Bio-ingénierie : ces recherches sur les virus qui font craindre que la prochaine pandémie soit vraiment issue d’un laboratoire<!-- --> | Atlantico.fr
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L'une des hypothèses concernant l'origine de la pandémie de Covid-19 est celle d'une fuite du laboratoire P4 de Wuhan.
L'une des hypothèses concernant l'origine de la pandémie de Covid-19 est celle d'une fuite du laboratoire P4 de Wuhan.
©Hector RETAMAL / AFP

Pas de la science-fiction

Le gouvernement américain financerait notamment des recherches visant à rendre les virus plus transmissibles.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : La fuite de pathogènes d laboratoires est une source d’angoisse pour de nombreux chercheurs et pour les populations. D’ailleurs le Covid, dont l’origine est encore inconnue, est un exemple de cette peur. Certains scientifiques s’alarment même que les futures pandémies puissent être dues à des fuites de laboratoire, comme ça a pu être le cas à moindre échelle par le passé. Que sait-on de la réalité de ces risques futurs ?

Antoine Flahault : La fuite d’agents pathogènes de laboratoires de microbiologie est un risque reconnu, tout comme celui d’éléments radioactifs ou de substances chimiques dangereuses de la part de ceux qui les produisent ou les manipulent. Il ne s’agit pas de peurs fantasmatiques ou chimériques, on sait que cela a existé dans le passé et risque de se reproduire à l’avenir.

Il y a déjà eu une pandémie provoquée par une fuite par inadvertance d’un virus de la grippe. Ce fut en 1977, la souche en question était un virus H1N1 très voisin d’une souche datant de 1950. Depuis la pandémie grippale de 1957, le virus H1N1 ne circulait plus sur la Terre. H1N1 était le virus grippal qui avait initialement émergé lors de la pandémie de 1918-19, de grippe espagnole, puis qui a circulé jusqu’en 1957 en causant des grippes saisonnières annuelle. Même si ni l’OMS ni la Russie n’a admis l’hypothèse de l’accident, la communauté scientifique converge pour penser qu’il s’est bien agi d’un accident de laboratoire russe, très probablement non intentionnel. L’Union Soviétique à l’époque menait des recherches militaires secrètes sur le virus de la grippe qui était un candidat d’intérêt pour préparer une guerre biologique. Ces recherches étaient pourtant interdites par la Convention de l’ONU sur l’Interdiction des Armes Biologiques, signée par les Russes en 1972. Cette pandémie très probablement accidentelle a quand même causé 700 000 morts dans le monde.

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On se souvient par la suite d’utilisations malveillantes répétées d’agents pathogènes, culminant avec les attaques de 2001 par des enveloppes contenant de l’anthrax, aux Etats-Unis. A la suite de ces menaces, les Etats-Unis et l’Europe ont investi massivement dans la recherche sur le bioterrorisme pour mieux espérer contrer d’éventuelles attaques en préparation. Cette période a permis l’équipement de nouveaux laboratoires de haute sécurité biologique dans le monde et le financement par l’argent public de programmes de recherche dans ces domaines. Ont alors fleuri de nombreux travaux, plus ou moins discutables, sur des manipulations d’agents pathogènes visant à étudier leur adaptation potentielle à l’homme et leur dangerosité.

Un article du Financial Times souligne que les recherches sur l'ingénierie génétique, notamment aux Etats-Unis, impliquent la manipulation de substances dangereuses qui pourraient être des bombes à retardement. Devons-nous être inquiets ?

Cet article du Financial Times bien renseigné fait état de plusieurs travaux de recherches menés cette dernière décennie, et financés aux Etats-Unis par les fonds publics dans le domaine. L’investigation conduite par le journal montre bien que plusieurs équipes de recherche coopéraient avant la pandémie au niveau international, avec de nombreux échanges en particulier entre les USA, l’Europe et la Chine. Ces équipes conduisaient des recherches à des fins pacifiques mais qui présentaient parfois, de l’aveu des chercheurs impliqués eux-mêmes, une très grande dangerosité pour l’homme. La présidence Obama avait alors lancé un moratoire sur les recherches concernant les coronavirus et les virus de la grippe, au grand dam de certains chercheurs. Ce moratoire a plus ou moins été contourné à plusieurs reprises puis a été levé par l’Administration Trump permettant la reprise des essais par les chercheurs. On a recensé plusieurs accidents non intentionnels durant cette période, mais aucun ne s’est jamais soldé par des transmissions communautaires. On a reproché à l’une des équipes en particulier d’avoir laissé repartir chez lui, pour se mettre en quarantaine sans sa famille, un chercheur victime d’une contamination non intentionnelle dans son laboratoire. Il aurait été plus prudent et conforme aux procédures de l’isoler dans un lieu contrôlé, vue la dangerosité de l’agent pathogène avec lequel le chercheur s’était blessé.

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On ne saura probablement jamais l’origine de la pandémie de COVID-19. Parmi les hypothèses, il y a la contamination initiale d’un animal sauvage par une chauve-souris, cet animal sauvage ayant été mis en contact avec l’homme, soit au sein d’un élevage (par exemple un élevage de visons), soit comme pièce vendue vivante au marché de Wuhan qui fut incriminé au début de la pandémie.

Une deuxième hypothèse serait donc la fuite de laboratoire en raison de la coïncidence, troublante il est vrai, de l’existence d’un laboratoire de haute sécurité (construit par les Français après la crise sanitaire du SRAS en 2003) et qui était l’un des rares laboratoires au monde menant de nombreux travaux de recherche sur les coronavirus. Ce laboratoire a toujours nié être à l’origine d’une telle fuite et la seule évocation de cette hypothèse met très rapidement dans une colère noire le pouvoir politique de Pékin. La responsable de ces recherches, la Docteure Shi, porte même le sobriquet par ses pairs de « Batwoman », car elle est une experte mondialement reconnue sur les chauve-souris du genre Rhinolophus, celle même qui est l’hôte des coronavirus proches du SARS-CoV-2. Cette chauve-souris est endémique de la province chinoise du Yunan où l’équipe du Wuhan Institute of Virology conduit ses campagnes de captures d’animal et de prélèvements de coronavirus.

Une troisième hypothèse qui n’est en fait qu’une variante de la deuxième, ne serait pas une fuite de laboratoire à proprement parler mais plutôt une contamination involontaire faisant suite à une faute d’asepsie lors des campagnes visant à capturer les chauve-souris dans les grottes du Yunan du sud de la Chine. Un technicien de laboratoire ou un chercheur aurait pu se contaminer par accident ou lors d’une rupture de protocole et développer une forme asymptomatique ou pauci-symptomatique à son retour à Wuhan et y contaminer ses proches.

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La mission de l’OMS n’ayant pas eu l’autorisation par le gouvernement chinois d’explorer ces hypothèses, pas davantage qu’en Russie soviétique lors de la pandémie de 1977, nous ne saurons probablement jamais le fin mot de l’histoire. C’est évidemment très dommage, pire c’est très dommageable car l’humanité risque de ne pas pouvoir apprendre de ses éventuelles erreurs si elle n’accepte même pas de les investiguer puis de les reconnaître.

Un futur traité pandémique est en cours de discussion dès ce mois de novembre à Genève par l’Assemblée Mondiale de la Santé (qui est le conseil d’administration de l’OMS). Il faudrait que ce traité soit assorti d’une clause accordant le pouvoir d’investigation à l’OMS afin qu’elle puisse conduire des missions indépendantes et libres sur n’importe quel site des pays signataires du traité. Jusqu’à présent ce type de prérogatives avait toujours été refusé au directeur général de l’OMS par les Etats membres. Dans le cas de cette pandémie, si l’on n’est pas en mesure de conclure sur l’origine de la pandémie, alors il conviendrait de les considérer toutes comme plausibles et même équiprobables. Cela conduirait à se donner les moyens pour contraindre les Etats de ne plus conduire de recherches manipulant les virus dangereux, notamment celles dites de gains-de-fonction sur des agents pathogènes pour l’homme.

Il faudrait aussi encadrer avec beaucoup plus de rigueur les prélèvements sur animaux sauvages, et exiger de rapporter les accidents à un organisme international, par exemple de même niveau de contraintes internationales que celui des bureaux enquêtes accidents du secteur aéronautique. On pourrait enfin s’inspirer des normes de sécurité des centrales nucléaires ou des usines chimiques classées à haut risque à propos des laboratoires de haute sécurité biologique puisqu’ils semblent ne pas être toujours de si haute sécurité que leur qualificatif le prétend.

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