Barack Obama a-t-il réussi à diminuer l'antiaméricanisme dans les pays arabes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président américain, élu en 2009, a radicalement changé de politique étrangère par rapport à son prédécesseur.
Le président américain, élu en 2009, a radicalement changé de politique étrangère par rapport à son prédécesseur.
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Liaisons dangereuses

Le président américain, élu en 2009, a radicalement changé de politique étrangère par rapport à George W. Bush, son prédécesseur. Moins interventionniste, elle a permis de donner une image différente des Etats-Unis à l’étranger, en particulier auprès des pays arabo-musulmans. Pourtant l’antiaméricanisme est toujours présent, il recouvre des réalités différentes selon les régions.

Philippe  Droz-Vincent

Philippe Droz-Vincent

Philippe Droz-Vincent est politologue spécialiste du Moyen-Orient. Il est maître de conférences en science politique à l’Institut d’études politiques de Toulouse et à Sciences Po Paris.

 

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Atlantico : En quoi Obama se démarque-t-il de son prédécesseur ?

Philippe Droz-Vincent : Il me semble qu’il a eu une politique de repositionnement en retrait par rapport à l’activisme de l’administration Bush, tout en maintenant la défense des intérêts américains (et un discours très ferme sur le programme nucléaire iranien).

Obama termine le retrait d’Irak, une de ses promesses, selon un plan mis en place par l’administration Bush, mais autour duquel il y avait encore des discussions concernant le maintien résiduel de troupes américaines (pour entraîner l’armée irakienne sur place). Obama impose un retrait complet des troupes américaines selon le calendrier prévu, terminé en décembre 2011.

Dès son arrivée en 2009, l’administration Obama choisit clairement une politique visant à redorer l’image des Etats-Unis. Contrairement à l’administration Bush caractérisée par sa brutalité menaçante dans l’usage de la force militaire et par une forme d’arrogance (« hubris » en grec ancien) dans le sens où il prétend  détenir une vérité pour les autres (ex : la diffusion de la démocratie par renversement des régimes comme remède aux maux présumés du Moyen-Orient). L’administration Obama a projeté une image radicalement différente, par l’ouverture au dialogue (discours du Caire, d’Istanbul, voeux pour le nouvel an aux Iraniens).

Faire de la politique étrangère, c’est aussi susciter une image relativement positive de soi parmi les autres. En 2009, Obama comprend très bien que son pays retrouvera des marges de manoeuvre par ce biais, ce que méprisait l’administration Bush. Pour cette dernière, la puissance militaire (dominante) suffisait à créer le respect pour la puissance américaine et la soumission ou le suivisme au sein de la région moyen-orientale.

Ce qui n’empêche pas Obama de défendre vigoureusement les intérêts américains au Moyen-Orient. Mais de manière différente, plus classique (réaliste, c’est-à-dire moins dans une volonté de transformation plus que de jeu sur des équilibres). Par rapport à son prédécesseur, Obama cesse l’investissement américain massif au Moyen-orient par l’intervention militaire directe (une position également soutenue par l’establishment militaire qui souhaite se retirer de guerres dans lequelles il s’enlise et le Département d’Etat qui a mesuré les dégâts politiques causés par l’interventionnisme militaire exacerbé).

Comme l’administration Obama se place en retrait, l’antiaméricanisme baisse, par lien mécanique. Toutes les études sérieuses montrent un lien direct entre l’antiaméricanisme et la politique étrangère menée par les Etats-Unis (même s’il y a d’autres facteurs, voir plus bas), donc les sentiments antiaméricains s’exacerbent en cas de surinvestissement de la grande puissance. De ce point de vue l’administration Bush a constitué un “moment” vraiment spécifique.

Et il est vrai que les préoccupations économiques internes américaines ne sont pas favorables à un déploiement de politique étrangère mais à une concentration sur les problèmes internes (qui plus est avec des échéances électorales présidentielles en 2012 aux Etats-Unis).

Mais, Obama s’est retiré aussi d’Irak pour se concentrer sur l’Afghanistan, relançant une guerre qu’il a considéré comme “de nécessité” en 2009 contre les Taleban. L’Afghanistan est devenu une priorité absolue, “gagner la guerre” contre les Taleban pour procéder au retrait des troupes, alors que l’administration s’enlise dans une guerre avec son lot de pertes dites “collatérales”, c’est-à-dire de morts civils et avec l’échec de la contre-insurrection.

Que pensez-vous des manifestations antiaméricaines en Afghanistan ? Des Corans ont été brûlés dans une base de l’armée américaine en février dernier. 

Philippe Droz-Vincent : L’antiaméricanisme ne naît pas de rien. Si Obama relance la guerre en Afghanistan, l’antiaméricanisme grandit en Afghanistan. La puissance américaine à la recherche d’une victoire se heurte au nationalisme afghan sur lequel jouent les Taleban, face à une puissance extérieure perçue comme occupante et qui soutient à bout de bras un Etat central (celui de Karzai, président afghan) qui ne contrôle plus rien si ce n’est la corruption (et le trafic de drogue).

Les pertes civiles lors des opérations de contre-insurrection ou lors des bombardements aériens, en particulier de drones (utilisés pour éviter les pertes de soldats occidentaux sur le terrain), provoquent une rage parmi la population afghane: la guerre malgré les prouesses technologiques qui permettent de la mener électroniquement depuis les bases américaines du Qatar ou directement depuis les Etats-Unis n’est pas aussi “propre” et précise que le voudrait la théorie de la “révolution dans les affaires militaires”.

Il y a aussi un problème de comportement déplorable de soldats (Corans brûlés, soldats uriannt sur des cadavres, expéditions punitives sur des villages...), certes sous pression après de multiples déploiements sur des zones de guerre, mais qui posent des problèmes en ce qui concerne l’encadrement et le recrutement (des éléments essentiels pour des opérations extérieures hors du terrain national qui se déroulent au milieu de la population civile).

A partir de là, des incidents locaux ont une résonance plus large (non sans servir largement la propagande Taliban) dans le monde arabe ou le monde musulman.

Un antiaméricanisme afghan qui peut déteindre sur ses voisins ?

Oui, il alimente une défiance vis-à-vis de la puissance américaine, accusée de traîtrise, d’hypocrisie, de complots, de projets cachés. Même si l’Afghanistan reste un problème local, l’information circule.

La transformation des scènes médiatiques joue un rôle fondamental, en permettant de répercuter (de faire “résonner” des incidents et de les “cadrer” comme des attaques contre l’Islam ou le monde arabe).

La chaîne Al Jazirah, mise en place par l’émir du Qatar, a révolutionné les regards régionaux en créant un espace public transnational de substitution (à défaut d’espace public national, détruit par les régimes autoritaires, au moins jusqu’en 2011-12). Elle a promu les débats politiques contradictoires, une première dans le paysage télévisuel fortement anesthésié du monde arabe, des valeurs comme la démocratie et la liberté, mais elle a aussi fait porter la critique sur les conséquences des politiques américaines. En particulier en mettant l’accent sur les victimes civiles des diverses interventions, donc la plupart du temps américaines (et d’Israël, associé dans le regard moyen-oriental aux Etats-Unis).

Al Jazirah ne crée pas l’anti-américanisme ex nihilo, même si elle est une source importante de propagation de l’antiaméricanisme politique (mais le Qatar a aussi une position schizophénique, car il abrite de gigantesques bases américaines d’où sont conduites la guerre d’Afghanistan et la stratégie régionale). La diffusion de l’information handicape beaucoup la politique américaine et alimente un socle persistant d’antiaméricanisme à partir de la défiance envers l’action de la grande puissance américaine.

Reste que le Moyen-Orient est depuis 2011 animé par d’autres forces transnationales que les idées antiaméricaines, avant tout l’effet d’imitation des révoltes des sociétés contre l’autoritarisme autour des idées de liberté et de dignité qui se propage à travers le monde arabe.

Les pays du Printemps arabe ne sont donc pas préoccupés par les Etats-Unis ?

Si, mais les préoccupations majeures sont ailleurs... pour le moment. Pendant les manifestations, on n’entendait pas : "A bas les Etats-Unis, à bas Israël !" Toute une région qui est focalisée sur autre chose que les Etats-Unis et jusqu’à aujourd’hui. Voyez l’Egypte avec les élections présidentielles, les élections à venir en Libye, l’écriture de la constitution en Tunisie, la reprise du contrôle de son territoire et la remise en route du pays par le gouvernement yéménite, la guerre civile en Syrie (et la répression à Bahrain). Partout l’impératif est la reconstruction de systèmes politiques et la prise en compte des problèmes socio-économiques, dans un contexte de crise économique forte. L’antiaméricanisme n’est pas le sujet majeur.

Les acteurs qui montent sur les scènes politiques, donc les islamistes (Frères musulmans ou salafistes), sont pris dans des combats politiques internes majeurs qui les accaparent (le bras de fer entre l’armée et les Frères Musulmans en Egypte)...

Et la politique américaine de l’administration Obama a été en retrait, accompagnant les changements, plutôt qu’elle n’a essayé d’imprimer une direction donnée, même en Egypte dont le régime Moubarak était un allié clé des Etats-Unis dans la région.

Des appréhensions sont présentes à Washington, et les Frères Musulmans égyptiens ont ces derniers temps lancé des offensives de charme à la Maison Blanche. Mais le facteur extérieur (donc d’abord la présence américaine) n’est pas une clé de lecture majeure des révoltes arabes, par rapport aux dynamiques internes (ce facteur peut cependant faciliter grandement les développements comme le montre la Libye et l’action de l’OTAN ou le débat sur l’intervention impossible pour le moment en Syrie).

On retrouve une posture plus “normale” ou “routinière”, où l’antiaméricanisme n’est pas exacerbé et fédérateur, où il est labile, sous-jacent mais présent, moins dans des dénonciations déchaînées et des mobilisations dans la rue, mais exprimé dans une méfiance persistante vis-à-vis de la grande puissance. Cette dernière est considérée comme un acteur dominant prêt à tout pour défendre ses intérêts (en particulier pétroliers), proche d’Israël et partial dans ses positions.

Avec ce paradoxe que les jeunes générations adeptes de technologie et de Twitter sont fascinées par les modes de vie américains, recherchent la possibilité d’y travailler voire de s’y établir (la carte verte et le dollar), tout en manifestant une méfiance profonde vis-à-vis des Etats-Unis.

Ce qui montre que l’antiaméricanisme est divers et multiple. Ce n’est pas une posture d’opposition et de résistance qui fédère face à une puissance américaine (les manifestations de 2011 se sont bien plutôt fédérées autour du fameux slogan de “la chute du régime”, donc des causes internes), mais toute une diversité de positions depuis ceux qui sont opposés politiquement aux Etats-Unis, des conservateurs qui refusent les modes de vie américanisés,  des hommes d’affaire ou entrepreneurs qui ressentent la compétition des exportateurs américains (en cas de libéralisations commerciales), une méfiance sourde envers la superpuissance présente dans la région... jusqu’aux jihadistes caractérisés par un rejet radical de l’Amérique (une minorité). Et l’antiaméricanisme ne mène pas ipso facto au terrorisme. Mais encore une fois, le débat politique aujourd’hui porte sur autre chose dans le monde arabe.

La position américaine d’allié avec Israël a-t-elle joué ces dernières années dans le sentiment d’antiaméricanisme ?

 C’est clair qu’il s’agit un élément fondamental. La vision des Etats-Unis dans la région, qui était relativement favorable dans les années 1950-60 (parce qu’ils étaient une puissance lointaine et appuyant aussi les dynamiques nationalistes régionales face aux relents d’impérialisme britanniques et français) a fondamentalement changé après leur rapprochement avec Israël après les guerres de 1967 et 1973. La proximité affichée par les présidents américains avec Israël (ce qui n’exclut pas les divergences d’intérêts entre les deux pays) est considérée comme une source de défiance par les sociétés.

Mais Obama n’a pas une extrême proximité avec Israël, en tout cas avec ses dirigeants actuels. Contrairement à Bush qui l’avait délaissé, il a décidé de rouvrir le dossier israélo-palestinien en 2009-10, et il s’est heurté de front à Netanyahou. Ce dernier a joué du fonctionnement du système politique américain pour faire échouer les initiatives du président Obama lors d’un bras de fer musclé. Obama a aussi freiné depuis un an les velléités d’intervention militaire israéliennes contre le programme nucléaire iranien, tout en réaffirmant son souci fort pour la sécurité d’Israël (on lira son entretien dans The Atlantic, 2 mars 2012).

Quel est le bilan de la présidence de Barack Obama au final ? Cela va-t-il durer ?

Beaucoup d’espoir et peu de réalisations. Un reflet en quelque sorte de ce qu’a été la politique concrète au Moyen-Orient de l’administration Obama. Le président américain a changé de discours, redoré l’image des Etats-Unis, s’est recentré sur d’autres problématiques que des interventions militaires à la Bush. Mais finalement quelques années plus tard c’est la déception : le problème israélo-palestinien est dans l’impasse totale et il n’y a plus de processus de paix. Au moins pendant le printemps arabe, la puissance américaine est restée en retrait, prudemment.

Les Etats-Unis sont enlisés dans une guerre sur le sol afghan et font montre au Yémen d’un activisme par des frappes de drones ciblées sur les militants d’Al Qaeda dans la Péninsule Arabique. Ces militants se sont réfugiés dans cet Etat désorganisé par les protestations qui ont mis fin au régime du président Saleh. Les inévitables pertes civiles dont on parle peu (par rapport aux “cibles” de haut niveau éliminées) ont fait renaître un fort antiaméricanisme dans ce pays.

Les sociétés sont actives, informées, comme l’ont montrées leurs mobilisations lors des printemps arabes. Donc ce type d’action est fortement contre-productif, mais l’administration Obama est prise par un autre impératif, la lutte contre le terrorisme (sur lequel elle ne peut pas paraître faible aux Etats-Unis).

Au total, l’administration Obama n’a pas éliminé l’antiaméricanisme, elle l’a atténué, mais celui-ci reste présent et volatil. Et il suffit que des incidents graves dégénèrent en guerre entre Israël et le Liban (comme lors de l’été 2006) ou avec Gaza (comme en janvier 2009), avec des ripostes israéliennes sans véritable réaction (ou avec feu orange) américaine pour que l’on voie la vague antiaméricaine renaître. La situation est assez fragile. Même chose en cas d’attaque israélienne sur le programme nucléaire iranien.

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