Avant ses découvertes contre la rage, Louis Pasteur avait entamé des recherches sur les vaccins en étudiant des animaux porteurs de la fièvre charbonneuse<!-- --> | Atlantico.fr
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Portrait non daté de Louis Pasteur (1822-1895), chimiste et microbiologiste français.
Portrait non daté de Louis Pasteur (1822-1895), chimiste et microbiologiste français.
©AFP

Bonnes feuilles

Marc Menant publie « L’inquiétante histoire des vaccins » aux éditions Plon. Profitant de la crise du Covid-19, la médecine foule au pied le plus grand de nos principes républicains : la liberté. L'histoire des vaccins depuis Pasteur peut nous aider sur ce débat au cœur de nos vies. Extrait 1/2.

Marc Menant

Marc Menant

Marc Menant est journaliste et auteur de nombreux essais et romans. Il est chroniqueur dans l'émission quotidienne Face à l'info de Christine Kelly, et participe avec Franck Ferrand à l'émission dominicale La Belle Histoire de France sur CNEWS.

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Six ans à la trifouille des larves et des grouillantes colonies, six ans couronnés par la démonstration qu’il y a bien un germe à l’origine de la maladie, en l’occurrence une bactérie qui infecte l’intestin des vers. En cause, la pratique de la plupart des magnaneries qui, au lieu de les nourrir sur des mûriers, leur distribuent des feuilles mouillées et broyées, ce qui, lors de leur stockage par absence de ventilation, permet la prolifération des pathogènes. Les vers étant répartis sur des claies superposées, leurs déjections porteuses de bactéries dégringolent d’étage en étage, ce qui achève la contamination. Une fois encore de simples mesures de réorganisation endiguèrent le fléau, mais Pasteur, après ce sauvetage de l’industrie de la soie, ne retint de ses observations que la bactérie contaminante, ce qui renforçait ses convictions sur les germes pathogènes. C’est ainsi, lentement, très lentement, avec une opiniâtre patience, qu’au fil du temps et des expériences, il étaye ses hypothèses sur l’origine des maladies infectieuses. En 1876, après l’observation de plaies, il écrit dans son cahier de laboratoire :

«Il me vient cette idée que le corps étranger quand il amène le pus, ce qui n’est pas constant, doit apporter un germe, lequel germe serait cause de la formation de pus. Cette idée est bizarre, mais néanmoins je veux l’éprouver.»

Ça grinche à son écoute, n’est pas bien vu Pasteur par le gratin de la Faculté, d’autant que ses relations ont fini par lui décrocher (d’une seule voix) son entrée à l’Académie de médecine. Intrus, Pasteur, chimiste de formation ! Hérésies, ses positions, ne trouve que quelques marginaux pour l’encenser, dont le chirurgien Charles Sédillot qui baptise «microbes » les hypothétiques micro-organismes que Pasteur appelle à combattre par l’hygiène et l’asepsie dans une communication à l’Académie des sciences en avril 1878, intitulée «La théorie des germes et ses applications à la médecine et à la chirurgie». Pour débusquer les lilliputiens, Pasteur engage un médecin, Émile Roux, qui, à l’aide d’un liquide biologique, prélève des échantillons de pus dans les plaies des malades et les ensemence dans des bouillons de culture.

En 1879, victoire, Pasteur et Roux isolent et identifient la fameuse substance «inconnue » de Semmelweis, le germe déclencheur de la fièvre puerpérale, et le nomment «streptocoque». De la même manière, ils extirpent d’un abcès un germe pathogène, le cultivent, le décrivent et le nomment «staphylocoque». Déterminante, la découverte après vingt ans d’élucubrations est la preuve indubitable que chaque maladie infectieuse a pour cause un microbe ! Pasteur en déduit que par contamination les maladies peuvent faire le tour du monde :

«Soit un être microscopique, écrit-il, habitant telle ou telle contrée de l’Afrique où il existerait sur des animaux, sur des plantes, des hommes même, et qui serait capable de communiquer une maladie à la race blanche. Une circonstance fortuite l’amène en Europe et il pourra devenir l’occasion d’une épidémie.»

Ah, il le tient bien, Pasteur, le filon qui, au final, devrait l’auréoler à la gloire ! Lui, le chimiste, arrime enfin la médecine à l’essor du progrès; mieux, il ouvre sans le nommer un nouveau champ de connaissance, la «microbiologie». Pour autant, Pasteur, lucide, reconnaît les lacunes de son avancée dans un courrier à Joseph Lister, médecin anglais marginalisé dans son pays pour avoir, dès 1865, prôné l’antisepsie en chirurgie et appliqué la méthode sur un enfant de 11 ans dont il avait nettoyé la plaie au phénol.

«Je serais très heureux de pouvoir vous dire tout ce que je sais sur l’atténuation des virus très infectieux; mais vraiment je ne le puis pas, non par le vain désir de cacher un secret et de conserver une observation qui me met en avant des autres, mais par prudence scientifique et parce que je ne suis pas satisfait de mes connaissances. Elles sont trop incomplètes, elles sont trop mêlées de circonstances que je ne puis comprendre.»

Filou, Pasteur ne veut pas prendre le risque de lâcher un indice qui, par chance, éclairerait la recherche de Lister. Pourtant, pas si incomplètes, ses connaissances, il accepta la mission du ministère de l’Agriculture de combattre en urgence une épidémie de charbon qui ravageait le bétail dans des élevages en Eure-et-Loir. Il est vrai qu’il bénéficiait aussi des travaux du docteur CasimirJoseph Davaine qui, dès 1857, avait identifié dans le sang d’animaux morts du charbon un micro-organisme en forme de bâtonnet, l’avait injecté à un lapin qui trépassa. Hélas, la reproduction de l’expérience donna des résultats si aléatoires que Davaine, déconcerté, abandonna ses recherches. Pasteur reprit les protocoles de ce pionnier et les enrichit de sa propre approche sur les germes. Son gendre, René Vallery-Radot, décrit la méthode mise en place :

«Une petite goutte de sang d’un animal mort du charbon, une goutte microscopique, fut déposée, ensemencée, après les précautions habituelles de pureté, dans un ballon stérilisé qui contenait de l’urine neutre ou légèrement alcaline. Le liquide de culture pouvait être également du bouillon ordinaire, du bouillon de ménage, ou encore de l’eau de levure de bière, l’un et l’autre neutralisés par la potasse. Au bout de peu d’heures quelque chose de floconneux nageait dans ce liquide… Une goutte de ce liquide prélevée dans le premier flacon servit à ensemencer un second flacon dont une goutte servit de même à ensemencer un troisième flacon et ainsi de suite jusqu’à un quarantième. La semence de ces cultures successives provenait d’une goutte de la culture précédente. Introduisait-on une gouttelette d’un de ces flacons sous la peau d’un lapin ou d’un cobaye, c’était la maladie charbonneuse, c’était la mort que l’on inoculait. Mêmes symptômes, mêmes caractères que si l’on avait inoculé la goutte de sang primitive.»

Clair, le mécanisme ! Un bacille déposé dans de l’urine prolifère naturellement et une goutte de ce ragoûtant bouillon inoculé à un animal suffit pour lui transmettre la maladie. Reste que parfois l’autopsie des cobayes ne recelait aucune trace du bacille. Pour élucider le mystère, Pasteur se rend à Chartres, où les bêtes sont particulièrement frappées par le fléau, et sélectionne une brebis morte seize heures plus tôt, un cheval passé à trépas depuis vingt-quatre heures et une vache emportée deux jours auparavant. À l’œilleton du microscope, il découvre dans le sang de la brebis une invasion de bacilles charbonneux; dans celui du cheval, le flux est beaucoup moins intense, et il ne trouve aucune trace dans le prélèvement de la vache. Alors, il injecte une goutte de ce sang de la vache à un cobaye qui meurt quelques heures plus tard d’une infection intestinale. À l’autopsie apparaît bien un grouillement de micro-organismes mais Pasteur considère ces germes comme étant ceux à l’origine de la putréfaction, germes dont la spécificité est de proliférer en anaérobie, c’est-à-dire en milieu privé d’oxygène, d’où leur absence dans le sang de la vache défunte. Il nomme ces micro-organismes «vibrions septiques » et extrapole le mécanisme de l’infection : «Ce germe doit exister un peu partout et, donc dans les matières intestinales. Lorsqu’un cadavre est abandonné à lui-même et qu’il renferme encore ses intestins, ceux-ci deviennent promptement le siège d’une putréfaction. C’est alors que le vibrion septique doit se répandre dans les parties profondes.» Perlimpinpin, le savant raisonnement, pour de nombreux paysans, qui, dans des haussements d’épaules, bougonnent qu’au côtoiement des bêtes atteintes par le charbon les poules échappent à la contamination. Pasteur réplique à l’intuition que les poules bénéficient d’une immunité naturelle grâce à leur température corporelle qui dépasse les 42 degrés Celsius, ce qui tue le bacille, assertion qu’il démontrera plus tard en réplique aux critiques virulentes d’un membre de la Faculté, Gabriel Colin. (Remarquons, ici, le rôle primordial de la fièvre dans la lutte contre les infections.)

La cause de la maladie étant établie, le ministère presse Pasteur de mener des recherches in situ pour élucider la propagation de la maladie. À l’été 1878, revoilà Pasteur à Chartres. Dès son arrivée il ordonne la moisson d’une prairie de luzerne et fait arroser la récolte d’un bouillon de culture de bacilles charbonneux, persuadé de générer ainsi l’anéantissement du troupeau. Or, une fois gavés aux agapes empoisonneuses, les moutons gambadent tout fringants et réclament à grands bêlements un rabe de dégustation toxique. Pasteur reprend ses observations et s’aperçoit que dans la jachère où pâture le bétail, prolifèrent entre les touffes d’herbe, chardons et épis de céréales dont la mâchouille crée des lésions dans la gueule des herbivores. Il recommence son expérience initiale en plaçant dans la luzerne imbibée du bacille du charbon, les végétaux écorcheurs. Cette fois une partie du cheptel trépasse. Lumineuse, la compréhension des causes du phénomène à la lecture du rapport qu’il adresse au ministère :

«Le charbon se communique spontanément aux animaux par des aliments recouverts de bactéries, mais seulement quand ces animaux ont des blessures ou qu’ils se blessent en mangeant, blessures qui seraient d’ailleurs tout à fait insignifiantes sous le rapport de leur santé générale si quelques circonstances accidentelles ne les rendaient dangereuses. La maladie apparaît difficilement alors même que les germes du mal abondent.»

Déterminante mais pas suffisante, la sagace analyse ; reste à comprendre le fait que l’épidémie frappe les herbages comme une malédiction, les uns sont encombrés de cadavres tandis que ceux qui les jouxtent voient leurs troupeaux en flambante santé. Pasteur retourne battre la campagne et repère des zones de végétation plus sombres dans les surfaces d’hécatombes. Intrigué, il interroge les cultivateurs qui lui révèlent que ce sont les endroits où ils enfouissent les dépouilles des bêtes victimes de l’épidémie. Instantanée, l’élucidation du phénomène : les lombrics, les coupables, dans leur travail de «laboureurs», ingèrent les spores des bactéries de putréfaction et les remontent en surface. Magistrale, l’explication. Pasteur la développe devant l’Académie en 1880 :

«Un animal charbonneux est enfoui; le parasite, cause de la maladie et dont le sang est rempli, se cultive dans la terre qui entoure le cadavre ; il s’y réduit à l’état de germes. Ceux-ci seraient inoffensifs s’ils restaient à l’intérieur de la terre, mais les vers de terre les ramènent des profondeurs à la surface. Alors, les pluies et les travaux de la culture les répandent sur les plantes ou les eaux les entraînent dans les ruisseaux quand les circonstances s’y prêtent. Ensuite, ces germes du mal pénètrent dans le corps des animaux et y développent le parasite infectieux.»

Implacable, le diagnostic implique des mesures de bon sens dont Pasteur ordonne l’application immédiate :

«Il faut empêcher les bêtes de paître dans les pâturages où les cadavres ont été enterrés. Les champs de récolte ne doivent pas être des cimetières. Terres de pâturage et de fourrage ne doivent pas être celles où les cadavres sont enfouis!»

Foudroyante efficacité des mesures! Éradiquée en quelques jours, l’épidémie. Voilà qui aurait sans doute changé l’histoire de la médecine si Pasteur n’avait été persuadé que les vaccins, dont le premier, contre la variole, avait été inventé à la fin du XVIIIe siècle par Edward Jenner, les vaccins, donc, accrocheraient la médecine au progrès, à l’égal de la chimie ou de la physique. Pour autant, contrairement aux matérialistes qui, avec l’émergence du progrès, enterraient Dieu, lui, le calotin frénétique, voyait dans la nouvelle ère la confirmation que le Seigneur avait bien conçu l’homme à son image et que, dorénavant, Il le dotait d’une partie de Sa toute-puissance sur la terrifiante nature qui trop souvent sabrait alors les familles – Pasteur et son épouse avaient ainsi subi l’atroce déchirure de la perte de trois de leurs cinq enfants : Camille, à 2 ans, d’une tumeur au foie, Jeanne et Cécile, à 7 et 12 ans, d’une fièvre typhoïde. Prouver que ces drames si fréquents n’étaient point punitions divines, comme le croyait une grande partie de la population, mais l’œuvre de microbes, encouragea Pasteur à ne pas se contenter de solder ses recherches sur les maladies infectieuses par une banale mesure de sous-préfet : l’isolement des contaminés! La création d’un vaccin s’impose alors comme une authentique mission et il réussit le prodige en seulement quelques mois d’expérimentations, de sorte qu’il adresse dès mars 1881 une première note à l’Académie :

«Chacun de nos microbes charbonneux atténués constitue pour le microbe virulent un vaccin, c’est-à-dire un virus propre à donner une maladie plus bénigne. Quoi de plus facile dès lors que de trouver dans ces virus successifs des virus propres à donner la fièvre charbonneuse aux moutons, aux vaches, aux chevaux sans les faire périr et pouvant les préserver ultérieurement de la maladie mortelle ?»

Extrait du livre de Marc Menant, « L’inquiétante histoire des vaccins », publié aux éditions Plon

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