Barbie plébiscitée dans le monde entier, ce qui intrigue les intellectuels, agace les féministes mais relance la marque historique de Mattel<!-- --> | Atlantico.fr
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©JUSTIN TALLIS / AFP

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Personne n'aurait parié sur le succès planétaire du film Barbie, les cinéastes espéraient le triomphe de Oppenheimer, les féministes et l'extrême gauche font la grimace... quant aux analystes financiers, ils savent que Mattel peut revenir au premier rang du marché du jouet.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le film Barbie, sorti dans le monde entier depuis la mi-juillet, est en train de battre tous les records du box-office. Avant la fin du mois d'août, le film de Great Gerwing sera sans doute le film cinématographique qui aura attiré le plus de spectateurs dans le monde entier de toute l’histoire du cinéma . 

 À la mi-août, après un mois d'affiche, il était déjà le plus gros succès de l'année 2023 avec près de 1,2 milliard de dollars, à égalité avec Super Mario, mais loin devant les blockbusters hyper populaires comme Spider-Man ou Fast and Furious. Le film marche auprès de tous les publics (jeunes et vieux, hommes et femmes, dans toutes les langues et sous tous les climats...) Bref, dans tous les pays, sauf ceux qui l'ont interdit, comme certains pays très islamiques, ou comme l'Algérie, où le gouvernement s'est inquiété du succès les quinze premiers jours et considérant que les personnages avaient des ferments révolutionnaires. Ces poupées ont décidément trop de succès pour les islamistes.

Le comble pour les cinéastes est que Barbie a écrasé le film Oppenheimer qui est sorti le même jour avec une campagne de presse très importante. Les amateurs de cinéma et les intellectuels pensaient que ce film réalisé par Christopher Nolan, qui raconte l'histoire du projet Manhattan et la mise au point de la première bombe atomique, aurait attiré les foules, tant son message était clair et utile à comprendre par les temps qui courent. En dépit de ses grandes qualités, Oppenheimer a été écrasé par la bombe Barbie.

Du coup, Barbie est revenue à la une et a obligé tout le monde à réfléchir sur un tel succès... Parce que le succès populaire et universel n'arrive jamais par hasard. La communication et la publicité sont importantes, certes, mais elles n'expliquent pas une telle euphorie. Barbie a réveillé une demande qu'on croyait sans doute perdue dans les placards de l'enfance et la culture universelle. Le film est très difficile à raconter... Il est riche en dialogues, en futilités, en naïveté, il est bourré de clichés, de couleurs trop flashy, tendance rose, il est démesurément girly... Au premier degré, il est même assez fatiguant et nul pour quelqu'un qui n'a pas été élevé dans l'univers de Barbie. En réalité, le film est superbement sophistiqué. Le rôle principal est tenu par Margot Robbie, magnifiquement drôle par sa plastique et son talent. Son complice ami/ennemi Ken est joué par Ryan Gosling... Ils sont tous les deux fantastiques ! Et l'histoire raconte le monde de Barbie, un monde de filles qui se sont  réfugiées dans une bulle pour se protéger des garçons et qui un jour décident de s'ouvrir au monde réel. 

Et là, ça devient désopilant et grave, parce que Barbie découvre que le monde réel n'a rien compris aux femmes et qu'il va falloir que Barbie travaille ce monde pour qu'il se transforme à l'image de celui des filles. Il faut aller voir le film parce que le scénario est assez compliqué et riche de petits détails et d'astuces diverses, très drôles, parfois inquiétantes, hilarantes aussi pour les hommes, mais tellement utiles à assumer. Alors soyons clairs, ce n'est pas un film féministe, car toute l'histoire de Barbie racontée dans le film démontre que Barbie raconte en fait la lutte pour l'émancipation des femmes. On s'aperçoit que Barbie a fait tous les métiers dans toutes les ethnies et les classes sociales... D'ailleurs, les mouvements féministes qui partout dans le monde étaient prêts à manifester contre ce film qu'ils considéraient comme réactionnaire, conservateur des valeurs du patriarcat, se sont tus dès que le film est sorti.

Où est Sandrine Rousseau, où sont toutes les femmes de la Nupes qui crient dans l'hémicycle dès qu'une fille est regardée de près par un garçon ? Tous les mouvements féministes sont aux abonnés absents, ils n'iront sans doute pas voir le film, tout comme ils ignorent superbement ce qui se passe en Iran et dans beaucoup d'États islamiques contre les femmes.

Au-delà de cet aspect politique qui est important, la composante marketing chez Mattel va transformer l'événement en cas d'école. Le film a été imaginé et produit par Mattel et Warner Bros. Il a coûté très cher dans sa fabrication, près de 400 millions de dollars, mais il a déjà rapporté trois fois ce qu'il a coûté. Dans l'immédiat, c'est donc une très belle opération financière. 

Mais à plus long terme, cela forge une image de Mattel très différente de celle dans laquelle le groupe était enraciné et piétinait. Mattel est toujours le premier groupe de jouets du monde, mais il a principalement progresse par croissance externe plutôt qu'en adaptant ses propres produits à l'évolution de l'air du temps. 

Au départ, c'est-à-dire en 1959, Barbie est une poupée mannequin qui reprend les stéréotypes de la société américaine. La poupée reproduit une adulte, aux cheveux blonds et aux traits européens... mais au bout de 10 ans, elle va diversifier son allure ethnique et à partir des années 1990, mondialisation oblige, s'adapter à toutes les ethnies, elle est capable de faire tous les métiers, y compris les métiers d'hommes. Dans les années 2000, Mattel a réussi à vendre plus d'un milliard de poupées Barbie pour plus d'un milliard de chiffre d'affaires, malgré la concurrence qui a flairé le bon filon. 

À partir de 2010, le chiffre d'affaires s'érode... la direction de Mattel prend conscience que son produit phare est fatigué, alors elle va tenter d'élargir sa gamme, avec une poupée aux formes très arrondies. Elle se vend mal. Avec une poupée qui souffre d'un handicap, la critique encense l'idée, mais le marché ne suit pas... La croissance du groupe passe par d'autres créneaux... Mattel va mettre dans sa vitrine les Matchbox, les Fisher-Price, les jeux de cartes, etc., chercher à maîtriser sa distribution dans des magasins spécialisés. Mais depuis 2015 environ, le chiffre d'affaires va stagner aux alentours de 6 milliards et perdre le leadership du marché mondial du jouet au profit de Lego. Pour Barbie, la situation est devenue humiliante et la bourse commence à grogner contre cette Barbie qui paraît bien arrogante ou trop stupide . 

C'est à ce moment-là que les dirigeants du groupe ont commencé à réfléchir sur l'image de leur Barbie, la représentation d'une femme parfaite mais qui ne tombe pas amoureuse, car il ne faut pas donner d'idées aux enfants, mais qui s'occupe des petits et des malades, car elle doit incarner les bons sentiments. Pour beaucoup d'observateurs, la Barbie est dépassée par le mouvement #MeToo, les créateurs de la Barbie ne comprennent pas que leur créature soit critiquée par les féministes alors qu'ils l'ont créée à l'image de la femme moderne et dynamique.

D'où l'idée sans doute de faire sortir Barbie de sa bulle dans laquelle elle se complaisait et de la faire aller dans le vrai monde et dire aux vrais hommes qu'ils n'ont rien compris. Ken peut aller se faire rhabiller, mais il gagnera le droit de passer quelques soirées avec sa Barbie... Que c'est drôle. 

À la toute fin, Barbie réapparaît toute de rose vêtue, blonde, bien sûr, mais elle monte les marches d'une clinique, car elle a rendez-vous, dit-elle très fièrement, avec le gynécologue. Le film se termine sur cette image pour dire que les femmes ont des fonctions et des rôles dans la société que personne ne peut leur voler... Dans son conformisme caricatural, le film est incontestablement transgressif. D'où son succès. Avec une telle opération, Mattel sait qu'il est revenu dans l'air du temps. Les précommandes de Noël sont reparties à la hausse. Mattel va pouvoir relancer ses projets de parc à thème et, qui sait, réfléchir à la suite de cette Barbie au cinéma.

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