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Bill Gates a-t-il raison de penser que le capitalisme a des priorités viciées ?
©Flickr / World Economic Forum

Bonnes oeuvres

Bill Gates a récemment critiqué le capitalisme estimant que ses priorités étaient "fondamentalement viciées".

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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La presse américaine rapporte une intervention de Bill Gates à la Royal Academy of Engineering. Dans cette intervention, et c’est ce qui justifie notre intérêt, Bill Gates critique le capitalisme " comme ayant des priorités fondamentalement viciées".  

Dans cette intervention, Bill Gates soutient que le vaccin contre la malaria devrait être une priorité mondiale. Cependant, les recherches sur ce vaccin ne disposent pour ainsi dire d’aucun financement. Bill Gates le déplore car, comme il dit, si vous travaillez sur la calvitie des hommes, vous récoltez et vous mettez en œuvre des fonds absolument énormes. Grosso modo donc, Bill Gates critique le capitalisme, le capital, le critère du profit. Il oppose en quelque sorte l’économie du désir à l’économie des besoins.

Première remarque , l’intervention de Bill Gates nous fait sourire. Certes, il est sympathique, mais il a quand même tort de se mêler de ce qui le dépasse. Il devrait faire le bien, tel qu’il l’entend, tranquillement de son côté et laisser la critique de la société et du système à d’autres, plus habilités à le faire.

Bill Gates a choisi d’améliorer son image, il a choisi de se construire une "réputation". Ses conseillers l’ont orienté vers la lutte contre la malaria. C'était un domaine disponible. Ses conseillers en relations publiques et attachés de presse lui recommandent de "bien faire et de le faire savoir". Jusque-là il n’y a rien à dire. Là où il dérape, c’est quand il veut en plus intervenir dans des débats politiques, voire philosophiques.

Les capitalistes ne devraient pas se mêler de ce qui leur est étranger. Ils savent innover, entreprendre, gérer ; c’est parfait. C’est de leur ressort et de leurs compétences.

Est-ce que leur réussite capitaliste ou entrepreneuriale les autorise à s’exprimer sur des sujets dont ils ignorent tout, sur des sujets complexes ? Des sujets qui font l'objet de recherches et de débats depuis des siècles? Nous ne le pensons pas. Nous pensons qu’ils commettent ce que nous appelons un abus d’autorité. Bien entendu, nous caricaturons, mais l’avis de Bill Gates sur le système capitaliste ne vaut guère plus que celui de Zidane sur les rémunérations élevées.

C’est une tentation constante chez les gens riches de se mêler de ce qui ne les regarde pas. Certains font l’effort de réfléchir, de travailler, de se documenter et c’est le cas, par exemple, de Soros qui veut modifier le cours de l’histoire mondiale grâce à la philosophie de Karl Popper. Beaucoup d’autres qui font la même chose n’ont pas le bagage de Soros mais cela ne les empêche pas d’en avoir la prétention.

Le capitalisme n'existe pas. C'est un mot, un concept, une réification. Ce qui existe, ce sont les capitalistes. De même, le marché n'existe pas plus, ce qui existe ce sont des intervenants qui confrontent leurs désirs dans le cadre d'institutions qui facilitent cette confrontation.

De tous temps, les capitalistes, les ultra-riches, ont utilisé une partie de leur fortune pour, passez-nous l’expression, se diversifier.  Les uns sont entrés en politique, comme l'adversaire d'Obama lors de la dernière présidentielle. Les autres se sont voulus mécènes en matière d’art, d’autres se sont voulus sponsors en matière de sport, d’autres ont eu la prétention de faire avancer la science, d’autres encore ont investi dans la presse et dans la manipulation, formation de l’opinion publique. Il y a eu en la matière beaucoup d’appelés et bien peu d’élus.

Les réussites sont rares. Pourquoi ? Parce que, comme nous le disons, le monde est complexe, le fait d’être spécialisé dans un domaine ne garantit nullement la réussite dans des secteurs voisins. Notre première idée est donc que lorsque les gens comme Bill Gates s’érigent en donneurs de leçons ou en contempteurs du système, ils se comportent en faussaires. Ils utilisent une notoriété acquise dans une spécialité pour la faire glisser sur une autre. Ils mettent une estampille sur une marchandise fausse. Ils sont géants économiques, mais nains de la pensée.

Notre seconde remarque se présente sous une forme ironique, mais en réalité, elle est très sérieuse. Nous demandons simplement à Bill Gates : Qui t’a fait roi ? Qui a fait de toi ce que tu es ? Notre ami ne peut répondre autrement que par la réalité : le système capitaliste.

Bill Gates est un pur produit du capitalisme américain. Il a créé une entreprise, il a innové, il a pris des risques et comment a-t-il fait fortune ? Il l’a fait, comme tous les capitalistes modernes, en vendant son entreprise sur le marché. En profitant de la mécanique boursière (que soi-dit en passant, nous considérons comme délirante) qui permet de vendre une entreprise au public sur la base d’un multiple de ses bénéfices et de ses fonds propres. Sur la base d'anticipation de richesses non existantes et simplement espérées. Il a bénéficié de la magie des marchés qui prend le bénéfice, qui lui affecte un multiple de 20 à 70 fois, qui crée ainsi une valeur fictive du capital, valeur que les gens comme Bill Gates n'ont plus qu’à concrétiser en vendant soit en bloc soit au fil des ans. Nous signalons en passant que ce processus dont a bénéficié Bill Gates ne fonctionne que dans un système capitaliste devenu  kleptocratique, puisqu’il a réalisé sa plus-value personnelle sur le marché et que si le marché paie aussi cher, c’est parce que le "pouvoir d’achat" des investisseurs est dopé par la dette et la création monétaire. 

Bill Gates est à la fois un pur produit du capitalisme entrepreneurial et un pur produit du capitalisme financier. Si ce système n’existait pas, il n’y aurait pas de Bill Gates, il n’y aurait pas de donneur de leçon, il n’y aurait pas de critique du capitalisme.

Bill Gates ne comprend pas qu'il est pur produit du système capitaliste et que le système l'utilise comme un détour pour ... faire le bien. Le capitalisme n'est pas suspendu dans les airs, il s'inscrit dans un système social, un système de valeurs et dans ce système de valeurs pour que le système marche et soi considéré comme acceptable, il faut faire des choses non directement profitables. Il faut des Gates, des Soros, des Warren Buffett et des Marcel Dassault.

Tout système ne vit que de sa propre dénonciation, il faut que des gens le critiquent pour qu'il avance, pour qu'il s'adapte et ainsi puisse se reproduire. En un sens, nos trois lascars qui stigmatisent le système capitaliste exercent leur fonction de.... reproducteurs, agents d'entretien du système. Tout comme Mai 68 a consacré le règne de la marchandise contre lequel il prétendait s'insurger.

Au niveau personnel, c’est une caractéristique constante que les gens soient ingrats. Plus on profite, plus on est ingrat. Cela se comprend car, dans le délire narcissique, on a toujours tendance à vouloir s’attribuer les mérites de sa situation et, inversement,  tendance à scier la branche sur laquelle on est assis, c’est-à-dire à critiquer le système dont on a bénéficié.

Nous terminerons par une troisième remarque. Ce qui est extraordinaire, c’est que Bill Gates critique le système capitaliste comme étant incapable de financer des besoins non solvables alors que lui, le capitaliste type, donne précisément la preuve du contraire. Il démontre le mouvement en marchant, c'est a dire "la bonté", la morale du capitalisme.

Le système capitaliste est efficace. Il produit un excès de richesse considérable. Cet excès de richesse rentre dans le circuit économique, soit par le biais du gaspillage, soit par le biais de bonnes œuvres. C’est une sorte de "part maudite" du système, une sorte de surplus tombé du ciel qui va financer des dépenses non directement liées aux profits ou à l’économie de marché au sens restreint. Mais ces dépenses sont essentielles au maintien du système, en quelque sorte, elles contribuent à la reproduction des valeurs qui lui permettent d'exister.

De tous temps, il a existé des surplus de ce type, dans tous les systèmes. De tous temps, une fraction de ce surplus a été utilisée par une caste privilégiée pour la satisfaction de besoins non marchands. Ou apparemment non marchands.C’est exactement ce que fait  Bill Gates. Il utilise cette part que nous qualifions de maudite, cet excès de richesse, pour accomplir une œuvre qui peut selon les cas, selon le hasard, s’avérer utile ou inutile.

Utile, nous verrons car, comme dit le bon sens, l’important n’est pas seulement de chercher, mais de trouver. Les recherches que financent Bill Gates ne s’avèreront utiles que lorsqu’elles auront débouché sur quelque chose. Entre temps , elles servent peut être à entretenir le confort d'une bande de profiteurs. Qui sait? Gates est tombé dans le piège classique de l'animisme ou de l’intentionnalité. Il ne suffit pas d'avoir de bonnes intentions pour faire le bien.

C'est Lippman qui disait "il ne faut ni beaucoup de génie ni même beaucoup de réflexion pour traiter d'un mal en disant à quelqu'un de donner l'ordre de le guérir".

Remarquons au passage qu’en matière économique, même l’inutile est quelquefois utile. Voire la fable des abeilles de Mandeville sur les vertus du gaspillage. Mais si l’on en reste à l’utile, les dépenses de Bill Gates qui s’inscrivent soi-disant en dehors du marché, s’inscrivent en réalité dans un marché beaucoup plus vaste auquel il prétend accéder, comme son ami Buffett  et dans lequel  le marché économique n’est qu’une partie, le marché de la Reconnaissance, le marché du Pouvoir.

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