Blair, Schröder… Macron : et si le vrai candidat de la gauche de gouvernement était déjà à l’Elysée ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président Emmanuel Macron s'exprime devant la maire de Paris, Anne Hidalgo, lors de l'inauguration de l'Arc de Triomphe à Paris et de l'oeuvre de Christo, le 16 septembre 2021.
Le président Emmanuel Macron s'exprime devant la maire de Paris, Anne Hidalgo, lors de l'inauguration de l'Arc de Triomphe à Paris et de l'oeuvre de Christo, le 16 septembre 2021.
©LUDOVIC MARIN / PISCINE / AFP

Ni vu, ni connu

Par sa rhétorique du et-gauche-et-droite en-même-temps, Emmanuel Macron est parvenu à masquer à la fois sa véritable identité politique et celle de son apport à la vie politique française.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : On se souvient qu’Emmanuel Macron avait remporté l'élection de 2017 en s’appuyant notamment sur les sympathisants du PS. Cinq ans après, dans quelle mesure sont-ils en passe de lui permettre une réélection ? Emmanuel Macron est-il d’une certaine manière, le candidat de la gauche de gouvernement ? Comment s’inscrit-il dans une filiation se rapprochant de celle d’un Dominique Strauss-Kahn, d’un Manuel Valls ou d’une Ségolène Royal ?

Jean Petaux : Avec un « bloc de gauche » (mélenchonistes, socialistes, écologistes, communistes et les derniers arrivés sur scène, les taubiristes) qui se tient dans une fourchette entre 24 et 28% d’intentions de votes, autrement dit qui n’a jamais été aussi faible, même en au premier tour de la présidentielle de 1969, il faut bien que les électeurs de gauche soient « allés quelque part ». Certes une part non négligeable vient grossir les rangs des abstentionnistes potentiels, encore que les dernières estimations de l’abstention ne sont pas si catastrophiques que cela. C’est donc bien du côté de Macron qu’une partie de ces mêmes électeurs qui l’avaient déjà rejoint en 2017 envisagent de retourner.

Le président sortant n’est pas le candidat de la gauche de gouvernement, il est, plus précisément, le candidat « d’une » gauche de gouvernement (car il y en a potentiellement plusieurs) et il n’est pas que cela bien sûr. En 2017, le noyau dur de La République en Marche était constitué de socialistes en rupture de parti. Certains déjà « capés » tels que Richard Ferrand, Christophe Castaner, François Patriat, parlementaires, députés et sénateurs, étaient tous socialistes. Les conseillers non élus étaient, pour la plupart, issus de cabinets ministériels de membres des gouvernements formés entre 2012 et 2017 pendant le quinquennat Hollande : le « premier d’entre eux » Alexis Kohler, Grivaux, Denormandie, Séjourné, Attal, Baune, etc. Sibeth Ndiaye, première attachée de presse du nouveau président élu en 2017 a fait ses classes au MJS et dans un cabinet socialiste. Il y a même eu un autre secrétaire général adjoint de l’Elysée (autre que Macron), Thomas Cazenave, sous le président Hollande, certes à la toute fin du quinquennat, à être l’un des plus proches d’Emmanuel Macron pendant la dernière campagne présidentielle. En fait il faudra attendre la nomination d’Edouard Philippe à Matignon pour voir arriver quelques personnalités « classées » à droite dans le paysage macroniste. Manifestement c’est dans le cercle des Strauss-Kahniens que le recrutement des « conseillers socialistes » s’est le plus opéré. Si l’on peut considérer qu’il y a peu de filiation « royaliste » chez Macron (si tant est qu’il soit aisé d’identifier une pensée politique chez Ségolène Royal…), en revanche il y avait bien un « corpus » défendu par Dominique Strauss-Kahn, ne l’oublions pas, l’un des plus brillants esprits du PS à partir des années 1990. Celui-ci tenait surtout sur un socle : « l’économie sociale de marché ». Autrement dit le néo-libéralisme dans sa dimension dérégulée portée par l’accroissement du marché et la mise en concurrence tous azimuts, y compris au prix d’une souveraineté nationale rétrécie, mais avec une « teinte » de « socialisme », c’est-à-dire un train de mesures sociales destinées à rendre acceptable la potion amère du libéralisme, pour la classe moyenne. Emmanuel Macron est l’héritier de ce courant socialiste, entre autres influences. Il est manifestement plus « radical » que DSK dans l’administration de la « thérapie de choc », différence qui explique qu’il a été plus efficace que l’ancien ministre de l’Economie et des Finances de Lionel Jospin pour faire descendre les Français dans la rue. Même si la comparaison n’est pas aisée puisque les responsabilités politiques et gouvernementales de DSK étaient bien moindres que celle du président de la République élu en 2017… Donc sa capacité à générer de la protestation (en dehors des femmes de ménage new-yorkaises, mais cela c’est une autre histoire) bien moindre que celle de Macron.

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Dans quelle mesure l’identité politique, et les réformes qu’il a mené pendant cinq ans, s’inscrivent-elles dans une évolution longue de la gauche du gouvernement ayant changé de modèle intellectuel sur les questions économiques et sociales ? Faut-il voir dans LREM un PS qui a accepté ces changements et acté une mue qui avait déjà eu lieu ?

Jean Petaux : Pour partie oui. Le PS a toujours été parcouru de courants divergents et parfois même très antagonistes, sur la construction européenne, l’économie, l’éducation,  entre les rocardiens par exemple (classés à l’aile droite du PS dans les années 1979 – 1985) et les chevènementistes du CERES, se présentant comme tenants de l’orthodoxie marxisante entre 1971 et 1990. François Mitterrand a joué remarquablement bien de ces tensions, s’appuyant tantôt sur une aile, tantôt sur l’autre, pour assurer, à la partie centrale qu’il contrôlait, (le bloc jospino-fabio-joxo-mermazien, jusqu’en 1986) la majorité de gouvernement du PS. On peut donc dire, quarante ans après ces parties de jeu d’échec qui faisaient la vie quotidienne de « Solférino » (la direction nationale du PS) qu’une partie de LREM est l’héritière de cela avec un « micro-parti » comme « Territoire de progrès » désormais dirigé par le ministre délégué aux Comptes publics, Olivier Dussopt mais où se reconnaissent des ministres régaliens importants comme Jean-Yves Le Drian ou Florence Parly, tous les deux membres d’un gouvernement socialiste antérieurement. Cet héritage, social-démocrate assumé, avec une adhésion à certains principes de l’économie libérale, n’est pas nouvelle pour le PS. Il ne faut pas oublier que Pierre Bérégovoy, ministre de l’Economie et des Finances tout puissant après la réélection de François Mitterrand à l’Elysée en mai 1988, aidé de son directeur de cabinet Jean-Charles Naouri que l’on retrouvera à la tête du groupe des hypermarchés Casino, a été le plus grand et féroce « dérégulateur » des marchés financiers que la France ait connu. Au point que dans son remarquable (gros) ouvrage consacré au capitalisme français des années 1980 aux années 2010, intitulé « Les Grands fauves » (Plon, 2021)) Christophe Labarde interrogeant la plupart des grands patrons français de Bébéar à Arnault, en passant par Kampf, Pébereau, Lachmann, Fourtou ou Bolloré, est étonné de les entendre tous lui dire « Merci Mitrand » (c’est avec cette prononciation que les gens de droite et du PCF appelaient François Mitterrand dans les années 70-80).

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Peut-on considérer qu'Emmanuel Macron a dans une certaine mesure "réinventé" la gauche de gouvernement malgré elle, comme Gerhard Schröder l’avait fait en Allemagne et Tony Blair au Royaume-Uni ? Quelle a été la stratégie de Macron ?

Jean Petaux : Emmanuel Macron n’a pas « réinventé » la gauche, il l’a préemptée, ou si l’on peut dire, « rachetée » par une OPA alors qu’elle était, sinon à vendre, disposée, pour partie, à se faire prendre. Schröder et Blair ont, eux, fait muter leur gauche, le SPD d’un côté (qui avait quand opéré sa mue principale dès le Congrès de Bad-Godesberg en 1959, programme qui va être la feuille de route du SPD jusqu’au programme de Berlin adopté en 1989 puis de Hambourg en 2007) et le Labour de l’autre. La fameuse « troisième voie » prônée par Blair et Giddens, l’économiste de la LSE (London School of Economics), rompt avec le « travaillisme » à l’ancienne du « Old Labour », celui que Maggy Thatcher a écrasé pendant toutes ses années au pouvoir à Downing Street, mais Blair est resté quand même dans le cadre du Parti Travailliste britannique, tout comme Schröder dans celui du Parti Social-Démocrate allemand. Alors que Macron n’a pas du tout agi de la sorte avec le PS. Outre qu’il n’en était pas membre, il l’a dynamité de l’extérieur, tout comme il l’a fait pour Les Républicains. Macron est un coucou qui a fait ses œufs dans les deux partis de gouvernement français et a su trouver des « frères de lait » dans chacun d’eux pour conquérir le pouvoir et présider aux destinées du pays depuis 2017. Il arrive parfois que même des frères de lait s’entre-déchirent et ne se fassent pas de cadeaux. Ainsi Caïn et Abel ne se sont pas « loupés », Romulus et Remus non plus (enfin, pour être précis, dans les deux cas, ce sont les deux premiers qui n’ont pas manqué les deux seconds…). On saura très vite ce qu’il en sera pour Emmanuel Macron… Il suffit de regarder du côté du Havre par exemple. La stratégie d’Emmanuel Macron, celle qui a consisté à « aspirer » la substance idéologique d’une partie du PS et d’une autre partie de LR peut trouver ici ses propres limites. Il manque à LREM un corpus spécifique, un « narratif politique » comme disent les communicants aujourd’hui et surtout un contenu programmatique accroché à des fondations idéologiques solides et arrimées.

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Comment expliquer que malgré cet ancrage existant à gauche, la perception de Macron soit autre ? Comment a-t-il masqué ou brouillé son identité politique et celle de son apport à la vie politique française ? 

Jean Petaux : Plusieurs facteurs s’entrechoquent sans doute ici qui expliquent cette « dissonance cognitive ». Puisque gouverner est affaire de symboles, il est manifeste qu’en s’attaquant à l’impôt sur la fortune, même si celui-ci n’était pas si rémunérateur que cela, même s’il était certainement réformable, Emmanuel Macron, très tôt dans son quinquennat, a touché à une des « vaches sacrées » de la gauche. Il aurait pu faire tomber d’autres « idoles » : les 35 heures, la sélection à l’entrée de l’université, les aides aux écoles privées et confessionnelles sous contrat, jadis « chiffon rouge » de la gauche orthodoxe et laïcarde. Il s’y est essayé avec la réforme des retraites, mais a dû, plus pour cause de Covid que de mobilisation de la gauche, y renoncer. Même s’il n’a donc pas mis par terre tous les acquis sociaux portés ou arrachés à des gouvernements de gauche, Macron porte, pour une partie de l’opinion française, les stigmates d’un  homme de droite, vite estampillé « président des riches ». L’expression n’a pas de sens et est typiquement une catachrèse, figure de style qui consiste à détourner le sens d’un mot : il n’y a pas plus de « président des riches » que de « curé des pauvres » ou de « fée du logis ». Parce que la notion de « riches » n’a aucune forme de pertinence heuristique, et de la même manière, « les pauvres » ne correspondent à aucune classe sociale précise et délimitée. Le paradoxe c’est que bien qu’affublé de cette « étiquette » Emmanuel Macron est encore le président sortant qui bénéficie d’une cote de popularité plutôt stable, en tous les cas bien supérieure à celle de ses deux immédiats prédécesseurs. En poussant le stigmate jusque dans ses retranchements absurdes on pourrait considérer alors que les « riches » sont nombreux en France. Or on sait bien que ce n’est pas le cas. Reste qu’Emmanuel Macron recueille des pourcentages plutôt flatteurs en matière de crédibilité présidentielle, tant dans les domaines régaliens (hormis la sécurité où la droite, pour le coup, la « vraie droite », est toujours en tête) que dans ceux liés à la crise sanitaire et à ses conséquences économiques. C’est peut-être là une des conséquences du « paradoxe macronien » : « le en-même-temps génère forcément une image floue et difficilement circonscrite à une seule case de l’échiquier politique ». Or en politique, quand l’image est floue ce n’est pas, comme disait la grand-mère de Martine Aubry, « qu’il y a un loup ». Il serait plus juste de dire, comme dans la réalité : « Quand l’image est brouillée, c’est que le sujet a bougé ». La force d’Emmanuel Macron, ce qui le rend finalement assez insaisissable, c’est sa « mobilité politique », son agilité et sa fluidité. En dépit des clichés, des stéréotypes et de certaines des détestations qu’il inspire, qui ne parviennent pas, pour l’instant, à le figer dans le rôle du « bouc-émissaire » ou dans celui de Saint-Sébastien, criblé de flèches par ses adversaires.

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