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Ces avantages majeurs que détient Amazon par rapport à ses concurrents Google et Apple en matière d’innovation
©Reuters

Une longueur d'avance

Développement de produits en dehors du cœur de compétences, mobilisation rationnelle et progressive des ressources en vue du développement d'une idée, évitement de la standardisation des procédés, etc. : autant de facteurs qui expliquent pourquoi Amazon se démarque de Google et d'Apple en matière d'innovation.

Frédéric Marty

Frédéric Marty

Frédéric Marty est chercheur affilié au Département Innovation et concurrence de l'OFCE. Il également est membre du Groupe de Recherche en Droit, Economie et Gestion (GREDEG) de l'Université de Nice-Sophia Antipolis et du CNRS.

 

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Atlantico : Objets connectés (Echo), livres numériques (Kindle), le cloud computing, etc. : Amazon apparaît comme le leader dans plusieurs catégories de produits, à la différence de Google ou Apple qui peinent à générer du profit et de la croissance en dehors de leur cœur de compétence. Quel avantage cela confère-t-il effectivement à Amazon par rapport aux deux autres géants de l'high tech ? Comment expliquer cette capacité d'Amazon que ne parviennent pas à développer (ou difficilement) Apple ou Google ?

Frédéric Marty Les investissements de ces firmes en dehors même de leurs marchés traditionnels conduit tout d’abord à nuancer quelques perceptions parfois discutables. Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) sont souvent vus comme autant de monopoles et comme des firmes très comparables les unes aux autres. Non seulement ces groupes présentent des cultures et des modèles d’affaires très différents mais, malgré leurs puissances de marché sur leurs segments de domination respectifs, ils font face à de très fortes pressions concurrentielles. Chacun des GAFAM constitue une menace concurrentielle latente pour les autres quand bien même chacune domine de façon hégémonique son cœur de marché. Il y a donc une apparente contradiction entre les craintes –légitimes– d’une domination irréversible sur certains marchés, exprimées par la Commission européenne et la réalité concurrentielle qui est celle des GAFAM.

La concurrence qui s’exerce sur elles doit être conçue au sens de Michael Porter comme une concurrence étendue[1]. Les firmes en questions luttent pour les marchés futurs et sont perpétuellement sous la menace les unes des autres. Il s’agit dans une certaine mesure de "monopoles" mais de monopoles qui ne jouissent pas de leur plus grand bénéfice théorique qui est celui d’une vie paisible. En effet, la position concurrentielle d’aujourd’hui n’augure pas de la puissance de marché de demain.

Aucune GAFAM n’est fondamentalement à l’abri d’une rupture technologique ou d’un renouvellement radical des modèles d’affaires, en d’autres termes d’une disruption. Cette situation est remarquablement définie par Nicolas Petit de l’Université de Liège au travers de son concept de molygopole[2]. Les investissements en recherche-développement des GAFAM, leurs politiques de rachat de start-ups ou leurs tentatives de diversification tout azimut au-delà du strict secteur de l’Internet répondent à ce risque de rapide marginalisation en cas d’émergence d’une innovation de rupture. Leur attitude s’explique par la conscience que la concurrence des autres membres du molygopole n’est qu’à un clic. Il s’agit donc de penser la concurrence entre ces firmes au-delà de la stricte définition des marchés pertinents (en d’autres termes des biens et des services étroitement substituables les uns aux autres) comme pourrait le faire une autorité de concurrence.

La stratégie des firmes concernées est donc intrinsèquement conglomérale ce qui explique à la fois l’ampleur de leurs investissements en recherche-développement et la diversité de ceux-ci au-delà de leur cœur de métier. Il s’agit donc à la fois de repousser les limites de ces derniers et de trouver de nouveaux relais de croissance potentiels, y compris sur des marchés jusqu’alors dominés par des acteurs de l’économie traditionnelle.

Cependant, si la nécessité stratégique est la même pour l’ensemble des GAFAM, elle revêt des caractéristiques particulières en fonction des solidités respectives de leurs position de marché et de leur culture d’entreprise. Certains sont mieux protégés par leur détention de ressources cruciales en matière de données et d’algorithmes permettant leur valorisation, comme Google, ou bénéficient d’une forte intégration verticale au travers d’équipements (ordinateurs, téléphones, tablettes,…), comme Apple. Ils sont protégés par l’écosystème qu’ils ont créé. La position de marché est consolidée par une logique de silos. Celle-ci est construite et renforcée par les effets de réseaux et les coûts de changement d’écosystème pour les utilisateurs. Que l’écosystème soit ouvert ou fermé, le portefeuille d’utilisateurs et de développeurs qui l’utilisent permet de rendre la position de marché moins précaire.

Les plateformes d’intermédiation comme Amazon ne sont pas réellement protégées par un tel écosystème. Pour celles-ci la menace concurrentielle n’est réellement qu’à un clic. L’entrée de nouveaux acteurs sur le marché européen des plateformes de commerce en ligne d’opérateurs low-cost, notamment chinois tels AliExpress, montre à quel point la concurrence peut être immédiatement menaçante y compris sur le cœur de métier. Les opérateurs sont alors obligés de se réinventer en permanence sous peine d’être supplantés par un nouvel entrant. Amazon a d’ailleurs fait considérablement évoluer son modèle économique depuis ses origines. D’un libraire en ligne pur, il est devenu une plateforme d’intermédiation biface, telle que la définissent les économistes, au travers de son ouverture à d’autres distributeurs qui peuvent commercer avec ses utilisateurs via son site Internet[3]. C’est d’ailleurs par cet intermédiaire qu’il lutte contre l’entrée des nouveaux concurrents chinois, en référençant une part croissante de fournisseurs chinois et en réduisant les coûts d’expéditions via son service FBA (fulfillment by Amazon).

Il ne s’agit que d’un facteur parmi d’autres expliquant la nécessité d’innover pour préserver sa position de marché. Par exemple, le brevet déposé en 1999 aux Etats-Unis sur la possibilité d’achat en un clic "Amazon’s 1-Click", arrive à échéance en 2017. Les plateformes concurrentes pourront adopter cette technologie. Ainsi, au-delà même de la culture d’entreprise, une plus forte menace concurrentielle peut expliquer la plus forte propension d’Amazon à innover et à chercher des relais de croissance plus directement rémunérateurs que ses concurrents au-delà de son cœur de métier comme en témoigne ses diversifications avec Echo (l’assistant vocal), Dash Button (pour des achats automatiques), et Kindle (liseuses) mais aussi ses activités dans le cloud computing ou encore son prochain projet de développement de magasins traditionnels sans passage en caisses, Amazon Go pour lequel il existe déjà une expérimentation à Boston.

Amazon n’a pas pour autant l’exclusivité des projets de diversification hors de la sphère de l’Internet: les autres GAFAM sont également actifs. Ceci est tout à fait conforme avec la logique de la concurrence conglomérale qui prévaut entre eux. Amazon n’a pas non plus l’exclusivité des diversifications non couronnées de succès. Si Kindle a été un succès, une autre tentative d’intégration verticale (qui aurait pu faire naître un modèle de silo pouvant consolider ses positions de marché) avec les smartphones Fire a été un échec. Il aurait pu au travers de son intégration dans l’écosystème favoriser l’utilisation d’autres services comme le cloud.

Il n’en demeure pas moins que, malgré cet échec et au vu des difficultés des autres GAFAM à créer de réels marchés au travers de leurs stratégies de diversification, la stratégie d’Amazon se distingue par sa capacité à trouver de rapides valorisations de ses innovations sur le marché.Ces innovations se caractérisent moins par les ruptures technologiques qu’elles portent ou par leur intégration dans un écosystème technique que par leur capacité à générer des usages chez les consommateurs. Peu ou prou, nous retrouvons de vieilles oppositions entre firmes d’ingénieurs et entreprises plus orientées vers le client. Bien que cela soit caricatural, une telle distinction reviendrait à distinguer entre un modèle dans lequel une innovation est poussée sur le marché par la recherche interne de la firme et un modèle dans lequel l’innovation est tirée par l’analyse des besoins potentiels des consommateurs.

Pour autant, il convient d’articuler des perspectives de court et de long termes. Certains des programmes portés par Google ne sont pas des prouesses techniques sans perspective de valorisation sur le marché. Les investissements d’aujourd’hui permettront peut-être à terme de préempter des relais de croissance ou des secteurs clés quand les technologies et les consommateurs seront matures. Des investissements vers des objets connectés, des véhicules autonomes ou le secteur de la santé pour l’instant peu rémunérateurs peuvent s’avérer à terme déterminants en matière de capitalisation, de traitement et de valorisation de flux de données.


[1] Michael Porter, (1998), Competitive Strategy – Techniques for Analyzing Industries and Competitors, The Free Press.

[2] Nicolas Petit, (2016), “Technology Giants, the Moligopoly Hypothezis and Holistic Competition: A Primer”, Octobre.

https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2856502

[3] Le concept de marché biface a notamment été forgé par Jean Tirole. Une plateforme d’intermédiation électronique joue ce rôle quand elle met en relation deux types d’utilisateurs dont les présences respectives créent de la valeur pour chacun d’entre eux.

Afin de développer une idée, Amazon privilégie la constitution de petites équipes avec des moyens réduits, dans l'optique de commercialiser le plus rapidement possible cette idée, à la différence de Google ou Apple qui ont tendance, pour cela, à mobiliser des ressources humaines et financières beaucoup plus importantes. Quel(s) problème(s) pose cette dernière stratégie mise en oeuvre par des entreprises comme Apple ou Google ? 

La différence des stratégies d’organisation des activités de recherche-développement peut s’expliquer par le choix d’intégrer ou non l’ensemble des produits et services dans une technologie donnée et par des cultures d’entreprises différentes. Un premier modèle suppose naturellement une forte standardisation, tandis qu’un second où l’innovation est tirée par l’identification des besoins plus immédiats des consommateurs passe plus naturellement par un foisonnement des recherches.

Un tel foisonnement est conditionné à une décentralisation des initiatives et un pluralisme technologique. Ne pas viser à s’insérer dans un écosystème cohérent favorise une stratégie de recherche plus agile, plus apte à générer un portefeuille d’activités rentables et à se réorienter. La gestion des projets dans une logique d’expérimentation avec des petites équipes dédiées suppose de rendre possible la constitution de quasi start-ups au sein même de la structure. Il s’agit de rendre possible la conciliation du meilleur de deux mondes, la grande entreprise avec ses ressources financières et son portefeuille de technologies et l’entreprise innovante pour sa capacité à générer des innovations de rupture. L’efficacité du modèle repose sur la capacité de la firme à identifier et à soutenir sans dénaturer les projets prometteurs. Il suppose que le management de la firme soit capable d’identifier les besoins futurs des consommateurs, d’arbitrer entre les différents projets et d’organiser leur montée en puissance. Il ne s’agit pas d’organiser une sorte de Concours Lépine permanent mais de favoriser l’émergence d’innovations de rupture qui peuvent rencontrer leur marché et servir de sources de revenus si ce n’est de base potentielle de redéploiement pour la firme.

Somme toute, la question revient à savoir si l’innovation se planifie ou non, ou si elle peut plus aisément provenir de grandes structures ou de nouveaux entrants. Cependant, suivant les données produites par Nicolas Petit, l’examen des dépenses de recherche-développements des différents GAFAM rappportées à leurs revenus est riche d’enseignements. Google et Amazon investissent une part comparable de leurs revenus. Pour autant, alors que la part des revenus investis par Google est passée de 13 à 14% entre 2012 et 2014, celle d’Amazon est passée de 7 à 10%. La comparaison avec les autres GAFAM est des plus instructive : Microsoft investit 13% de ses revenus, 24 % pour Facebook et seulement 3% pour Apple. Il semblerait que moins forte est la protection assurée par un silo concurrentiel (i.e. un écosystème qu'utilisateurs et développeurs ne peuvent aisément quitter), plus forte est la menace concurrentielle et donc plus significatifs doivent être les investissements en recherche-développement.

Mais encore une fois, en suivant Nicolas Petit, nous pourrions considérer que l’apparent dynamisme d’Amazon par rapport à d’autres GAFAM peut aussi s’expliquer par son modèle concurrentiel qui met l’accent sur la pénétration de nouveaux segments de marché alors que celle de Google porte plutôt sur l’intégration de nouveaux services dans son écosystème, services orientés principalement vers les entreprises, que celle de Microsoft s’oriente vers le développement de nouvelles technologies et celle d’Apple réside dans l’offre de nouveaux produits se différenciant de ceux des concurrents. Il ne faut donc pas sur-interpréter les résultats de court-terme des investissements en recherche-développement des différents GAFAM.

Apple et Google sont des entreprises réputées pour leur forte standardisation des procédés. Chez Amazon en revanche, chacun est libre d'utiliser la technologie qu'il souhaite pour le projet qu'il est censé développer. Que permet effectivement l'utilisation de technologies différentes que ne permet pas la standardisation des procédés ? Dans quelle mesure cette dernière peut-elle freiner l'innovation ? 

La standardisation est nécessaire à l’efficacité de la firme mais peut aller à l’encontre de son agilité. De la standardisation des technologies et des procédures naissent la cohérence, la possibilité de grande série et les synergies entre les différents produits. La robustesse de l’avantage concurrentiel et donc de consolidation de la position de marché à long terme tiennent à la cohérence, aux effets de capitalisation et de renforcement croisés des différents produits et services. Pour autant, le problème principal dans une telle logique tient au poids de la structure, et donc au risque d’affaiblissement progressif du potentiel de porter des innovations autres qu’incrémentales.  La pluralité (des centres de décision et des technologies) permet de préserver l’agilité de l’entreprise. Celle-ci peut conserver sa flexible, sa capacité à se redéployer rapidement vers une nouvelle technologie ou un nouveau modèle d’affaires. Accepter une moindre standardisation induit un surcoût mais peut-être un investissement nécessaire. Pour autant, tout est à nouveau une question d’équilibre. Une faible standardisation réduit les potentiels de capitalisation des avantages de la firme. Elle est moins protégée par des  verrouillages technologiques et concurrentiels. Son avantage compétitif est donc plus précaire. Si les barrières à l’entrée sont faibles, l’avantage concurrentiel n’est que celui du first mover, c’est-à-dire du premier innovateur. Il sera d’autant plus facilement menacé. L’entreprise doit alors chercher à renouveler constamment son avantage. Elle ne peut accéder à la vie paisible du monopole.

Des entreprises comme Apple ou Google ont entrepris, depuis plusieurs années maintenant, une stratégie d'acquisitions de startups innovantes, Amazon préférant favoriser l'entrepreneuriat et l'innovation en interne. Au regard des échecs récents d'acquisitions, notamment pour Google (cf. Nest), quels risques présentent effectivement cette stratégie d'acquisitions dans le développement et les capacités d'innovation d'entreprises comme Google ou Apple ? 

Les GAFAM partagent la conviction que les cartes du jeu concurrentiel peuvent être rebattues par des innovations de rupture qui peuvent difficilement émerger d’un processus pleinement planifié. Il s’ensuit un accent sur la sérendipidité. Ce terme désigne la possibilité que les innovations de rupture potentielles ne soient découvertes que par hasard dans le cadre de programmes des plus larges. Il ne s’agit pas de considérer que les découvertes se font par hasard mais que des innovations potentielles peuvent apparaître à certains moments dans des circonstances imprévues. La firme doit alors avoir les capacités d’attention nécessaires pour les repérer et s’en saisir.

Elle peut même les favoriser, comme le font Amazon et d’autres, en favorisant les expérimentations et en encourageant les prises d’initiatives des ingénieurs. Cela peut passer par des plages horaires dans lesquelles les thématiques de travail sont libres ou par la mise en place de structures internes dédiées. Le curseur peut être placé différemment d’un GAFAM à l’autre. La recherche peut s’articuler avec les lignes de produits existantes ou être totalement autonome, être pleinement libre ou être assujettie à des évaluations de long terme ou encore être plus réactive ou en lien avec la prévision des besoins potentiels des clients.

De la même façon, la recherche de nouvelles technologies ou de solutions innovantes peut passer par l’extérieur de la firme. En d’autres termes, elles peuvent être développées par des start-ups qui peuvent être rachetées par la firme. Ce modèle permet de concilier les avantages des petites structures en termes de capacités d’innovations et les moyens des grands groupes en matière de financement et d’intégration dans des offres commerciales. C’est un modèle qui est souvent mis en œuvre dans le secteur pharmaceutique. Il a néanmoins deux faiblesses. La première faiblesse est financière. Les rachats peuvent être particulièrement coûteux et difficiles à amortir. La seconde faiblesse est managériale. Il n’est pas dit que l’intégration des équipes se fasse aisément et efficacement et que l’intégration de la technologie dans l’écosystème du grand groupe réponde aux espoirs initiaux. Il est clair qu’une logique de start-ups internes permet de pallier ces deux risques, à la condition bien évidemment qu’il soit possible de récréer un tel environnement au sein d’une grande organisation.

A nouveau, le contraste entre Amazon et Google peut apparaître. A la réussite d’Echo répondent les difficultés de Nest, la filiale domotique de Google. Le rachat de cette structure spécialisée dans les thermostats connectés n’a pas porté, loin s’en faut, ses fruits. Une bonne partie des difficultés semble venir de l’intégration de Nest dans le groupe Google. Même si des complémentarités technologiques et commerciales existent entre deux entités, les fusions-acquisitions peinent souvent à tenir leurs promesses du fait de la difficulté de concilier des cultures d’entreprises différentes que cela soit en termes managériaux ou techniques. Pour autant, les GAFAM se caractérisent par la mise en œuvre de nombreuses opérations de croissance externe qui n’ont pas toutes été des échecs comme le montre pour Google le rachat de Waze ou celui plus ancien de YouTube. Il est au passage à noter que la réussite de l’intégration passe souvent par la qualité du management de l’intégration et souvent par la préservation du modèle d’entreprise de l’entité rachetée.

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