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Le gaullisme de la Résistance se veut patriotique et apolitique.
Le gaullisme de la Résistance se veut patriotique et apolitique.
©DR

Bonnes feuilles

Né dans le refus de la défaite, le gaullisme a fortement marqué la vie politique française, des grandes réformes de la Libération à la fondation de la Vème République. Extrait de Les Gaullistes, hommes et réseaux (2/2).

François Audigier,Bernard Lachaise et Sébastien Laurent

François Audigier,Bernard Lachaise et Sébastien Laurent

François Audigier, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Lorraine, est spécialiste d’histoire politique française contemporaine, du gaullisme en particulier.

Bernard Lachaise est professeur d’histoire contemporaine à l’université Bordeaux-3, ses recherches portent sur l’histoire politique et le gaullisme.

Sébastien Laurent est professeur d’histoire contemporaine à l’université Bordeaux-IV. Ses travaux portent sur l’Etat, la sécurité et sur les marges du politique.

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Faute d’écrits théoriques issus de la plume de Charles de Gaulle et permettant de se faire une conception cohérente du système de pensée qui inspire sa politique, force est de tenter de tirer de celle-ci et des justifications qu’en donne le Général, les traits majeurs qui la constituent. Or l’entreprise est rendue difficile par le fait que le gaullisme se présente dans son devenir historique sous des traits assez différents : le gaullisme de la Résistance qui se veut patriotique et apolitique, celui de la période d’opposition à la IVe République marqué par l’héritage du nationalisme antiparlementaire, celui enfin de la Ve République où se déploie le projet politique gaulliste. La prise en compte des permanences qui traversent ces trois épisodes et la comparaison de celles-ci avec le système de représentation de la culture politique républicaine traditionnelle permettent de proposer une grille de lecture de la culture politique gaulliste.

Les fondements de la culture politique gaulliste : une démocratie enracinée dans l’idée d’un peuple rassemblé

La culture politique républicaine, dominante jusqu’en 1958, s’appuyait sur un double socle, philosophique et historique. Du point de vue philosophique, elle se réclamait du courant rationaliste allant des Lumières au positivisme et au scientisme. Sur le plan historique, elle trouvait son point d’ancrage dans la Révolution française, aube des temps nouveaux, et dans la geste républicaine du XIXe siècle aboutissant à la naissance de la IIIe République1. Rien de tel pour le gaullisme qui se veut unanimiste et appelle au rassemblement de tous les Français, indépendamment de leurs

convictions philosophiques, religieuses, voire politiques, renvoyant celles-ci à la sphère privée et se réclamant d’une laïcité tolérante dès lors que sont respectées les lois et les institutions de la République. Même refus d’opérer un choix normatif au regard des périodes historiques : la Révolution française perd son statut privilégié ou, du moins, le partage avec les autres épisodes où la France a connu la grandeur et l’influence, où elle a été la « grande nation » servant de modèle à l’Europe. Toutefois, un sort particulier est réservé à la période de la Seconde Guerre mondiale où l’épopée de la France libre et de la Résistance est érigée en exemple pour les générations futures, légitimant par son rôle historique, avant même que le suffrage universel ne la consacre, la source du pouvoir du général de Gaulle et les choix institutionnels que celui-ci impose.

Un système institutionnel de monarchie présidentielle fondant une démocratie directe Le retour au pouvoir du général de Gaulle en juin 1958 revêt la signifi cation, évidente depuis sa démission de janvier 1946, de la substitution au système parlementaire reconstitué par la IVe République, et qui rejetait toute personnalisation du pouvoir, d’un régime politique à peu près antithétique. Annoncé par le discours de Bayeux de juin 1946, il dispose que la clé de voûte des institutions serait un président de la République, issu de la désignation par un collège élargi, débordant de très loin la représentation parlementaire et doté d’importants pouvoirs. Mutation complétée par la révision constitutionnelle de 1962 qui institue l’élection du chef de l’État au suffrage universel et accentue le passage à la démocratie directe. Il est clair que, dans cette révolution copernicienne au niveau des institutions, entre pour une large part la volonté de prendre le contrepied d’un régime qui a montré en 1940 sa faiblesse et ses insuffisances, faute, pour paraphraser le général de Gaulle, qu’il y eût un État et que le président de la République en fût le Chef.

La nouvelle donne institutionnelle est en outre mise en œuvre par une pratique politique qui fait du président, au nom de la souveraineté nationale qu’il incarne, le véritable chef du gouvernement, gestionnaire des questions essentielles, et ne laissant au Premier ministre nommé

par lui que l’administration des contingences. D’autant qu’il possède, outre les attributions traditionnelles d’un chef d’État républicain, trois armes qui assurent sa prépondérance institutionnelle : le droit de dissolution, la possibilité de soumettre à référendum les questions institutionnelles, l’usage de l’article 16 qui lui donne les pleins pouvoirs en cas de menace sur les institutions. En d’autres termes, pendant la durée de son mandat et sauf désaveu du corps électoral (ce qui se produira en 1969), le président dispose du pouvoir exécutif dans sa totalité et fait figure de monarque républicain, réalisant ainsi le vieux projet de démocratie directe du nationalisme du XIXe siècle. Le projet d’État fort incarné par un président tout-puissant est naturellement complété par l’amenuisement du rôle du Parlement, cantonné dans ses fonctions législatives et budgétaires, mais qui conserve le pouvoir de renverser le gouvernement par le vote d’une motion de censure, ce qui se produira une seule fois dans l’histoire de la Ve République, à l’automne 1962, par la mise en minorité du gouvernement Pompidou, aussitôt sanctionnée par la dissolution de l’Assemblée nationale. À partir des élections qui suivront, en novembre 1962, l’existence d’un parti majoritaire, voué au soutien de la politique du chef du pouvoir exécutif, exclura dans les faits l’adoption d’une nouvelle motion de censure. Le gaullisme réalise ainsi, et bien au-delà de leurs espérances, le vieux projet du pouvoir fort mis en avant par les nationalistes et les partisans d’une réforme de l’État2.

La recherche de la grandeur

La création d’un État fort a pour objet, dans le projet gaulliste comme dans sa matrice nationaliste, la mise en œuvre des moyens nécessaires au développement de la puissance de la France et, partant, à la défense de son influence dans le monde. La vision de la scène internationale du général de Gaulle est celle d’États-nations affrontés dans une lutte impitoyable pour la défense de leurs intérêts nationaux et conduits, par conséquent, à tenter de limiter la marge d’action des entités nationales rivales pour mieux les concurrencer. Aucune place dans cette vision pour un quelconque idéalisme de l’entente internationale ou une propension à substituer le sentiment aux données irréfutables de la géopolitique. C’est dire que le projet gaulliste dénie toute crédibilité aux organisations internationales telles que l’ONU (ce "machin" comme il la définira un jour) et considère avec la plus grande méfiance l’Europe supranationale des pères fondateurs de la Communauté économique européenne1.

Du même coup, cette obsession de la grandeur détermine les axes majeurs et considérés comme prioritaires de la politique du gaullisme au pouvoir. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’effort acharné pour la reconquête de l’indépendance nationale mise à mal par la tutelle exercée par les États-Unis sur la politique française, qui explique aussi bien le retrait de la France de l’OTAN que la volonté de doter le pays d’une force de frappe nucléaire autonome. C’est ce même impératif qui explique l’effort entrepris pour se dégager de la sujétion technique et économique américaine, par exemple par la construction du Concorde, par le développement du procédé français de télévision en couleurs SECAM, de la fi lière française d’enrichissement de l’uranium, mais aussi pour contrôler les investissements étrangers en France et pour faire campagne en faveur du retour à l’étalon-or, afin de mettre un terme au rôle international du dollar. C’est encore le sentiment que la possession d’un empire colonial génère plus de frais et de difficultés qu’elle ne procure d’influence à la France qui pousse de Gaulle à accepter la décolonisation de l’empire pour tenter de trouver dans l’Europe des États, fondée sur l’axe Paris-Bonn qu’il s’efforce de mettre en place, un moyen de faire entendre la parole de la France dans le monde grâce à une Communauté que Paris dominerait politiquement, projet qui débouchera d’ailleurs sur un quasi-échec. C’est enfin la recherche d’un rôle à l’échelle mondiale pour la puissance moyenne qu’est désormais la France qui rend compte de l’effort entrepris pour obtenir l’éclatement des deux grands blocs qui dominent le monde de l’après-guerre, par l’invitation faite aux alliés des États-Unis sur le continent américain comme aux satellites de l’URSS en Europe de revendiquer leur indépendance face aux deux superpuissances, la France tentant de jouer ainsi le rôle d’un chef de fi le des États-nations indépendants.

Hormis cette donnée majeure de la culture politique gaulliste, héritée du nationalisme unanimiste et fondée sur la démocratie directe, qu’est l’État fort au service d’une politique de grandeur, constituant une vision cohérente, tous les autres aspects de la politique du gaullisme au pouvoir apparaissent contingents. Ainsi en va-t-il de la politique économique, plutôt dirigiste à l’époque de Michel Debré, nettement plus libérale avec Valéry Giscard d’Estaing, sans qu’un choix tranché soit opéré, l’objet étant de fournir au pays les moyens d’une action indépendante. Même observation pour la politique sociale. Rien de comparable à l’inspiration solidariste dans la culture politique républicaine au sein du gaullisme. Sans doute de Gaulle rêve-t-il d’une profonde transformation des rapports sociaux qui permettrait de trouver un substitut à la lutte des classes par des expériences inspirées par le catholicisme social, telles que l’association capital-travail, la participation des salariés au profit des entreprises ou la participation généralisée qu’il propose comme solution à la crise de 1968, mais elles ne donneront lieu qu’à des réalisations mineures devant les réserves ou la franche hostilité du personnel gouvernemental et n’entreront pas dans la culture politique gaulliste. Celle-ci paraît bien se résumer à la création de l’État fort fondé sur la démocratie directe et ayant pour but de donner à la France une influence aussi importante que possible dans le destin du monde.

Extrait de "Les gaullistes : Hommes et réseaux " (Nouveau Monde éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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