Bacha Posh : loin de nos débats sur le genre, la vie de ces dizaines de petites afghanes contraintes de vivre comme des garçons<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
En Afghanistan et au Pakistan, il arrive que les familles n'ayant pas de fils élèvent leur fille comme un garçon.
En Afghanistan et au Pakistan, il arrive que les familles n'ayant pas de fils élèvent leur fille comme un garçon.
©Reuters

"Sans contrefaçon, je suis un garçon"

En Afghanistan, il arrive que les familles n'ayant pas de fils élèvent leur fille comme un garçon. Mais à l'aube de la puberté, ces dernières doivent retourner à leur état originel. Un processus compliqué et douloureux.

En Afghanistan et au Pakistan, il est très mal vu de ne pas avoir de fils au sein d'une famille. Afin d'éviter le déshonneur, il arrive donc fréquemment que les parents travestissent une de leurs filles en garçon. Cette pratique courante, bien que condamnée par les mollahs, est appelée Bacha Posh-littéralement "habillé comme un garçon". Ainsi déguisées en garçon, les petites filles ont alors accès à plus de liberté. Elles peuvent entreprendre des études, jouer au foot, travailler, prendre la parole lors de discussions entre hommes et être exonérées des tâches ménagères. A travers le film "Le secret de Kanwar", sorti en France le 3 septembre, le réalisateur Anup Singh, originaire du Pendjab, en Inde, a voulu témoigner de cette coutume encore méconnue en Occident. Il lui a fallu douze ans de travail pour arriver à la réalisation de ce film dans lequel il s'est tellement impliqué qu'il a donné à ses personnages son propre nom de famille.

L'histoire commence en 1947, à l'époque de la partition de l'Inde et de la création du Pakistan. Effrayé par le nettoyage ethnique que subissent les siens, le patriarche sikh Umber Singh fuit son village natal. Désespéré quand sa femme lui donne une quatrième fille, Kanwar, il décide de l'élever comme un fil. Mais quand il la marie à la jeune Nelli, tous trois se voient confronté à la vérité de leur identité et aux limites de leur volonté.

Car normalement, la tradition veut que, dès l'arrivée de leurs premières règles, les Bacha Posh reviennent à leur état naturel de femmes pour se marier et enfanter. 

La journaliste Jenny Nordberg s'est s'est rendue en Afghanistan pour rencontrer ces petites filles travesties en garçon. Elle raconte son aventure dans le livre "The Underground Girls of Kabul: In Search of a Hidden Resistance in Afghanistan", à paraître le 16 septembre, dont The Atlantic a publié quelques extraits.

Manoush a 6 ans quand elle arrive au jardin d'enfant de Kaboul, coiffée de tresses et vêtue d'une robe verte, raconte Jenny Nordberg. Quelques mois plus tard, elle revient à l'école les cheveux coupés, habillée comme un garçon, sous le nom de Mehran. Quelques enseignants s'étonnent mais nul ne réagit. Miss Momand, un professeur arrivé à l'école bien après, se rappelle sa stupéfaction quand elle a vu un garçon aller dans le vestiaire des filles à l'heure de la sieste. Mehran, aujourd'hui âgée de 7 ans, semble désormais parfaitement à l'aise avec son nouveau rôle. Elle répète à qui veut l'entendre qu'elle est un garçon. Elle refuse de coudre et de jouer à poupée, préférant le sport. Tous les professeurs jouent le jeu et l'aident à protéger son secret, la laissant se changer dans une pièce différente des autres si besoin.

En 2012, la journaliste Stéphanie Lebrun réalise le film "Kaboul, tu deviendras un garçon ma fille". Ce documentaire raconte l'histoire de Naïd, une Bacha Posh. Si Naïd joue toujours au football comme une fille, elle le fait désormais vêtue d'un jogging et de baskets. "Notre société est patriarcale, explique-t-elle, le pouvoir est aux hommes. Si Dieu m’avait donné le choix, j’aurais choisi d’être un garçon, parce qu’ici il y a trop d’inégalités. Maintenant, je vis avec l’espoir que Dieu change quelque chose dans ma vie. Si ce n’est pas le cas, je ne sais pas ce qui va se passer".

Selon Stéphanie Lebrun, il arrive souvent que ce genre de situation crée tensions et rivalités au sein des fratries. "Toutes les petites filles ne veulent pas le devenir, certaines se sentent très bien en tant que filles voilées mais d'autres peuvent envier le statut de leur sœur Bacha Posh. Ces dernières opèrent une sorte de dédoublement de personnalité. Certaines n'aiment pas être déguisées en garçon. Au début, elles ont du mal, puis elles se rendent compte de la chance qu'elles ont d'accéder à tous ces droits", expliquait-elle en mars au Monde. 

Officiellement, les filles comme Mehran et Naïd n'existent pas en Afghanistan, où le système de la ségrégation des genres est l'un des plus stricts au monde. Toutefois, tout le monde là-bas se souvient avoir vu un voisin, un parent éloigné ou un collègue, élever l'une de ses filles en garçon. Les travailleurs de la santé en voient défiler tous les jours dans les hôpitaux. Selon eux, on rencontre ce phénomène dans toutes sortes de familles, peu importe qu'elles soient riches ou pauvres, éduquées ou analphabètes. Une famille travestit sa fille en garçon pour qu'elle puisse travailler et lui rapporter de l'argent, une autre pour qu'elle ne se fasse pas embêter sur le chemin de l'école…

En revanche, quand arrive la puberté, la Bacha Posh doit redevenir femelle. Si elle attend trop pour revenir à son état naturel, cela pourra porter atteinte à sa réputation. Car l'adolescente afghane ou pakistanaise n'a pas le droit de se trouver aux alentours de garçons de son âge. Elle pourrait en toucher un par erreur ou, pire, se faire toucher. Elle serait alors vue comme une fille perdue par ceux qui connaissent son secret. Cela pourrait ruiner ses chances de se marier et salirait la réputation de sa famille par la même occasion.

Mais cette transformation inverse, d'état de garçon à celui de fille est compliquée car elle semble régressive, raconte Stéphanie Lebrun. " Il est dur pour elle (une Bacha Posh, nldr) d'épouser un homme, de prendre le rôle d'une femme et surtout "se taire" ne leur plaît plus". A l'adolescence, les Bacha Posh se sentent, bien souvent, socialement "hommes", elles n'ont pas grandi avec les valeurs conservatrices inculquées aux jeunes filles "normales".

C'est pourquoi, certaines d'entre elle transgressent la règle en décidant de demeurer Basha Posh, comme l'Afghane Ukmeena Manoori, 50 ans, auteur de "Je suis une Bacha Posh" paru en 2013. Adolescente à la période de la guerre froide, Ukmeena s'est battu contre les soviétiques. Lors du Djihad, elle a combattu auprès des moudjahidins. Elle a ensuite été élue au conseil de sa province et a réussi à se faire respecter des hommes de sa communauté. Aujourd'hui, elle se consacre entièrement à sa lutte pour le droit des femmes.

                                                                                                                                                                                                    Raphaëlle de Tappie

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !