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BCE : cette incroyable ignorance monétaire que révèlent bien des bilans de l’action de Mario Draghi
©DANIEL ROLAND / AFP

L'heure du bilan

Mario Draghi a présidé pour la dernière fois le comité de politique monétaire ce jeudi. Le président sortant de la Banque centrale européenne quitte ses fonctions officiellement le 31 octobre. Il a défendu les dernières mesures prises en septembre et sa politique.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico.fr : Mario Draghi a présidé pour la dernière fois hier, jeudi 24 octobre, le conseil de politique monétaire de la BCE. C’était l’occasion pour beaucoup d’économistes et de journaux de faire un bilan de Mario Draghi. Quelle est la tonalité générale de ces articles ?

Mathieu Mucherie : ce sont des bilans extraordinairement faibles du point de vue de l’analyse économique. Ce sont des gens qui se prononcent sur la partie la plus visible de l’iceberg. S’ils étaient dans le camp allemand, ces gens pointent les éléments trop accommodants chez Draghi et l’accusent d’être un « bubulliste ; soit ce sont des gens qui étaient dans le camp d’une plus grande accommodation, et ils félicitent Draghi d’avoir sauvé l’euro vers 2012 et d’avoir fait ce qu’il a pu les années suivantes.

Dans un cas comme dans l’autre, la teneur analytique est très faible. On ne s’y pose jamais la question de l’alternative, de la contre-factualité. Or on ne peut faire aucun bilan sur aucune personne, à aucun moment, si on ne se pose pas la question de la contre-factualité. Cette question réhabilite considérablement l’œuvre de Draghi : si jamais Dragi n’était pas arrivé fin 2011 à la présidence de la BCE, si nous avions eu une ou deux années de plus le trio magique Jean-Claude Trichet, Axel Weber et Jürgen Stark, que ce serait-il passé ? L’euro aurait implosé, ce qui ne me dérange pas outre mesure. Il faut néanmoins reconnaître que pour ce qui est de la tranquillité de la décennie, il faut donner un bon point à Mario. Que ce serait-il passé si on n’avait pas eu quelqu’un d’accommodant pendant huit ans ? Par rapport à son comité, par rapport à ce qu’on aurait pu avoir en termes de banquiers centraux restrictifs, on ne peut pas être trop négatif. C’est un peu le même cas avec Ben Bernanke. Bernanke a fait trop peu et trop tard, mais si on avait eu un autre que lui au même moment, au même poste, très probablement, et on le sait parce qu’on connaît la teneur de son comité, cela aurait été pire, voire bien pire.

Si on n’avait pas eu Draghi, on aurait eu soit Weidmann soit du Villeroy de Galhau, et aujourd’hui on serait moins nombreux à pouvoir le  critiquer… On critiquerait mais on critiquerait autour d’un bon vieux café au Pôle Emploi. C’est tout à fait sérieux. La plupart des gens dans les banques à 400 000 euros annuels minimum, tous les gens qui critiquent Mario Draghi, sont les mêmes qui aujourd’hui pour la plupart seraient au chômage s’il avait laissé la politique monétaire précédente se dérouler encore dix-huit mois de plus. De mon côté, je pense qu’il a fait trop peu et trop tard, mais le camp adverse qui le critique parce qu’il aurait fait trop, trop longtemps ou trop vite. Ce camp-là n’est pas cohérent.

Il y a une critique de l’impact de sa politique sur la création de bulles spéculatives …

Oui mais j’aimerais bien qu’on me désigne ces secteurs ! Quand je regarde le CAC 40, je vois qu’il est plus faible qu’il y a vingt ans. Où est la bulle action ? Observe-t-on une bulle immobilière ? Oui, en Ile-de-France, et dans pas mal d’autres endroits en Europe, il y a bien une bulle immobilière. Mais est-ce que vous croyez que la baisse des taux est le seul facteur qui entraîne les gens à acheter de l’immobilier haussmannien surcoté intramuros ? Non, bien sûr que non ! C’est le fait qu’on ne construise plus, qu’on ait plein de restrictions foncières, qu’on ait gelé l’offre immobilière un peu partout, pour des raisons diverses et variées, cela n’a pas grand-chose à voir avec les taux nominaux. Il n’y a pas de bulle sur le marché des actions, et la bulle immobilière est liée à autre chose. Sur le crédit, le private equity, etc. , il peut y avoir des bulles, localement, mais c’est au marché d’en décider. Quant au marché obligataire, on me dit qu’il est en bulle, mais si jamais ils avaient envie d’être à 3% sur les taux longs, ils y seraient. Pourquoi ne sont-ils pas à 3% ? Non à cause des taux directeurs, mais parce qu’il n’y a pas d’inflation en vue. Comme certains n’ont pas vu la baisse des taux, ils sont embêtés ; donc ils expliquent qu’il y a des méchants qui, dans l’ombre, organisent une bulle obligataire. C’est surtout qu’ils n’ont rien compris à ce marché.

Comment expliquer ces erreurs répétées ? Est-ce une question d’intérêt ou une question d’incompétence ?

Un bon vieux dicton anglais : il ne faut jamais attribuer à la malice ce qui peut être attribué à l’incompétence. La première explication est donc un problème cognitif. Ces gens-là sont persuadés que la politique monétaire n’est pas la chose la plus importante. Ce sont des budgétaristes et des structuralistes. Ensuite ce sont des gens qui, quand ils analysent la politique monétaire, ont tendance à ne considérer que les taux directeurs en nominal. Ils négligent le quantitative easing et les autres aspects de la politique monétaire. Et ensuite, à l’intérieur de ces taux nominaux, ils ont tendance à tout attribuer à la volonté. Il y aurait une volonté à Francfort de mettre les taux bas pour casser les banques. Alors que ce n’est pas du tout le cas. La BCE aimerait bien que les banquiers gagnent bien leur vie ! C’est la BCE qui prête aux banques, à taux négatif, et qui régit le marché interbancaire. C’est la BCE qui fait un tiering pour adoucir la note des taux négatifs. Ce sont des gens qui se sont systématiquement trompés depuis huit ans sur le retour de l’inflation, ce sont des gens qui ont surexploité la courbe de Philips. Comme ils se sont trompés, ils ne peuvent expliquer ce qui se passe que comme une malveillance de la BCE. Ce sont des gens qui travaillent presque tous dans l’industrie financière, qui presque tous sont nominalistes, anti-monétaristes, qui ne regardent pas les autres exemples japonais ou américains pour s’informer. Ce sont des gens qui ne lisent pas la bonne littérature académique et évidemment, ils sont paumés. Etant paumés, et ayant fait dix années entières d’erreurs majeures sur des classes d’actifs majeurs, ils sont obligés de se réfugier dans la théorie « bubuliste ». « Je n’ai pas réussi à comprendre, donc ce sont les autres qui sont irrationnels. »

Comment évaluez-vous la politique monétaire de Mario Draghi de votre côté ?

Mario Draghi a moyenné à 1% par an, que ce soit en headline ou en core, quelles que soient les techniques de mesure de l’inflation.

 Il y a deux théories ensuite. Soit on a des théories à la Patrick Artus qui revoit toute la macroéconomie globale et on la met à la poubelle directement, en disant que l’inflation n’est pas un phénomène monétaire, et donc la BCE n’a pas capacité à faire passer l’inflation à 2%. Il le dit explicitement dans son article. Pourquoi ? Parce que l’inflation est un phénomène qui dépend de la mousson, du rapport de force entre les salariés et les capitalistes, du pétrole, des syndicats, de tout un cas de causes structuralistes, budgétaristes, etc. , mais qui ne relève pas de la politique monétaire.

La deuxième explication, qui est la mienne, est la suivante : le banquier central peut tout dans les domaines nominaux. C’est-à-dire dans la production d’une inflation supérieure. On peut mettre l’inflation à -5%, à +5% : le banquier central a toute capacité dans les domaines nominaux. Là où le banquier central ne peut pas agir à sa guise, ce sont dans les domaines réels, démographiques, géologiques, structurels. Là, le banquier central est à peu près impuissant. Mais tout ce qui est nominal, le banquier central peut le faire. Simplement, veut-il mettre les moyens ? Il faudrait qu’il se réengage, qu’il achète beaucoup plus que 20 milliards d’euros de titres par mois, qu’il fasse soit plus de forward guidance sur les taux courts, soit un message de communication sur le retour de 2%, bref il faudrait à la fois une plus grande détermination, et peut-être, si cela ne suffit pas, il faudrait peut-être subventionner le consommateur directement via une monnaie hélicoptère. Ces choses-là, le banquier central ne veut pas vraiment les faire. Ces gens-là n’ont pas envie qu’il y ait 2% d’inflation, parce que cela pose tout un tas de problèmes : les allemands ne veulent pas, cela ferait baisser l’euro, etc. Il n’y a pas de politique sans coûts.

Les banques centrales préféreraient qu’on abandonne la cible d’inflation à 2% plutôt que d’essayer de l’atteindre. Les banques commerciales préfèrent assumer qu’ils veulent de la déflation. Et la déflation pour eux n’existe pas. Ils nous répètent qu’on n’est pas en japonisation, alors que les taux sont plus bas qu’au Japon…

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