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Boao Forum : Xi Jinping souligne qu’il ne veut pas de guerre froide économique avec l’Occident
©FRED DUFOUR / AFP

Zen

Au Boao Forum for Asia, Xi Jinping s'est montré plus conciliant qu'habituellement, acceptant même de regarder son excédent commercial comme une source de tension. Tension qu'il affirme fuir.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Dans un discours prononcé à l'occasion du Boao Forum for Asia, régulièrement présenté comme le "Davos asiatique", le président chinois Xi Jinping a pu montrer une attitude apparemment plus conciliante vis à vis des critiques qui ont pu lui être adressées, notamment de la part des Etats Unis. En déclarant par exemple que la Chine ne cherchait pas à obtenir un excédent commercial, en se montrant favorable à une progression de ses importations, le président chinois cherche-t-il la désescalade avec les Etats-Unis ? ​Peut-on en conclure que les tentatives protectionnistes américaines sont efficaces ?

Rémi Bourgeot : La stratégie de développement de la Chine est désormais focalisée sur la montée en gamme technologique. Xi Jinping a voulu insister, lors du forum de Boao, sur le fait que les objectifs de réorientation allaient faire évoluer le pays dans un sens moins déséquilibrée vis-à-vis du reste du monde. Le problème réside dans le fait que la montée en gamme se produit dans un cadre structurellement déjà très déséquilibré sur le plan commercial. En particulier, l’ouverture du marché intérieur repose encore fondamentalement pour les entreprises étrangères sur la contrepartie de transferts de technologie dans tous les secteurs industriels en question ; transferts sur la base desquels la Chine améliore sa compétitivité, n’hésitant pas au passage à réexporter par le biais de ses propres marques domestiques les produits issus de ces technologies.

Le rééquilibrage chinois, s’il s’approfondit serait évidemment une bonne nouvelle pour l’économie mondiale, mais il reste naturellement à évaluer les conditions dans lesquelles il s’effectue. Et il s’avère que, sur le plan technologique, ces conditions elles-mêmes créent de nouveaux déséquilibres d’un autre type, qui menacent en retour le processus de modernisation technologique des pays développés, qui est pourtant indispensable.

Un problème économique très réel se présente ainsi, qui dépasse les approches politiques des uns et des autres. La question des investissements, et en particulier des rachats d’entreprises, apparaît comme essentiel bien qu’elle ait assez largement échappé aux débats commerciaux dans le cadre de l’OMC ces deux dernières décennies. La question n’est évidemment pas soulevée qu’aux Etats-Unis mais, de plus en plus, par l’ensemble des pays développés. La France s’en inquiète notamment, mais surtout on voit en Allemagne une prise de conscience très vive au sujet du rachat d’entreprises nationales, en particulier dans le secteur robotique. La carte de la compétitivité mondiale peut se trouver entièrement rebattue d’ici quelques années en fonction de la vitesse à laquelle les divers pays parviendront à développer et exploiter les technologies issues de la robotique, de l’impression 3D ou encore de l’intelligence artificielle.

L’approche de Donald Trump entre directement en collision avec la stratégie économique de Xi Jinping. Le débat évolue de façon intéressante aux Etats-Unis et, quelle que soit l’opinion des uns et des autres sur les mesures douanières actuelles, l’importance des déséquilibres commerciaux est de moins en moins ignorée. Le débat commercial tend à s’orienter davantage sur les conditions de l’avancement technologique. Donald Trump avait commencé par des mesures douanières théâtrales sur l’aluminium et l’acier (qui allait d’ailleurs à divers égards moins loin que celle de Barack Obama) puis a fini par se recentrer sur les technologies avancées.

La Chine, avec son excédent bilatéral en marchandises de 375 milliards de dollars en 2017 envers les Etats-Unis, est dans une position naturellement difficile. La voie de la surenchère qui a été empruntée par les dirigeants, avec l’annonce de mesures de rétorsion du même ordre que celles de Trump, est difficilement tenable. Une forme de négociation doit évidemment s’ouvrir. Celle-ci doit forcément porter sur la question de l’accès au marché intérieure et en fait inclure tous les aspects conflictuels, et notamment celle des rachats d’entreprises. Bien qu’on commence à voir poindre une forme d’échange à défaut encore d’une véritable négociation, les intérêts de court terme restent fortement contradictoires entre les deux pays, la stratégie économique de Xi Jinping étant directement menacée.

Comment anticiper la suite ? Un rééquilibrage macroéconomique global est-il réellement envisageable ?

On avait vu dans le contexte de la crise mondiale se réduire un certain nombre de déséquilibres commerciaux, du fait de la compression de la demande dans les pays développés. Mais on a surtout vu par la suite une stratégie de sortie de crise, en particulier en Europe, qui a largement reposé sur le développement d’excédents généralisées vis-à-vis des autres pays développés, au moyen de la compression salariale, en plus d’une compression budgétaire qui a été pratiquée au niveau politique en faisant l’impasse sur le développement technologique et ses moyens humains. 

Puis on a vu un certain nombre d’évolutions incontrôlées dans certains pays émergents, comme la déflation et la surproduction qui ont touché l’industrie chinoise et qui ont vu s’effondrer les prix dans un certain nombre de secteurs, notamment l’acier.

On peut aujourd’hui observer le développement de déséquilibres considérables. On a beaucoup parlé pendant les années de crise de la nécessité d’éviter une guerre commerciale. Si cette guerre commerciale n’a pas alors vraiment eu lieu sur le plan douanier, elle a bel et bien eu lieu en ce qui concerne ces mesures de compression de la demande visant à l’accroissement des exportations, sans parler naturellement des actions des autorités monétaires sur les taux de change.

La focalisation croissante sur les secteurs technologiques peut être un moyen de sortir de la course à l’abîme qui a été au cœur de la stratégie de sortie de crise d’un certain nombre de pays, et de reprendre le chemin de gains de productivité importants.

Dans un tel cas, quels seraient les bénéfices à attendre d'un tel rééquilibrage pour les Européens ? 

L’Union européenne, à défaut de parvenir à élaborer une nouvelle politique technologique ambitieuse, reste prisonnière d’une vision économique de type comptable qui repose sur l’accroissement d’exportations à faible contenu technologique et reposant sur les bas salaires. Ce modèle est devenu l’étalon de la bonne gouvernance économique pour des pays qui tentent d’adopter la vision qu’ils se font du modèle allemand. On peut dire aujourd’hui que l’Europe est en train de rater la révolution industrielle en cours dans le monde. Il ne faut pas y voir une fatalité naturellement, mais il manque pour l’heure un véritable effort de compréhension des ressorts du développement. 

En France, sur la question de l’intelligence artificielle, Cédric Villani a produit un rapport aussi riche qu’original qui ouvrait des voies porteuses, en soulevant notamment la question de l’accroissement et de la mise en commun de la puissance de calcul. Les mesures du gouvernement se concentrent pour leur part sur un plan de nature financière auquel manque une stratégie technologique et humaine, et dont on peut craindre que l’allocation soit prisonnière de prises de décision bureaucratiques.

La course technologique en cours dans le monde doit amener l’Europe à repenser le modèle de développement court-termiste qui s’est aggravé depuis la crise. Cette prise de conscience commence tout juste.

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