Baisse des chiffres de la délinquance : pourquoi l’indicateur utilisé ne permet pas encore de s’en réjouir<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement n’a pas les moyens de connaître les chiffres de la délinquance.
Le gouvernement n’a pas les moyens de connaître les chiffres de la délinquance.
©Reuters

Thermomètre cassé

Le Premier ministre a annoncé la baisse des chiffres de la délinquance. Une déclaration qui intervient en plein contexte de changement des outils de mesure de ce phénomène. Or, les conditions difficiles de la mesure imposent un constat : les chiffres manquent totalement de fiabilité.

Christophe Soullez

Christophe Soullez

Christophe Soullez est criminologue et dirige le département de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Il est l'auteur de "Histoires criminelles de la France" chez Odile Jacob, 2012
et de "La criminologie pour les nuls" chez First éditions, 2012. 

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Atlantico : Le gouvernement a annoncé des chiffres de la délinquance en baisse, sur la base des chiffres fournis par le Service statistique ministériel de sécurité intérieur, et selon des nouvelles méthodes annoncées comme "sans équivoque". Ces méthodes de recensement des actes de délinquance sont-elles fiables ? Qu'est-ce qui a changé ?

Christophe Soullez : Ces chiffres ne sont pas ceux de la délinquance mais ceux des crimes et délits enregistrés par les services de police et les unités de gendarmerie. Ce sont des données d’activité qui ne reflètent pas le niveau de la délinquance car, pour de nombreuses infractions, les victimes ne vont pas déposer plainte. C’est donc la première erreur d’interprétation commise. Les méthodes n’ont pas véritablement changé, du moins dans l'état actuel des éléments en ma possession. C’est vraisemblablement toujours le même outil statistique qui est utilisé à savoir ce que nous appelons "l’état 4001". Ce qui a changé ce sont les logiciels de rédaction des procédures dans la police et la gendarmerie. Ces modifications, toujours, en cours ont entrainé des perturbations de l’outil statistique car les pratiques d’enregistrement évoluent. C’est d’ailleurs pourquoi les statistiques policières sont aujourd’hui encore plus difficilement interprétables.

Les anciennes manières de comptabiliser les chiffres de la délinquance étaient-ils forcément plus fiables ? Est-on finalement incapable de mesurer correctement la délinquance en France ?

La délinquance ne se mesure pas qu’à l’aune des statistiques policières mais surtout à travers les déclarations des victimes faites dans le cadre de l’enquête nationale de victimation réalisée depuis 2007 par l’INSEE et l’ONDRP. Ce sont ces deux outils qui nous permettent de disposer d’une vision en tendance des évolutions des principaux phénomènes criminels, sachant que pour des infractions touchant les personnes physiques eh dehors des homicides, l'enquête de victimation est le véritable outil de référence. Ce qui a surtout changé en matière de délinquance enregistrée, c’est le fait que les policiers et les gendarmes subissent moins de pression sur les chiffres et que par conséquent ceux-ci sont surement mieux enregistrés.

Les chiffres de la délinquance étant par définition ceux issus des plaintes effectives, dans quelle mesure le biais statistique des personnes qui ne portent pas plainte rend les chiffres caducs ? A-t-on une idée de la marge d'erreur de ceux qui se taisent suite à une agression ? 

La défintion dont vous parlez a changé : on peut aujourd'hui grâce à l'enquête de victimation INSEE-ONDRP sortir de l'impasse où mènent des chiffres sur les plaintes, lorsqu'ils sont les seuls à etre disponibles. Ces statistiques policières reflètent une activité d’enregistrement et de nombreuses victimes ne déposent pas plainte. Les taux de plainte sont de 30 % pour les violences physiques non crapuleuses, de 50 % pour les violences physiques crapuleuses et de seulement 10 % pour les viols ou les violences conjugales. Vous observez donc que les plaintes enregistrées par la police et la gendarmerie sont loin de la réalité.

Le gouvernement focalise surtout sur la baisse notable des vols à mains armée, du vol de voiture, et de la baisse de la délinquance en zone rurale. Dans quels mesure ses principaux motifs de fierté – et de communication – sont vrais ou faux ?

Il est vrai qu’il y a une vraie baisse des vols à main armée qui reste une infraction bien enregistrée dans les systèmes policiers. Il est vrai aussi qu’il semble que les cambriolages d’habitations principales n’augmentent plus. Toutefois sur ce dernier point la tendance devra être confirmée par l’enquête de victimation et on devra vérifier s’il n’y a pas eu un transfert vers d’autres types d’infraction comme les cambriolages d’autres lieux (garage, abris de jardin, etc.). Pour la délinquance en zone rurale je ne sais pas ce que cela veut dire car l’ONDRP ne parle jamais de délinquance générale. Ce qui est important ce sont les tendances par type d’infraction.

Le gouvernement a-t-il au fond les moyens de connaître des chiffres précis ? Que faudrait-il faire pour avoir de vrais chiffres ne portant pas à contestation ?

Oui le gouvernement a les moyens de disposer d’informations utiles à son action. Il le peut en modernisant son outil statistique, ce qui est en train d’être fait, et en laissant à un organisme indépendant comme l’ONDRP, le soin de décrire les tendances afin d’adapter et d’orienter les politiques publiques et l’activité des services. Il le peut aussi en s’appuyant beaucoup plus qu’il ne la fait sur l’enquête de victimation. Il le peut aussi en sortant du sempiternelle schéma selon lequel seuls les policiers et les gendarmes seraient responsables de la hausse ou de la baisse de la délinquance enregistrée. Ce ne sont pas les seuls acteurs qui préviennent ou qui luttent contre la délinquance. Les chiffres de la délinquance ne doivent plus être des indicateurs de performance !

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