Budget de la France : Bruno Le Maire, responsable mais pas coupable<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.
Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Atlantico Business

Entre la panne de croissance, les remontrances de la Cour des comptes et la pression des services publics qui réclament toujours plus de moyens, on va s'apercevoir que le budget de la France manque surtout d'arbitrages politiques sérieux et cohérents.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Responsable sans doute, mais certainement pas coupable. Bruno Le Maire va se sentir responsable de la comptabilité budgétaire, mais il ne peut pas se sentir coupable des arbitrages politiques qui nous ont conduits à une telle situation de porte-à-faux. Entre la panne de croissance qui a amputé les recettes fiscales, et la pression sociale d'une opinion publique qui a pris l'habitude de réclamer toujours plus de moyens d'assistance, le déficit des finances publiques s'est creusé à un point difficilement soutenable, et même si les marchés financiers continuent de répondre sans rechigner aux appels de fonds.

À court terme, c'est une situation supportable. À moyen et long terme, elle pourrait être intenable. C'est bien cette perspective qui a obligé le ministre de l'économie et des finances à reconnaître que les taux de croissance ne seront pas ce qu'on avait prévu, mais surtout qu'il va falloir trouver 10 milliards d'économies en 2024, puis 20 milliards en 2025... Si ce n'est pas plus !  

La Cour des comptes n'est pas tendre, puisque dans son rapport annuel publié hier, elle a redessiné une trajectoire des finances publiques assez désastreuse : Pierre Moscovici dénonce à la fois une mauvaise gestion des dépenses publiques avec notamment un déficit d'explication sur les économies à réaliser et une mauvaise adaptation aux changements climatiques à tel point que cette mutation n'est pas chiffrée. En clair, pour le président de la Cour des comptes, ce ne sont pas 25 milliards d'économies qu'il faudra faire, mais plus de 50 milliards en 2025... Autant dire que la perspective va donner des arguments aux agences de notation qui n'attendent qu'un tel dérapage pour abaisser leur note . Ce qui va encore aggraver la facture financière, puisque  les taux d'intérêt vont augmenter avec les risques.

Que Pierre Moscovici, qui n'a pourtant pas été lui-même un ministre des finances exemplaire, ne soit pas tendre avec Bruno Le Maire, peu importe... l'un et l'autre font de la politique.

Maintenant, Bruno Le Maire a assez de métier pour assumer la responsabilité de cet état chiffré. Depuis le début du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, il a réussi à faire passer quelques réformes pour booster cette économie de l'offre mais il a surtout été obligé d’enregistrer très consciencieusement des chèques du "quoi qu'il en coûte" qu'il a fallu signer pour solder le conflit des gilets jaunes, pour empêcher le Covid de terrasser la population et le système économique, puis plus tard pour calmer les banlieues, les manifestants contre la réforme des retraites, pour répondre au chantage à la grève dans les services publics ou les embouteillages des agriculteurs.

Depuis 2017, les dépenses publiques et sociales ont augmenté de 300 milliards d'euros, dépenses de l'État, des administrations locales et régionales et des institutions sociales. C'est évidemment considérable, parce que la croissance n'a pas permis de générer les recettes fiscales pour équilibrer le système. D’où les idées qui émergent pour essayer dans l'avenir de maîtriser la dépense publique. Entre l'assurance chômage, les aides au cinéma, les fonctionnaires, etc., personne ne croit à l'efficacité des coups de rabot.

Surtout quand on sait que l'opinion publique réclame toujours plus de services publics. Alors, le ministre peut se sentir responsable de cette comptabilité bancale... mais peut-il pour autant en être déclaré coupable ? La classe politique d'opposition ne s'en est jamais privée, mais ses amis non plus. D'autant que les élections présidentielles approchent. Il faudra trouver un bouc émissaire aux fragilités financières. Bruno Le Maire ne se sent pas le cœur d'être désigné comme le coupable d'un fiasco budgétaire.

Pour deux raisons : D'abord, parce que la maison France a toujours eu des besoins financiers qui s'avèrent supérieurs aux moyens disponibles. Son rôle à lui était et reste limité en réalité à la nécessité de trouver ses moyens en essayant de ne pas trop asphyxier le contribuable. Lui a donc passé beaucoup de temps à convaincre l'Union européenne et les marchés que la France restait crédible.

Ensuite, parce que le ministre de l'économie n'est pas responsable des choix et des arbitrages budgétaires. Il est directeur financier et dans une grande entreprise, celui qui définit la stratégie et les grands arbitrages, c'est plutôt le président. Cette gouvernance qui n'a pas de majorité a eu tendance à acheter la paix sociale et du temps , même si cela nécessitait de prendre beaucoup de crédit.

Le vrai coupable, c'est évidemment le pouvoir exécutif, mais c'est aussi l'opinion publique qui réclame l'assistance en permanence de cet État omniprésent, omni-intervenant.

Mais paradoxalement, les dépenses publiques ne sont guère efficaces parce qu'avec « un pognon de dingue », les services publics ne fonctionnent pas. La rue est gangrenée par le commerce de la drogue, l'école est abîmée par l'absentéisme des enseignants déprimés, le système de santé est lui aussi en mauvais état, les transports publics sont toujours entre deux grèves...Le vrai coupable, c'est cette gouvernance qui écoute l'opinion qui considère qu'il faudrait plus de moyens aux services publics pour que la justice soit moins lente, la police mieux armée, la santé et l'école plus efficaces, etc. ..La réalité, c'est qu'en rabotant les budgets de fonctionnement, Bruno Le Maire ne changera rien à la situation...

Les finances publiques n'ont pas besoin de moyens supplémentaires, mais plutôt d'un arbitrage différent dans l'affectation des dépenses.

L'État ne peut pas faire tout et n'importe quoi... L'État doit se concentrer d'abord sur ses fonctions régaliennes, celles qui ne peuvent être assurées que par le pouvoir politique. Le pouvoir régalien de l'État, c'est d'assurer la sécurité intérieure, la défense extérieure et la justice. Telles  devraient être les priorités principales de l'État.

Toutes les autres fonctions pourraient être gérées en dehors de la sphère publique. Soit par des entreprises privées, soit par des établissements indépendants qui peuvent appartenir à l'État. La propriété d'un système de production ou de prestations de services n'est pas neutre certes… mais le facteur essentiel c'est de s'inscrire dans le cadre d'une économie de marché en situation de concurrence.

La seule solution qui permettra à l'État d'offrir de la performance et de la prospérité au plus grand nombre passera par l'acceptation de la concurrence interne et externe.

Ça n'est pas d'une réforme dont l'État français a besoin, c'est d'une révolution. Le ministre de l'économie n'est pas coupable de ne pas avoir provoqué une telle révolution. En aurait-il eu l'idée, qu'il lui aurait fallu appartenir à une gouvernance qui adhère à un tel projet et surtout disposer d'une majorité qui soutienne une telle mutation. Dans la situation actuelle, même pas en rêve...

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