi cette hausse est-elle vraiment due selon vous ? Faut-il voir là un simple signe du vieillissement de la population active ?

François Taquet : Il convient d’abord de résumer ainsi les affirmations de ces dernières semaines

• en trois ans, le nombre de journées indemnisées serait  passé de 11 à 12 par an et par salarié du privé

• chaque année, un peu plus de 10 milliards d'euros seraient consacrés à l'indemnisation des salariés arrêtés et ce volume progresse de plus de 4% par an

• entre janvier et juin 2018, les versements d'indemnités journalières auraient augmenté de 4,6 % sur un an, selon les deniers chiffres de la caisse nationale d’assurance maladie.

Quant à la cause de l’augmentation de jours indemnisés nous y reviendrons car la solution est loin d’être claire, car le secret médical s’oppose à ce que les motifs de l’absence soient divulgués.

Le gouvernement tente donc de trouver des sources d’économie. Souvenons-nous qu’un député (Aurélien Taché) avait proposé de transférer la prise en charge de quatre jours d'indemnités journalières pour les arrêts de moins de huit jours de la Sécurité sociale aux entreprises, soit un coût évalué à 900 millions d'euros. L’idée a été depuis lors abandonnée.

Que le gouvernement tente de trouver des solutions pour résorber un déficit, rien de plus normal ! Toutefois, le débat paraît un peu surréaliste quand on constate que la Cour des comptes pointe régulièrement d’autres sources d’économie. Ainsi, les actes générés par les spécialistes libéraux représentent 16 milliards d’euros et progressent de 2,5% par an. Or, selon les chiffres avancés, 30% des actes (soit une source d’économie de près de 5 milliards) seraient considérés comme inutiles. De même, les activités chirurgicales continuent régulièrement de croitre. Or, selon la Cour, « pour augmenter leurs budgets, les hôpitaux ont en effet tout intérêt à multiplier les actes rémunérateurs, mais pas toujours utiles ». De même, la fraude à l’assurance maladie a été chiffrée (environs 231 millions d'euros), sachant  que 4/5° serait imputé aux différents professionnels des secteurs de la santé….

Même si le débat est légitime, on peut donc se demander si le fait que le nombre de journées indemnisées passe de 11 à 12 par an (soit un cout supplémentaire de moins d’un milliard d’euros) constitue une priorité compte tenu des arguments développés précédemment.

En outre, faut-il ajouter que les caisses de sécurité sociale disposent de toute une panoplie de dispositifs pour contrôler la réalité de la maladie et de sanctionner les fraudeurs ?

Quels ont pu être les évolutions du rapport qu'ont les employés vis-à-vis des arrêts maladie ? Ne peut-on pas voir ces arrêts comme un mode de régulation social ?

Certes, les versements d’indemnités journalières pour arrêt maladie augmentent (+3,7 % en 2015, 4,6 % en 2016, 4,4% en 2017). Le problème est que les motifs des arrêts maladie n’est pas public. On doit donc se contenter de suppositions : mal être au travail, stress au travail, burn out (la prise en charge des affections psychiques représenterait environ 230 millions d’euros), vieillissement des salariés avec une population plus fragile, certains pointant même la légère baisse du chômage qui augmenterait mathématiquement  le nombre absolu des arrêts….

Paradoxalement, certaines conventions collectives, en obligeant les entreprises à prendre en charge le délai de carence dans le cadre des maladies de courte durée, peuvent-elles même participer à l’augmentation de l’absentéisme

Quoi qu’il en soit, et sans jeter la réprobation, par des affirmations réductrices, il appartient aux pouvoirs publics de fixer des règles claires, au besoin, en mettant à plat le système de la prise en charge des arrêts de maladie. Une réforme ambitieuse serait la bienvenue. Et les lois de financement de la sécurité sociale votées chaque année ont cet objectif.

Comment endiguer cette augmentation des arrêts maladie ?

On ne peut déconnecter la hausse des arrêts de maladie du problème plus global de la santé au travail. Sur ce point, le gouvernement avait demandé en janvier 2018 à la députée du Nord, Charlotte Lecocq, un rapport sur la Santé au travail qui a été remis au premier ministre le 27 août, avec des propositions visant à accentuer la prévention. Il conviendra de voir ce que le gouvernement entend faire de ce rapport. Mais espérons que les pouvoirs publics procéderont à une étude approfondie de la question plutôt d’agir par le biais de « mesurettes », comme le débat récent peut le laisser augurer !

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