Bébés congelés : l’explication psychologique du choix du congélateur dans ces infanticides à répétition<!-- --> | Atlantico.fr
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La police enquête pour connaître les raisons de ce geste
La police enquête pour connaître les raisons de ce geste
©Reuters

Drame ordinaire

Les corps de cinq bébés congelés ont été découverts jeudi 19 mars dans une maison de Louchats, en Gironde. Ce n'est pas la première fois que ce genre de découverte agite la chronique judiciaire.

Philippe Genuit

Philippe Genuit

Philippe Genuit est psychologue clinicien au Centre Ressource pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (Criavs) de Midi-Pyrénées à Toulouse.

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Atlantico : Après Véronique Courjault, Virginie Labrosse et Audrey Chabot, c'est le 4e cas médiatique qui concerne la France en moins de dix ans. Comment expliquer la récurrence du mode opératoire, notamment le recours au congélateur ?

Philippe Genuit : Au risque de dire une évidence, il n'y a pas si longtemps le congélateur n'existait pas. Le modus operandi récurrent que vous mentionnez s'explique donc par l'existence de l'outil qui permet de le faire. Fondamentalement, les délits, quels qu'ils soient, ne sont pas liés aux objets, mais évoluent en fonction de ces derniers. Avant, les bébés allaient dans des puits, ou bien on les donnait à manger aux cochons… Le congélateur a changé beaucoup de choses. La question est désormais : cherche-t-on seulement à cacher, ou à conserver ? Il y a des deux. Conserver, c'est laisser une trace, garder un lien avec le bébé. Ce peut aussi être une manière de chercher à se faire rattraper, dans une quête inavouée d'apaisement.

Ce fait divers scabreux doit être analysé au travers du prisme social, mais aussi du mode de vie conjugal propre à a chacun. Pour que l'on découvre cinq fœtus, il faut que, dans la vie de tous les jours, le mari, ou les différents conjoints, n'empiètent pas sur un espace, qui serait en quelque sorte la chasse gardée de la mère infanticide. C'est le mythe de Barbe Bleue inversé, si vous voulez, avec un espace sanctuarisé où se trouvent les preuves des forfaits. Les épouses tuées sont remplacées par les bébés, et Barbe Bleue, par la femme. Il serait intéressant de déterminer si tous ces couples avaient un mode de conjugalité similaire.

Dans tous ces cas, les bébés congelés sont nombreux.  Là aussi, quelle peut être la raison ?

Je me rappelle d'une patiente qui avait commis un double infanticide, sur des jumeaux. Quelques années plus tard, elle avait été incarcérée de nouveau pour un autre infanticide. Ce n'est plus une question de conservation, mais de récidive, doublée d'un déni très profond. Paradoxalement, ces femmes savent pertinemment ce qu'elles ont fait, mais en même temps cela ne fait plus partie de leur réalité.

Dans toutes les affaires citées, c'est le mari ou le compagnon qui a fait la découverte, et qui a prévenu la police. Quels sont les ressorts cet  aveuglement, absolu semble-t-il, du père ?

Cet aveuglement relève des mystères de la conjugalité. Ces affaires font écho à des situations incestueuses, où l'homme se retrouve dans la position de l'accusé, et où la femme semble n'avoir rien vu. En effet, l'inceste équivaut à un infanticide psychique. Il faut savoir comment s'organise la conjugalité, la socialisation. Et puis tout dépend de la grossesse en question : étaient-ce de déni ? Ou bien des grossesses invisibles ? Le fait de tuer l'enfant relève du psychopathologique, mais ne se rattache pas à une maladie particulière.

Comment se fait-il que dans certains cas, comme dans l'affaire Courjault, le mari continue de soutenir sa femme ?

Peut-être l'amour relève-t-il du psychiatrique... Haine et amour se mélangent facilement, cela donne des couples difficiles à comprendre vu de l'extérieur. Tout ne peut pas être rationalisé ; ce n'est pas parce qu'une personne qui nous est chère a tué, même un bébé qui est à nous, que nous cessons, mécaniquement et du jour au lendemain, de l'aimer. Monsieur Courjault ne donnait pas l'impression d'être atteint de manière pathologique. La question relève de l'organisation psychique.

L'acte d'accouchement en toute discrétion, puis le meurtre et enfin la congélation exigent d'être très "présent" à ce qu'on fait. Comment ces femmes parviennent-elles ensuite à agir comme si cela n'avait n'avait jamais eu lieu ?

C'est cette dichotomie qui nous intrigue le plus. Le déni, et dans une moindre mesure la dénégation, font partie d'un ensemble de mécanismes de défense. En outre tout être humain, dans ce cas précis, une femme, peut être clivé intérieurement : une part se trouve dans la réalité, l'autre s'en extirpe. C'est un état d'esprit qui se rapproche de la psychose, sans que nécessairement la personne en soit atteinte. Par instants, ne dit-on pas "être atteint de folie" ?

Propos recueillis par Gilles Boutin

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