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Bijoutier tueur : entre Far West et état de droit, quelle place pour la légitime défense ?
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Shérififi

Un bijoutier parisien a été mis en examen pour homicide volontaire et placé sous contrôle judiciaire pour avoir riposté contre un malfaiteur armé qui voulait cambrioler sa boutique, la semaine dernière.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Au moment où la peine de mort décline très sensiblement aux Etats-Unis, aussi bien pour des motifs éthiques que financiers (Le Figaro), une affaire récente en France a mis en évidence une nouvelle fois les difficultés tenant à l’appréciation de la légitime défense. Un bijoutier parisien, dans le 7ème arrondissement, a en effet été mis en examen pour homicide volontaire et placé sous contrôle judiciaire le 21 juillet, à la suite de la mort en riposte d’un malfaiteur armé atteint au thorax et à la hanche.

L’information étant en cours, on ne peut préjuger la décision finale qui admettra peut-être la validité de la thèse de la légitime défense.
Reste que la qualification de meurtre initialement retenue ne laisse pas d’étonner avec la présomption d’intention homicide supposée quand le crime de coups mortels aurait pu sembler plus justement imputé.

Les premiers éléments font apparaître en effet que celui-ci a été menacé, conduit dans son arrière-boutique. Il résiste quand son agresseur veut lui attacher les mains. Ce dernier prend le dessus et pointe, avec encore plus d’intimidation, son arme sur le bijoutier qui, en ayant placé une - légalement détenue - dans sa poche lors de l’entrée de l’inconnu dans sa boutique, s’en saisit alors et tire à plusieurs reprises sur ce dernier (Le Parisien). Selon l’excellent avocat du mis en examen, celui-ci ne comprend pas pourquoi il a été « braqué » et les circonstances ayant abouti à cette mort. Il s’émeut d’être ainsi « montré du doigt par la justice ».

Il convient de souligner aussi que le bijoutier avait déjà été victime de braquages, en 1978 et 1979, dans le 13ème arrondissement et que, lors du deuxième, il avait blessé l’un de ses agresseurs qui lui avait tiré dessus. Une réflexion plus large, dépassant cette tragédie ayant causé la mort d’un homme de 52 ans, Mahjoub Ainani, seulement connu pour recel en 2009, serait pertinente sur la notion de légitime défense.

J’ai l’impression que pour éviter, et à bon droit, les dérives d’une société qui livrée à elle-même ressemblerait au Far West, on tombe à rebours dans une sorte de juridisme qui ne tient absolument pas compte de la réalité, des menaces, des agressions, des armes, de l’angoisse et du caractère scandaleusement intrusif de la malfaisance dans des lieux dont la vocation est d’urbanité et de tranquillité. Ce qui m’est toujours apparu très sujet à caution dans les discours légalistes et dans l’interprétation parfois trop abstraite de la loi tient à l’exigence de proportion qui voudrait contraindre en permanence l’agressé à une maîtrise rationnelle d’un drame qu’il subit et éprouve à cause de la responsabilité exclusive de l’agresseur. Il y a une profonde absurdité à mettre en parallèle sur un plateau de la balance le crime, le délit et leurs terribles imprévisibilités et sur l’autre un impossible sens de la mesure.

Entre le Far West et l’Etat de droit, il y a place pour un humanisme qui subtilement ne viendrait pas au secours des transgresseurs, mais favoriserait la défense sociale.

Cet article a été publié précédemment sur le blog de Philippe Bilger

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