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Aveuglement ou mauvaise foi ? L’enseignement de l’histoire relève nécessairement d’un choix politique
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Évidence même

L'affrontement du débat d'entre deux tours a vu les deux candidats proposer deux visions de l'enseignement de l'Histoire : d'un côté François Fillon renoue avec le "récit national", quand Alain Juppé renvoie la matière à la seule "science". Une ligne de fracture plus importante que d'autres très médiatisées semble ici se dessiner entre les deux finalistes.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

Voir la bio »

Atlantico : La question de l'enseignement de l'histoire a été un point de dissension entre les deux finalistes de la primaire de la droite et du centre, Alain Juppé et François Fillon. Le premier a écarté la question en affirmant : "l'histoire, ce n'est pas un récit, un roman, c'est une science". Peut-il vraiment ôter toute valeur idéologique à cette façon de penser l'histoire ? En quoi l'histoire n'est pas une science comme les autres ?

Jean-Paul Brighelli : Récit ou roman, on joue sur les mots. Le spécialiste de Dumas que je suis sait bien que "roman historique" est un oxymore, une contradiction dans les termes. Mais je sais aussi que c'est par le récit que le grand historien - ou le bon professeur d'Histoire - fait entrer son auditoire de plain-pied dans le passé. Sans compter que l'Histoire s'est toujours nourrie de fictions. De légendes. Le grand Ferré ou le petit Bara, légendes - mais légendes fécondes. Ce que nous savons de la guerre de Troie, nous le tenons d'un poète aveugle dont l'existence même est suspecte : n'empêche qu'Achille ou Ulysse ont bien plus de réalité que nos modernes candidats à la présidence...‎

Et l'Histoire peut bien tendre vers la science, elle ne sera jamais une science. Trop d'incertitudes s'y opposent, trop d'intérêts idéologiques sont en jeu. "Le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellect ait élaboré", disait d'elle Paul Valéry.

Ajoutez à cela ce que j'appelle le syndrome de Liberty Valance. A la fin du film homonyme de John Ford est formulé le grand principe : "When the legend becomes fact, print the legend !" Je suspecte les historiens d'obtempérer parfois malgré eux à ce principe. Et alors ? Comment croyez-vous que l'on intéresse les peuples et les enfants ? Prenez Jeanne d'Arc : dans le contexte de la défaite de 1870, elle fut une icône de gauche - avant d'etre revendiquée par la droite parfois la plus extrême.  

En quoi est-ce que cette neutralité d'apparence défendue par Juppé est plus engagée qu'il n'y parait ?

Vouloir à toute force enseigner des incertitudes (et le doute a du bon, encore faut-il savoir à quel niveau on doit le propager) est une position dangereuse. ‎Non seulement les enfants ont besoin de certitudes - ils ont bien le temps de les nuancer -, mais la France a besoin de certitudes. Comme la France d'avant 14, quand la IIIeme République préparait la revanche. Sinon, le doute scientifique ouvre une béance que les âmes faibles comblent en cherchant ailleurs des certitudes - dans la propagande la plus meurtrière, par exemple. Alors oui, le "récit national" est un pare-feu. Il est nécessaire. Et il est pédagogique.

On voit aujourd'hui à l'oeuvre un authentique révisionnisme, vu par exemple dans la première mouture des nouveaux programmes, qui evacuaient entre autres les Lumières. Des programmes dont Michel Lussault, leur concepteur, a prétendu exclure ces deux mots, "patrie" et "nation". C'est adopter le point de vue révisionniste et crapuleux des Indigènes de la République. Paul Yonnet en 1990 (l'expression "roman national" date de cette époque, Pierre Nora l'avait forgée sur le modèle du "roman familial" freudien) fustigeait la façon dont l' idéologie de SOS-racisme détruisait volontairement la notion de Nation. Et "patrie" évoque désormais Pétain, alors que  "Mourir pour la patrie est le sort le plus beau", comme dit le Chant des Girondins (que devrait connaître le maire de Bordeaux) qui fut l'hymne national de la IIeme République ! 

Quelle importance donne son opposant François Fillon à cette matière ? Que pensez-vous de sa vision de l'enseignement de l'Histoire de France ?          

Autant être clair. La césure aujourd'hui est entré les souverainistes - et Fillon l'est dans une certaine mesure - et les hérauts de l'Europe à tout prix et de la mondialisation. D'un côté Mélenchon, Dupont-Aignan, Marine Le Pen et François Fillon, à des titres divers et avec plus ou moins d'intensité. De l'autre Juppé, Hollande ou Macron. La réflexion sur l'enseignement de l'Histoire pourrait paraître secondaire, alors qu'elle est fondamentale. Il faut réenchanter la France - ou se résigner à la voir se dissoudre.

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