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Brexit or not Brexit ? Le Royaume-Uni tiraillé entre raisonnement économique et raisonnement politique
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Double sens

Malgré les bons chiffres apparents, l'économie britannique commence à souffrir de la situation.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Les marchés financiers, qui savent tout bien sûr, ne semblent pas préoccupés par la question. Les bons du trésor à 10 ans du Royaume-Uni rapportent en effet 1,6% avec une inflation à 3%, contre ceux de la France à 1% pour une inflation à 1,4%. On prête ainsi au Royaume à -1,6% et à la République à -0,4%. Et pourtant, la croissance anglaise s’établit à 1,5% contre 1,9% pour la France, contre 2,7% avant le Brexit. En sens inverse, le Royaume est en plein emploi, avec un taux de chômage à 4,3%, et beaucoup de salariés dans les services.

En fait, ce sont les salariés étrangers (des pays de l’Est pour une bonne part) que l’on retrouve ici, et dans la croissance anglaise. Ils n’ont cessé d’affluer et représentent 11% de la population active en 2017, point culminant avant le reflux qui se met en place. Pas de surprise si les salaires augmentent de 2,5%, donc baissent en termes réels. C’est le prix à payer pour la dévaluation de la Livre et pour ne pas entrer dans une spirale salaire-inflation. Les entreprises ont prévenu : les prix peuvent monter, c’est la faute aux importations, mais pas (autant) les salaires, autrement c'est le chômage.

En fait, le Royaume-Uni vit une forte encoche dans sa croissance, la moitié de ce qu’elle était il y a quelques années, avec une moindre progression de la consommation (même si le crédit explose) et de l’investissement, des entreprises attentistes et des salariés très nombreux dans les services, avec une productivité faible. Une situation peu durable !

Pour en sortir, le Royaume-Uni déploie une intense activité diplomatique. Il entend mettre en œuvre une stratégie alternative au rapprochement croissant avec l’Union (ever closer union) qu’il a refusé. On voit la Première ministre aller à Pékin pour vanter la qualité des services commerciaux et financiers du Royaume, après une visite à la special relationship américaine, pour reprendre les mots de Churchill, dès l’élection de Donald Trump. Il avait soutenu le Brexit, donc il allait aider ! Hélas, Donald Trump note un déficit commercial de 48 milliards de dollars entre Etats-Unis et Royaume-Uni ! Il fait remarquer, depuis, que New York est un centre financier mondial, baisse les impôts sur les sociétés et assouplit ses règles financières. Mais ce déficit commercial est, côté britannique, le premier excédent commercial du pays ! Quant à la Chine, elle veut être l’amie de tous, et ne peut évidemment oublier l’Union !

Comment en sortir ? Où et quand finira ce divorce au sein de l’Europe, avec quelles concessions et quels effets pour les partenaires qui veulent se séparer, à l’initiative anglaise ne l’oublions pas, tout en restant bons amis ? Qui en profitera ? Qui en souffrira ? Bien malin qui peut aujourd’hui le dire, tant les enjeux sont considérables et mêlés, les partenaires (côté britannique surtout) divisés. Rationnellement, le Brexit n’aurait pas dû avoir lieu, tout comme la guerre de Troie. Astuce de David Cameron, le Premier ministre de l’époque, pour se débarrasser une bonne fois de ses opposants à l’intérieur du Parti, c’est un des plus beaux loupés de l’histoire politique récente. Le Leave a gagné, de peu, avec une campagne populiste et pleine d’erreurs techniques certes, et surtout sans plan sérieux pour la suite. Reste un pari de plateforme commerciale mondiale entre les grandes entités qui, aujourd’hui, dirigent (Etats-Unis, UE, Chine et, pourquoi pas Commonwealth). Donc on en revient aux scenarios : en voici trois.

Scénario 1 : Miracle de la frontière irlandaise, mais stigmate. Theresa May survit pendant l’année 2018. Ensuite, le divorce n’aura pas lieu fin mai 2019, mais fin 2020, suite à une transition « technique », demandée par le RU, qui est aussi politique. Dans ce laps de temps, où le RU reste membre du Marché unique sans avoir un mot à dire sur les décisions prises (pénible !), Theresa May trouverait une solution pour la frontière irlandaise. Elle ne doit pas être « en dur » pour satisfaire sa majorité, et exister quand même comme frontière, puisque le Royaume-Uni n’est plus dans l’Union douanière ! Ajoutons, au chapitre des miracles, que le bill du divorce (autour de 50 milliards d’euros) serait accepté par les Communes.

Mais, même alors, le stigmate durera, celui du Brexit. Il poussera les entreprises, et surtout les banques, à ne pas surinvestir dans leurs entreprises en Angleterre et dans la City, pour répartir leurs actifs. Au mieux, la croissance anglaise à terme serait réduite de 10%.

Scenario 2 : Départ de Theresa May en 2018, élections générales, succès de la ligne dure des Conservateurs (ou échec de Theresa May à obtenir les 27 signatures des membres de l’Union dont elle a besoin) : Hard Brexit et OMC au menu ! Pour lancer de nouvelles élections avant la date prévue (mai 2022), il faut un vote des 2/3 ou, plus vraisemblablement, un vote de défiance. C’est très possible.

Mais l’OMC est moins favorable bien sûr que l’Union, et l’OMC n’est pas bien équipée pour traiter des échanges financiers. Nombre de calculs donnent alors une perte de croissance d’un tiers pour le RU, soit mieux que la situation actuelle (de l’ordre de 45% d’écart de croissance par rapport au G7), mais quand même !

Scénario 3 : Départ de Theresa May en 2018, élections générales, arrivée du Labour. Imaginons en outre qu’il n’arrive pas seul (ce qui inquièterait les marchés, compte tenu de certaines de ses positions extrêmes), mais avec une alliance avec des centristes. L’idée serait alors de chercher un accord intermédiaire, le plus proche possible de l’Union. L’appel à un deuxième Référendum serait possible, avec l’idée d’effacer le premier et d’en traiter les cicatrices.

Alors les Travaillistes s’engagent plus pour l’Europe, convainquent les indécis actuels (10%) et si le nombre de votants Remain augmente : beaucoup de si. Mais que se passe-t-il si le non l’emporte à nouveau ? Les risques de désagrégation du Royaume-Uni n’en seraient que plus forts. Nous sommes face à un Harder Brexit ! La voie prudente est donc de négocier un divorce de velours, qui pèsera quand même sur la confiance et la croissance.

Ainsi, avec une coalition travailliste et modérés et un nouveau Référendum Remain, l’effet stigmate demeure (10% de croissance perdus), avec une renégociation « amicale » et sans Référendum, la perte est plutôt de 20%.

Avec le Brexit, le Royaume-Uni perd en croissance dans tous les cas, entre 10 et 35%. Les calculs favorables au Brexit semblent aujourd’hui disparus. Mais notre « analyse » est très partielle : un divorce est souvent un jeu perdant des deux côtés. On ne mesure pas ce qui peut se passer du côté de l’Union et de la zone euro. L’idée dominante est que ce qui se passe au Royaume-Uni est une leçon en vraie grandeur pour les euro-sceptiques. A voir, car rien n’est fini : la Chine peut, par exemple, profiter de l’occasion pour renforcer sa présence au Royaume-Uni, par une de ses routes de la soie. Dans les divorces en effet, celui qui perd peut chercher des voies qui affaiblissent relativement plus le conjoint. Il aura le sentiment d’avoir perdu relativement moins !

Les stratégies lose-lose sont le vrai risque, à empêcher absolument. My Kingdom for a horse, est le cri du désespoir, surtout si le Cheval (de Troie) est chinois.

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