Bruno Le Maire, le ministre qui était en même temps sa propre opposition <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Bruno Le Maire a été confirmé au poste de ministre de l'Economie par Emmanuel Macron pour son nouveau quinquennat.
Bruno Le Maire a été confirmé au poste de ministre de l'Economie par Emmanuel Macron pour son nouveau quinquennat.
©Thomas SAMSON / AFP

Economie

Bruno Le Maire a toujours eu l’art de dénoncer sur un ton fabuleusement outragé les politiques qu’il a lui-même mises en œuvre.

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

Voir la bio »

Notre Bruno garde le cap ! Ou tout au moins son cap. Si le second mandat d’Emmanuel Macron s’ouvre dans une configuration législative bien moins printanière qu’en 2017 et si les acteurs actuels de la petite majorité présidentielle se démènent en tous sens pour essayer de reprendre la main dans le show politicien, rien de tel chez Bruno Le Maire, plus égal à lui-même que jamais : il a toujours eu l’art de dénoncer sur un ton fabuleusement outragé les politiques qu’il a lui-même mises en œuvre et ce n’est certainement pas aujourd’hui qu’il va changer, bien au contraire !

Notre ministre de l’Économie fait décidément partie de ces hommes politiques (femmes incluses) doués du rare talent de mériter le grand prix de l’humour en politique à chaque mot qu’ils prononcent. Mais au point où il en est arrivé, on parle évidemment d’un humour 100 % involontaire et totalement noir pour nos comptes publics, lesquels, fort en dépenses, en impôts et en dette, impactent à la baisse la prospérité globale du pays.

Si vous vous souvenez, en novembre 2018, alors que le gouvernement entrait dans les turbulences des Gilets jaunes pour cause de hausse des taxes sur les carburants et alors que lui-même présentait le projet de loi de finances pour 2019 aux sénateurs, il se mit à jouer à fond sur le registre larmoyant-compatissant face à l’injuste dureté de l’impôt en proclamant sans ciller :

« Nous dépenserons moins et mieux, nous réduirons la dette, mais aussi les impôts et les taxes des Français – on voit bien ce qui se passe actuellement : les impôts et les taxes, ça suffit ! »

À Lire Aussi

Recherche majorité désespérément : Emmanuel Macron en quête du EN MÊME TEMPS perdu

On tombe à la renverse devant tant de démagogie. Mais au fait, cher Bruno Le Maire, qui est ministre de l’Économie, des Finances et du Budget ? Qui a élaboré le PLF 2019, si ce ne sont vos équipes de Bercy ? Qui a approuvé le projet budgétaire en question, si ce n’est le Conseil des ministres réuni autour d’Emmanuel Macron et de son Premier ministre (Édouard Philippe à l’époque), Conseil dont vous faites partie ? Bref, qui détermine la politique économique de la France depuis 2017 ?

Plus récemment, en décembre 2021, donc avec le round électoral 2022 en perspective, même tactique. Dans l’émission On est en Direct animée par Laurent Ruquier et Léa Salamé sur France 2, Bruno Le Maire découvre soudain, après cinq ans de pouvoir, qu’il faut tout changer dans la façon de gouverner ! (vidéo ci-dessous, 03′ 36″) :

À Lire Aussi

Etat partout, justice et efficacité nulle part…

« Je trouve que si on veut réussir le prochain quinquennat, dont je souhaite qu’il soit celui d’Emmanuel Macron, (…) il faut changer complètement la façon dont on gouverne dans notre pays. Ce n’est plus possible ! Je le dis avec beaucoup de liberté : Ce – n’est plus – possible ! »

Manifestement, ce ministre toujours prêt à défendre les positions du gouvernement adore faire comme s’il était aussi du côté de sa propre opposition. C’est ainsi qu’hier, alors qu’il pontifiait à son habitude sur l’immense responsabilité qui lui incombe et dont il s’arroge volontiers le monopole dans tout le paysage politique français, il a battu tous ses records d’incompétence et d’hypocrisie satisfaite en nous expliquant sur un ton plus sentencieux que jamais que :

« Nous avons atteint la cote d’alerte sur les finances publiques. »

Ah oui ? Vraiment ? Quelle découverte époustouflante !

Ça commence à se savoir que la France est la championne du monde des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques. Ça commence à se savoir que sa dette publique, loin de se réduire, s’envole rapidement et sûrement dans les volutes du « quoi qu’il en coûte » et autres dérapages dépensiers non contrôlés mais prolongés et enrichis de semaine en semaine par moult chèques inflation et autres dispositions en faveur du pouvoir d’achat. Et ça commence à se savoir que les prestations reçues en retour à l’hôpital, à l’école ou ailleurs sont parfois, comment dire, légèrement décevantes.

Et puis ce n’est pas comme si personne n’avait jamais parlé du danger de laisser la dette filer ; ce n’est pas comme si personne n’avait jamais évoqué son inéluctable résolution dans l’inflation ; ce n’est pas comme si personne n’avait jamais mis en garde contre une remontée tout aussi inéluctable des taux d’intérêt ; ce n’est pas comme si la charge de la dette n’avait pas commencé sa redoutable ascension dès l’an dernier. 

En juin 2019, après avoir examiné les comptes 2018 et les perspectives pour les exercices 2019 à 2022, la Cour des Comptes alertait déjà les contribuables et le gouvernement en ces termes :

« Compte tenu de ses niveaux élevés de dette et de déficit, la France disposerait de peu de marges de manœuvre pour faire face à un ralentissement conjoncturel ou un choc financier. Dès lors, la poursuite du mouvement de baisse des prélèvements obligatoires doit s’accompagner d’un effort indispensable de maîtrise des dépenses publiques pour permettre à la France de garder pleinement le contrôle de ses choix budgétaires. »

.
Mais à l’époque, Bruno Le Maire et son ministre du Budget Gérald Darmanin ont préféré faire la sourde oreille. Le second expliquait même au début de la pandémie de Covid que le gouvernement pouvait « dépenser quasiment sans compter » en temps de Covid-19 « parce que nos finances publiques étaient saines » (vidéo, à partir de 10′ 10″). Grossière fanfaronnade, très éloignée de la réalité et démontée une fois de plus par la Cour des Comptes.

Une Cour des Comptes de plus en plus souvent amenée à relever les non-dits frôlant l’insincérité des budgets soumis à son contrôle. Après le PLF 2017 du duo Hollande-Sapin, qualifié « d’irréaliste » par les juges de la rue Cambon et « d’insincère » par les sénateurs, c’est le tout récent PLF 2022, du 100 % Macron-Le Maire-Dussopt, qui fut vertement renvoyé dans ses buts tant il était « incomplet » aux dires de la Cour et carrément « insincère » aux dires de son président, Pierre Moscovici. Et devenu parfaitement caduc depuis.

Il n’empêche que d’août 2021 à mai 2022, Bruno Le Maire n’a cessé de nous expliquer que l’économie française se portait bien, que la politique économique du gouvernement depuis 2017 avait porté ses fruits, que la croissance française en 2021 fut l’une des meilleures de l’OCDE, que le pays avait réalisé un exploit sur le plan du chômage, etc. Encore récemment, il plastronnait à grands coups d’approximations douteuses sur le fait que l’inflation française était la plus faible de l’Union européenne.

Et maintenant (que les élections sont passées), c’est soudain l’alerte rouge alors que tant de sonnettes d’alarme furent abondamment tirées, depuis longtemps et par de nombreuses personnes issues de milieux très différents (médias spécialisés, think tanks, économistes classiques, institutions dédiées, et même ici).

Cher M. Le Maire, difficile de vous prendre au sérieux, d’autant que l’on sait qu’un projet de loi « pouvoir d’achat » est en préparation en plus de toutes les mesures déjà prises et reconduites sur le gaz, l’électricité, les carburants et l’inflation en général. Difficile de vous prendre au sérieux quand l’INSEE nous apprend qu’au 1er trimestre 2022, la dette publique a bondi de 89 milliards d’euros pour atteindre 114,5 % du PIB.

À ce stade, je ne peux que redire ce que j’ai déjà dit mille fois : il faut d’urgence se mettre à baisser vraiment les dépenses publiques. Cela passe inéluctablement par des réformes en profondeur ; pas un petit mouvement de curseur sur l’âge de départ en retraite, par exemple, mais par une transformation complète du système vers l’intégration d’un étage de capitalisation.

On m’objectera que ce n’est pas en temps de crise que, etc. Le problème, c’est qu’en France, temps de crise ou pas, ce n’est jamais le bon moment. Les cinquante dernières années en témoignent. Le coup de pied au fond de la piscine, pensez-y.

Cet article a été publié initialement sur le site de Nathalie MP : cliquez ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !