Baromètre Cevipof de la confiance politique : les Français assoiffés de politique mais "saoulés" par les leurs<!-- --> | Atlantico.fr
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Une grande partie des Français ne font plus confiance à leurs représentants et au système actuel.
Une grande partie des Français ne font plus confiance à leurs représentants et au système actuel.
©Reuters

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Ce baromètre montre qu'une très large majorité des Français ne sont en rien désintéressés de la chose politique. Ils en attendent beaucoup, même. seulement, ils ne font plus confiance à leurs représentants et au système actuel, qui donne selon eux une image trop binaire, quand ce n'est pas manichéenne, du paysage politique.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : 83% des personnes enquêtées expriment une attente vis-à-vis des responsables politiques pour trouver ensemble des solutions aux problèmes. Pourtant, en ce qui concerne les institutions auxquelles ils accordent le plus leur confiance, les entreprises ou les PME sont parmi les premières plébiscitées. Peut-on en déduire que les Français sont devenus pragmatiques, attentifs à ce qui a prouvé son efficacité ?

Bruno Cautrès : Effectivement, les personnes que nous avons enquêtées adhèrent fortement à l’idée qu’il faudrait  que les responsables politiques de camps opposés parviennent à s'entendre pour trouver des solutions aux problèmes du pays. Cette idée peut sembler assez large et précisément pour cela susciter un très fort soutien. Mais elle exprime également une forme d’insatisfaction des personnes interrogées vis-à-vis du fonctionnement habituel de la politique comme une sorte de jeu à somme nulle où chaque camp estime avoir raison sur tout alors que le camp adverse aurait tort sur tout également. Et aussi sans doute que le contexte et la gravité de la crise économique peuvent inciter les personnes enquêtées à répondre ainsi. Il n’est donc pas surprenant que l’adhésion à cette idée d’une « grande coalition » partisane pour régler les problèmes se combine avec une vision assez, voire très, négative des partis politiques ou des hommes politiques. Il est intéressant de noter que ce fort soutien à une « union nationale » des responsables politiques s’exprimait dès la vague 6 de notre enquête, réalisée en décembre 2014 c’est-à-dire avant les attentats du 7 janvier 2015 et avant le climat d’union nationale qui a prévalu ensuite.

Par ailleurs, cette vision négative de la politique mais avec dans le même temps des attentes fortes vis-à-vis des hommes politiques est une donnée classiquement observée dans les enquêtes d’opinion : les hommes politiques sont à la fois perçus comme ceux qui ne font rien de bien et ceux qui pourraient tout changer !  La confiance dans les PME est donc beaucoup plus élevée que dans les organisations partisanes ou même syndicales : 84% déclarent faire confiance aux PME, 54% aux grandes entreprises publiques, 48% aux grandes entreprises privées, 29% aux syndicats et seulement 14% aux partis politiques. Je serais prudent sur l’interprétation que vous proposez ; dans la vague 6 de notre enquête, réalisée en décembre 2014, nous demandions aux enquêtés leur opinion sur l’hypothèse que des chefs d'entreprises plutôt qu’un gouvernement décident ce qui leur semble le meilleur pour le pays : seuls 32% approuvaient cette idée. Par ailleurs, on voit que ce sont surtout les PME, par leur proximité avec les français dans le tissu économique, qui sont positivement perçues. Cela traduit donc sans doute une insatisfaction plus générale, que l’on retrouve dans d’autres données de notre enquête, vis-à-vis d’un système politique et partisan qui ne fonctionne pas bien, qui a du mal à délivrer des améliorations de la vie quotidienne. Le décalage d’opinions positives entre l’entreprise, notamment la PME, et le chef d’entreprise montre quelque chose d’intéressant : un peu comme si le chef d’entreprise, comme l’homme politique, avait du mal à convaincre alors que l’on perçoit beaucoup plus positivement l’entreprise qui ne se résume pas à son chef.

Pourtant, pris les uns après les autres, les politiques ne jouissent pas de la même perception positive. Dans quelle mesure pourraient-ils s'inspirer des entités dans lesquelles les Français fondent leur espoir pour mieux leur répondre ?

Cette question n’a pas de réponse simple. D’un côté, les personnes interrogées expriment avec beaucoup de force une vision défiante et négative des hommes politiques (rappelons que 85% déclarent que les hommes politiques ne se préoccupent pas de ce que pensent les personnes) ; d’un autre côté, nos données expriment une demande de « verticalité » politique et de protection par les institutions publiques (l’armée et la police sont également en haut du classement de la confiance ; les hôpitaux également disposent d’une très bonne image). Il existe également une demande de professionnels de la politique qui soient efficaces et compétents. Comparée à la vision négative des hommes politiques, voire carrément défiante, la perception positive de ces institutions, ou même des PME, montre en creux les défauts que les personnes interrogées prêtent aux hommes politiques : l’éloignement avec les citoyens, peut-être aussi l’absence de sens de l’intérêt général au profit de l’intérêt partisan ou de carrière, le non-renouvellement, ou encore ce que les Français perçoivent parfois comme des « rentes de situation » (salaires, primes, retraites des hommes politiques). Ces questions sont complexes et il faut s’éloigner des appréciations simplistes et globalisantes sur les hommes politiques et qui ne rendent pas justice à l’immense majorité de nos élus, mais ces questions doivent/devraient être abordées dans le cadre d’un grand débat national sur le fonctionnement et le financement de notre vie politique. De manière plus générale, les données de notre enquête montrent un assez « grand malaise » démocratique : si les institutions se portent mieux que les acteurs de la politique (hommes politiques, partis, syndicats, médias), l’ensemble donne un sentiment de profond décalage entre les citoyens et la sphère de la politique.

Peut-on aller jusqu'à dire que les attentes des Français sont en mutation, alors qu'il est communément reconnu que nous ne cherchons pas de programme mais une incarnation chez les politiciens ?

Les citoyens recherchent les deux : des programmes et des idées qui montrent où nous sommes, où nous allons et pourquoi ou comment ; des personnalités qui incarnent ces idées. Plus profondément, les données du Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF devraient servir de point de départ à un chantier pour les années à venir : il est impératif, urgent même, que s’ouvre un véritable audit de la démocratie en France ! Les Britanniques ont consacré du temps et des moyens à un tel audit. Pourquoi pas en France ? Nos dirigeants ne devraient-ils pas engager un grand débat national et un véritable audit de notre démocratie ? Nous n’occupons pas les meilleures places en Europe du point de vue de la qualité de la démocratie : respect des droits du citoyen, transparence des décisions, etc. S’il est hautement souhaitable de réaffirmer les valeurs sur lesquelles la politique française moderne s’est fondée (socle des valeurs républicaines) notre leit-motiv national sur ces questions n’a-t-il pas tendance à masquer un peu les questions qui apparaissent dans les réponses à notre enquête ? Les attentes des français sont effectivement en mutation et il serait bien imprudent pour tel parti ou tel candidat de penser que les français lui donne un blanc-seing dès lors qu’ils l’ont élu. 

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