Bombe migratoire : la Russie et la Biélorussie relancent leur guerre hybride vers l’Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Un demandeur d'asile assis sur le sol près du poste frontière de Nuijamaa entre la Finlande et la Russie, à Lappeenranta, dans le sud-est de la Finlande, le 17 novembre 2023.
Un demandeur d'asile assis sur le sol près du poste frontière de Nuijamaa entre la Finlande et la Russie, à Lappeenranta, dans le sud-est de la Finlande, le 17 novembre 2023.
©Photo by Alessandro RAMPAZZO / AFP

Trafic d'êtres humains

Plusieurs centaines de personnes dépourvues de visas, originaires pour la plupart du Moyen-Orient et d'Afrique, sont arrivées en Finlande en novembre, alors qu'ils n'étaient que quelques dizaines en septembre et octobre. Elles ont été acheminées à la frontière par la Russie, qui utilise l'immigration dans sa stratégie de guerre hybride.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : La Finlande a décidé le 18 novembre de fermer quatre de ses postes frontaliers et a rendu la demande d'asile possible uniquement à deux postes, plus au Nord. Pourquoi cette décision ?

Viatcheslav Avioutskii : La Finlande n’est pas un pays d’accueil classique comme la France, le Royaume-Uni ou l'Allemagne. Les autorités finlandaises ont constaté que du jour au lendemain, le nombre de demandeurs d'asile avait été multiplié par dix par rapport à une période classique. En deux jours, la Finlande a reçu un nombre de demandeurs d'asile équivalent aux quatre derniers mois. Après cette décision de la Finlande, les chiffres ont continué à augmenter.  

Dans la loi finlandaise, figure la possibilité de protéger ses frontières, c’est-à-dire de fermer la plupart des points de passage. Mais le pays se trouve dans une contradiction juridique. D’un côté, la Finlande a le droit de contrôler ses flux entrants, de l'autre côté, comme toutes les démocraties, la Finlande adhère à la Convention de Genève sur la protection des réfugiés. 

Dans quelle mesure la Russie et la Biélorussie utilisent-elles l'immigration comme une stratégie de guerre hybride ? 

Les immigrés sont originaires de Somalie et du Moyen-Orient (Syrie, Afghanistan). Ils se rendent en Russie comme demandeurs d’asile qui leur accorde un visa pour les accueillir. Puis elle les laisse partir.

Nous constatons que ces demandeurs d'asile reçoivent une sorte de package de services. Ils sont acheminés par bus depuis Moscou. Puis, ils peuvent arriver dans deux villes à proximité de la frontière finlandaise, Vyborg et Kostomoukcha. C’est là-bas que ces réfugiés sont accueillis par les gardes-frontières. Ils les acheminent ensuite jusqu'à la frontière. Puis, ces futurs demandeurs d'asile reçoivent des bicyclettes avec lesquelles ils arrivent jusqu’à la frontière. Il faut savoir que les points de passage sont ouverts pour les vélos et les voitures mais pas pour les piétons. 

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Depuis août 2023, le nombre de demandeurs d'asile a augmenté à la frontière orientale de la Finlande. Mais quelles sont les décisions prises par les autorités russes pour encourager l'augmentation des flux ?

Il s’agit de la bombe démographique dans la stratégie de guerre hybride qui a été introduite, il y a un certain temps, à l’époque de la guerre en Syrie sous le général Guerassimov.  Cette doctrine stipule que les guerres doivent économiser les ressources, être courtes, massives et multiformes. Il s’agit donc de combiner la guerre conventionnelle en utilisant l'effort militaire classique et aussi la guerre psychologique. Il peut y avoir le recours à d’autres moyens pour affaiblir l’Occident comme c’est le cas aujourd’hui avec l’immigration. Cela s’inscrit dans le cadre d’une guerre hybride.

La Russie profite du système légal et judiciaire de l’Occident, qui l’oblige à respecter les Droits de l’Homme. Elle sait aussi que les pays signataires de la Convention de Genève sont obligés d'accueillir les demandeurs d'asile et d’étudier leurs demandes. Elle s’organise donc pour créer une pression démographique sur les frontières.

Ce chantage rappelle beaucoup la crise de réfugiés en Biélorussie, en 2021, lorsque le dictateur biélorusse Loukachenko a menacé d'inonder l'Europe de drogues et de migrants. Il s’agissait d’une crise crée de manière artificielle : des ressortissants de l’Irak et d'autres pays pouvaient venir directement en Biélorussie. Des vols étaient organisés directement, à partir du Kurdistan Irakien. Et dans la crise de 2021, l’effet était beaucoup plus important car il y avait des dizaines de milliers de réfugiés qui étaient, dans un premier temps, acheminés à la frontière. Ils étaient ensuite pratiquement poussés par les gardes-frontières ou par les policiers biélorusses vers la frontière polonaise. Ces réfugiés se sont ensuite repliés sur d'autres frontières locales de l'UE. 

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Nous assistons aujourd’hui exactement au même modèle. Les réfugiés se voient accorder des visas par Moscou. Il y a une route de migration clandestine qui traverse la Russie. Des réfugiés viennent de manière très ponctuelle et très réduite d'Afrique, du Moyen-Orient en suivant un itinéraire au compte-goutte. Aujourd’hui, nous sommes en train d'assister à un engagement actif de l'État dans cette immigration. Les migrants sont acheminés par bus puis ils reçoivent des bicyclettes, toutes de la même marque. Ces vélos sont de très faible valeur parce qu’ils en ont besoin seulement pour faire 200 ou 300 mètres. Et une fois que ces personnes se retrouvent dans le no man's land et qu'ils constatent que le point de passage à la frontière est fermé, ils ne peuvent plus faire demi-tour. Les gardes-frontières russes ne veulent plus les accueillir. Les réfugiés se retrouvent alors bloqués entre les deux frontières, provoquant une crise humanitaire qui est très importante. 

L’échelle démographique de cette immigration est largement en dessous de l’échelle qu’il y avait en Pologne. Mais la Finlande reste très inquiète par cette augmentation. C’est le même scénario avec l'Estonie, à une échelle encore moindre. Les autorités estoniennes sont en train d'étudier aussi la fermeture totale des frontières et des points de passage. Ils ont le droit de le faire.

Lors de la vague migratoire de 2015, la Russie et la Turquie avaient laissé passer des milliers de migrants venus de pays comme la Syrie, l'Irak ou encore l'Afghanistan. L’intention de déstabiliser les pays occidentaux a-t-elle bien fonctionné ? Et y a-t-il d’autres objectifs ?

En 2015, les personnes qui traversaient le pays étaient simplement tolérées, alors qu’aujourd’hui les flux de population sont entretenus.  Avec Loukachenko, il y a eu un saut qualitatif avec l’ouverture des routes aériennes. Les visas étaient accordés d’une manière massive. 

Les autorités finlandaises constatent qu’il ne s’agit pas de clandestins puisqu’ils ont des visas et qu’ils n’ont pas traversé la Russie de manière illégale. Ce sont des personnes qui ont reçu des visas russes. Pour la Russie, le fait de délivrer des visas russes puis d’autoriser le passage aux migrants depuis leur propre frontière est illégal. La Russie teste la réaction de la Finlande. Les relations entre Moscou et Helsinki se sont dégradées depuis l’entrée de la Finlande au sein de l’OTAN. Pour cette raison, la Russie souhaite punir la Finlande et créer une tension dans cette zone et déstabiliser l’Union européenne de manière générale.

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