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BCE : l'enthousiasme suscité par Mario Draghi est-il justifié ?
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Le nettoyeur

La Banque centrale européenne a annoncé jeudi qu'elle allait fixer un taux de dépôt négatif à l’attention des banques de la zone euro. Une mesure inédite pour une banque centrale d’envergure et unanimement salué par le gouvernement et les médias français. Mais il en faudra certainement plus pour relancer la croissance européenne.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Ce jeudi, la BCE a fait une annonce importante : une baisse de ses principaux taux d'intérêts. Il faut donc se poser deux questions : de quoi s'agit-il ? Est-ce que ça va régler la crise ? (Petit spoiler : la réponse à cette dernèire question est “non.”)

Que s'est-il passé ? 

Une banque centrale a deux fonctions principales, qui sont complémentaires. D'abord, elle émet la monnaie que nous utilisons, et elle en gère la quantité totale dans l'économie. Ensuite, c'est la “banque des banques” : toutes les banques ont un compte auprès de la banque centrale. (Parfois, la banque centrale peut avoir un rôle de régulateur du système financier, mais ce n'est pas une composante de son rôle de banque centrale “en tant que” banque centrale ; de la même manière, presque toutes les banques centrales produisent des études et travaux de recherche économiques, mais la “fonction” d'une banque centrale n'est pas de produire des études économiques.)

Pourquoi ces deux fonctions sont-elles complémentaires ? Parce que ce qui régule la création de monnaie dans un pays, c'est les banques. En effet, à chaque fois qu'une banque consent un prêt, elle crée de l'argent. C'est quelque chose que peu de gens savent, mais c'est ça que fait une banque. Dans une économie moderne, la monnaie en circulation est une partie infime de la quantité totale de monnaie ; l'immense majorité de la monnaie en circulation se trouve “dans” des comptes en banque, c'est-à-dire, en pratique, il s'agit de chiffres dans un ordinateur. Si votre banque vous consent un prêt de mille euros, elle va créditer mille euros à votre compte par une simple opération informatique. Cet argent nouveau ne “vient” de nulle part, il est créé ex nihilo. La quantité de monnaie dans l'économie s'est augmentée de mille euros. Et au fur et à mesure que vous rembourserez votre emprunt, cette monnaie disparaîtra. Lorsqu'on met ensemble toutes ces millions d'opérations de création et de destruction de monnaie dans des centaines de banques, la quantité de monnaie totale dans l'économie augmente ou baisse ou stagne. 

<<<<<<<< A lire aussi : Pourquoi il faut absolument aider Mario Draghi à stopper le lent suicide collectif de l’Europe >>>>>>>>>>

Or donc, les banques privées, dont le rôle économique est celui de créer la monnaie, ont des comptes auprès de la banque centrale. Tout comme votre compte personnel, le compte de la banque est rémunéré. C'est ça les fameux “taux d'intérêts” de la banque centrale (il y en a plusieurs parce qu'il y a plusieurs types de comptes—ça devient vite très technique). En théorie, et souvent (mais pas toujours) en pratique, si la banque centrale augmente ses taux d'intérêts, les banques privées vont consentir moins de prêts, et donc créer moins de monnaie ; si elle baisse ses taux, les banques privées vont consentir plus de prêts, et donc créer plus de monnaie. Par cet effet mécanique mais indirect, et donc pas toujours parfait, la manière dont la banque centrale joue avec ses taux d'intérêts va changer la quantité totale de monnaie dans l'économie. 

Pourquoi est-ce important ? Parce que la quantité de monnaie dans l'économie détermine la santé de l'économie. Pas besoin de rentrer dans la mathématique des modèles pour comprendre le principe général. A chaque instant T, une économie (la France, la zone euro), a une quantité donnée de capacité de production—les entreprises, les usines, qui font les biens et services qui “font tourner” l'économie—et une quantité donnée de monnaie—il y a une quantité totale d'euros en circulation. 

Que se passe-t-il si la quantité de monnaie est insuffisante ? On a ce qu'on appelle une récession, c'est-à-dire moins de production. C'est tout simple : si les gens ont moins d'argent, ils achètent moins, donc les entreprises produisent moins par rapport à leur capacité de production. Ca peut même devenir un cercle vicieux : puisque les entreprises vendent moins elles licencient, ce qui veut dire que les gens ont moins d'argent (puisqu'il y a plus de chômage, le pouvoir d'achat collectif baisse), et ainsi de suite. 

A contrario, que se passe-t-il si la quantité de monnaie est excessive ? De la même manière, le raisonnement est tout simple : si la quantité de monnaie est trop importante par rapport à la capacité de production de l'économie, les prix vont augmenter. Cette monnaie excessive va se “retrouver” dans une hausse des prix. Si vous êtes dix personnes à vouloir acheter des voitures et qu'il y en a dix, pas de problème ; si vous êtes dix personnes à vouloir acheter dix voitures, mais que seuls cinq d'entre ont assez d'argent, il n'y aura que cinq voitures vendues, donc une activité plus faible par rapport à la capacité totale de production ; si vous êtes dix personnes à avoir de l'argent et vouloir acheter des voitures mais qu'il n'y a que deux voitures, le prix de ces deux voitures va augmenter. Lorsque ce phénomène se généralise, il s'appelle l'inflation. (A noter qu'il est mieux d'avoir un peu d'inflation, qui est comme un “lubrifiant” de l'économie ; ce qui est néfaste, c'est une inflation excessive.)

Tout le job d'une banque centrale, du moins dans l'idéal, est, comme Boucle d'or dans l'histoire des Trois ours, d'ajuster ses taux d'intérêts, à travers ce mécanisme indirect, pour qu'il y ait juste la bonne quantité de monnaie, pour éviter à la fois les récessions et une inflation excessive. En pratique c'est très technique et très compliqué, mais la théorie est, au final, très simple à comprendre.

C'est ça qu'a fait la Banque centrale européenne cette semaine. Face à la crise qui continue, et l'inflation qui reste très faible, voire même négative dans certains pays de la Zone euro, la BCE a baissé certains de ses taux, assez modestement. 

Où est le problème ? 

J'ai écrit que dans l'idéal la mission d'une banque centrale est de promouvoir à la fois le plein emploi et une inflation modérée. Ce n'est pas le cas de la BCE. D'après les traités européens, la BCE n'a qu'une mission : empêcher l'inflation. Et dans la pratique, la BCE est indirectement contrôlée par le gouvernement allemand et la Bundesbank, dont la seule priorité est la lutte contre l'inflation. Ca veut dire qu'entre une situation où il y a un peu d'inflation et le plein emploi, et une situation où il y a peu ou pas d'inflation mais pas de plein emploi, la BCE choisira toujours cette dernière. C'est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons. C'est ça la crise : il n'y a tout simplement pas assez de monnaie en circulation dans la zone euro pour permettre le plein emploi et la croissance.

La situation économique de la zone euro est de plus en plus grave, donc la BCE a fait un geste, mais Mario Draghi, le gouverneur de la BCE, a été très clair lors de sa conférence de presse : il pense que l'euro fort et l'inflation très faible sont de bonnes choses pour la zone euro. D'ailleurs les marchés l'ont bien compris : après une brève hausse à l'annonce des baisses de taux, ils sont revenus au point mort au fur et à mesure de la conférence de Draghi. 

Tant que la BCE ne changera pas vraiment de point de vue sur l'économie et sur sa mission, la zone euro sera condamnée à la stagnation économique. 

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