BCE : ce délicat équilibre que doit trouver Christine Lagarde pour préserver la croissance européenne<!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, prend la parole lors d'une conférence de presse, le 16 décembre 2021.
La présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, prend la parole lors d'une conférence de presse, le 16 décembre 2021.
©THOMAS LOHNES / PISCINE / AFP

Zone euro

La présidente de la BCE doit s’exprimer ce jeudi sur l’évolution des taux et ses paroles pourraient faire une vraie différence pour la zone euro.

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard est économiste, conseiller de banque centrale. Il exprime ses vues personnelles dans Atlantico.

Twitter : @SebCochard_11

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Atlantico : Le journal allemand Bild, la surnomme « Mme Inflation » et Christine Lagarde, présidente de la BCE, doit s’exprimer ce jeudi à ce sujet. En décembre, elle a prévenu qu’une hausse des taux directeurs en 2022 était « très improbable » tout en amorçant un changement de ton. Dans quelle mesure ses paroles, même sans annonce concrète concernant les taux d’intérêt, peuvent-elles impacter les prévisions d’inflation ? A quel point la zone euro est-elle fébrile sur ce sujet ?  

Sébastien Cochard : Christine Lagarde va en effet rendre compte ce jeudi 3 février du conseil de politique monétaire de la BCE qui viendra à peine de s'achever. Il y a en réalité une importante dose d'inconnu sur le contenu de la communication qui sera faite par la Présidente de la BCE, qui dépendra largement de la manière dont ce conseil des gouverneurs de la BCE se sera déroulé, et du rapport de force, en son sein, entre les faucons et le colombes. Or ce sera le premier conseil auquel aura participé le nouveau Président de la Bundesbank, Joachim Nagel, fermement ancré dans les rangs des "durs" et qui aura peut-être voulu frapper fort pour son entrée sur la scène monétaire. Et ce d'autant plus que les données d'inflation pour le mois de janvier 2022 ont créé la surprise, avec en particulier l'inflation allemande qui était attendue en baisse significative avec la disparition de l'effet de l'augmentation de la TVA il y a un an, et qui sera malgré cela restée stable, passant seulement de +5,3% à +4,9%.
Il y a donc bien une fébrilité certaine sur l'inflation, tout particulièrement en Allemagne, qui voit ses coût de productions subir de plein fouet les tensions sur les chaînes d'approvisionnement globales et a ainsi enregistré une hausse de ses prix à la production de 24% (!) à fin décembre 2021 : pour un pays mercantiliste qui mise tout depuis toujours sur ses excédents externes, une inflation des coûts à la production plus forte que ses voisins, qui se traduit donc par un recul rapide de la compétitivité-prix à l'export des produits allemands -pour la première fois depuis la mise en place de l'euro- est une nouvelle catastrophique. C'est une bonne nouvelle pour la France, qui récupère ainsi miraculeusement une partie de la compétitivité perdue au bénéfice de l'Allemagne par le différentiel constant d'inflation entre les deux pays, qui était jusqu'à présent constamment en défaveur de la France et ne pouvait plus être compensé par une dépréciation du franc par rapport au mark depuis l'entrée en vigueur de la monnaie unique. 

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Toutefois, si l'inflation de la zone euro (qui constitue l'objectif de la BCE -qui ne se préoccupe pas de l'inflation des économies individuelles des Etats membres) s'établit elle-même au niveau élevé de 5,1%, l'inflation sous-jacente, c'est-à-dire débarrassée des prix les plus volatiles comme l'énergie, l'alimentation, et les produits fortement taxés comme l'alcool et le tabac, ne s'élève qu'à 2,3% en janvier glissement annuel, donc en recul par rapport au mois précédent et toujours suffisamment proche de l'objectif de 2%. Enfin, l'objectif de la BCE est un objectif de moyen-terme : or en 2023, selon ses projections (sur lesquelles doivent en théorie se baser les décisions du conseil de politique monétaire), l'inflation se sera établie à 1,8%, soit en-dessous de la cible. Les colombes disposent ainsi de quelques billes pour maintenir le statu quo -même si la BCE a démontré au cours des quinze dernières années que ses prévisions d'inflation sont systématiquement trop optimistes... 

Alors qu'il ne devrait pas y avoir d'annonces concrètes, comment Christine Lagarde pourrait-elle trouver le bon équilibre entre un discours montrant une prise en compte de l’inflation et sans céder à à des politiques monétaires qui pourraient impacter négativement la croissance de la zone euro ?

Les commentateurs de marché, et la presse en général, par imitation des logiques qui prévalent aux Etats-Unis, se focalisent sur les taux directeurs et le calendrier de leur remontée. Mais en réalité ce n'est pas ce qui est économiquement le plus important pour la zone euro. Actuellement, l'enjeu central sont les politiques de rachats d'actifs, c'est-à-dire principalement le rachat, sur le marché secondaire, des titres de dette publique des Etats membres de la zone euro, titres qui sont ensuite détenus jusqu'à échéance par la BCE, en infraction totale du Traité de Maastricht, et dont les remboursements en capital sont réutilisés par la BCE pour racheter d'autres titres de dette du même pays.

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Sans cette monétisation de la dette publique, qui de fait efface près de 40% de leur dette publique, la France et l'Italie ne pourraient soutenir leur endettement. Si la BCE arrêtait véritablement ses achats de dette publique, alors qu'elle a racheté 100% de la nouvelle dette émise par la France et l'Italie ces deux dernières années, l'endettement de la France et de l'Italie ne serait plus soutenables ; ces deux pays ne pourraient plus servir leur dette existante et ne pourraient plus en émettre de nouvelle. Un défaut, une restructuration de cette dette, et un scénario à la grecque se mettrait en place pour la France et l'Italie, avec le coût économique et politique que l'on peut imaginer. L'opinion publique italienne s'attend ainsi à une ponction forcée massive sur les dépôts bancaires des particuliers pour rembourser la dette publique, la "patrimoniale", à l'instar de ce qui avait déjà été mis en place en 1992 pour maintenir l'Italie dans le système monétaire européen.
Le retrait du soutien de la BCE aux Etats est donc impossible. La BCE est ainsi victime de "domination fiscale", comme l'on dit dans le jargon de la politique monétaire. Et ainsi Christine Lagarde, le 16 décembre dernier, à l'issue du conseil de politique monétaire, a fait des annonces en trompe-l'oeil. Elle a annoncé facialement que les achats de titres du Plan Pandémique PEPP allaient cesser... mais (quand on lit entre les lignes), qu'ils allaient en réalité continuer : les réinvestissements du capital remboursé vont être poursuivis ; l'affranchissement des limites par pays vont être maintenues (afin de favoriser France et Italie) ; en cas de "fragmentation" (montée des spreads), les montants de rachats de dette pourront être immédiatement accrus... Bref, tout change pour que rien ne change. Les allemands ne sont pas dupes et veulent véritablement un changement de pied de la politique monétaire de la zone euro. Nous allons au clash. 

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Dans son discours de ce jeudi, quelles sont les choses à ne pas dire ou faire pour protéger la croissance de la zone euro et la zone euro elle-même ? 

Ce qu'il faudrait que Christine Lagarde évite de dire ou faire serait de répéter le contenu son discours de statu quo du 16 décembre : car l'Allemagne, politiquement, et les marchés, par "leurs pieds" réagiraient très négativement.
De manière paradoxale, la BCE s'est jusqu'à présent doublement enfermée dans des annonces contreproductives de sa politique monétaire à moyen terme, la "forward guidance" version européenne. En particulier, la BCE a annoncé que, avant que les taux directeurs ne soient relevés ("pas avant 2023"), il devrait d'abord, en préalable, être mis fin aux politiques "non-conventionnelles", c'est à dire aux rachats d'actifs et au crédit abondant et "subventionné" aux banques européennes, le TLTRO, les opérations de refinancement à long terme.
Or, l'arrêt des ces politiques non-conventionnelles, nous l'avons dit précédemment, ne serait pas soutenable pour les Etats et n'aura donc pas lieu ; l'impact sur les banques, et donc derrière sur le financement de l'économie réelle dans la zone euro, de la fin du TLTRO, serait également très négatif.
Il faudrait donc que la BCE reconnaisse qu'une remontée des taux directeurs devrait pouvoir être actionnée indépendemment de la fin des politiques non-conventionnelles. Et il faudrait que la BCE arrête de se lier les mains sur le moyen-terme, en reconnaissant qu'elle doit pouvoir réagir plus rapidement en fonction des développement à plus court terme de l'inflation. Il n'y a en effet aucune justification à maintenir pour une année supplémentaire les taux directeurs à -0,50% alors que l'inflation est à +5% et l'inflation sous-jacente à +2%... Encore une fois, ni les marchés ni l'Allemagne ne peuvent l'accepter.
Si une remontée des taux directeurs est justifiée, en revanche, poursuivre les rachats de dette et TLTRO sont nécessaires à l'économie européenne : la Présidente de la BCE pourra-t-elle ainsi négocier avec l'Allemagne de pouvoir poursuivre les politiques non-conventionnelles, et en particulier les rachats de la dette publique française et italienne, tout en accordant en échange à Berlin le lancement d'un mouvement de remontée les taux (demandé avec désespoir par les épargnants allemands) ? La conclusion positive d'un tel "marchandage" est ce dont la zone euro a actuellement besoin de manière vitale. L'avenir dira si Christine Lagarde saura nous mener à bon port. 

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