Autonomie des régions : Emmanuel Macron (imprudemment ?) dans les pas d’une schizophrénie française <!-- --> | Atlantico.fr
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Le 28 septembre dernier, Emmanuel Macron évoquait le statut de la Corse... dont il estime qu'il pourrait faire la place à un peu plus d'autonomie.
Le 28 septembre dernier, Emmanuel Macron évoquait le statut de la Corse... dont il estime qu'il pourrait faire la place à un peu plus d'autonomie.
©Pascal Pochard-Casabianca / POOL / AFP

Boite de pandore

Le 28 septembre dernier, Emmanuel Macron évoquait le statut de la Corse... dont il estime qu'il pourrait faire la place à un peu plus d'autonomie. Depuis, informe la presse, les présidents d'autres régions demandent à bénéficier, eux aussi, de plus de libertés.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Le 28 septembre dernier, Emmanuel Macron évoquait le statut de la Corse... dont il estime qu'il pourrait faire la place à un peu plus d'autonomie. Depuis, informe la presse, les présidents d'autres régions demandent à bénéficier, eux aussi, de plus de libertés. "La confiance à laquelle nous aspirons, elle requiert désormais que nous discutions de l’autonomie pour atteindre nos objectifs"n a ainsi déclaré Carole Delga. A quel jeu joue Emmanuel Macron, exactement ? Que gagne-t-il à accéder à de telles volontés ?

Jean Petaux : Il faut replacer la dernière déclaration publique du président de la République sur le statut de la Corse, collectivité territoriale qui bénéficie déjà d’un statut spécifique au sein de l’architecture institutionnelle française, dans l’histoire et dans la conjoncture.

Historiquement, la France est un des Etats parmi les plus centralisés d’Europe. Cela tient tout à la fois aux circonstances de sa formation, au moins depuis Philippe-Auguste et la victoire de Bouvines (1214), autrement dit depuis plus de 800 ans, qu’aux grands moments de son histoire : la monarchie absolue qui s’incarne dans un monarque comme Louis XIV, inspirateur, organisateur, d’un Etat surpuissant ; la Révolution française qui voit les aspirations « fédéralistes » (que l’on nommera au XIXème siècle, grâce à Lamartine, « girondines »,  alors qu’il est plus juste de les désigner comme « brissotines ») battues en brèche par « la Montagne jacobine » et surtout, dans le prolongement de la décennie révolutionnaire, l’œuvre de Napoléon Bonaparte, consul puis empereur, qui formalise totalement l’Etat moderne à la française dont, aujourd’hui, encore la France contemporaine est l’héritière incontestée.

Il faut attendre 1981 et l’arrivée de la Gauche au pouvoir pour que, immédiatement après les élections présidentielle et législative, dès le mois de juillet, s’engage, sous l’autorité redoutée de Gaston Defferre, bras armé de la volonté politique du nouveau Président Mitterrand, le grand chantier de la « décentralisation ». Rappelons qu’au printemps 1969 c’est, entre autres raisons, sur un projet de « régionalisation » que les Français ont signifié son renvoi au Général de Gaulle. Depuis 1981 de nombreux textes ont été élaborés, discutés, votés, en matière de décentralisation. Mais rien de comparable avec la réforme intervenue en 1981-1982. Si celle-ci a pu faire figure « d’aggiornamento » de l’organisation politico-administrative de la France, créant trois collectivités territoriales dotées d’une certaine indépendance et d’une légitimité politique (les régions, les départements et les communes) qu’une révision constitutionnelle « gravera dans le marbre » par une nouvelle version de l’article 72 et une rédaction modifiée du Titre XII, il faut bien reconnaitre aussi qu’en matière d’autonomie des territoires, la France reste très en deçà de ses voisins européens. Les recettes fiscales propres aux collectivités territoriales sont désormais quasiment nulles. Les compétences accordées sont régulièrement remises en cause au gré des réformes qui se veulent, à chaque fois, « coperniciennes », mais qui sont, presque toujours, au final, des « pets dans un dé à coudre ». Même pour des cas particuliers tels que, justement, la Corse, la situation est restée figée très longtemps. Dans d’autres pays européens, ne parlons même pas d’Etats fédéraux tels que l’Allemagne et la Belgique ou, quasiment comparables comme l’Espagne, la « dévolution » des pouvoirs aux collectivités territoriales est plus forte. L’exemple du Royaume-Uni le montre. Un autre cas mérite d’être mentionné, parce que l’organisation de cet Etat est proche de la France : le Portugal. Pour deux cas bien particuliers : Madère et les Açores, le degré d’autonomie est très élevé et l’unité territoriale du Portugal n’est pas remise en cause pour autant. Ces deux exemples sont d’autant plus pertinents qu’ils concernent des iles et correspondent assez précisément à la situation de la Corse.

Pour ce qui est de la conjoncture, on a bien vu, pour la Corse, que ce sont les événements qui ont suivi la mort en prison, dans des conditions inacceptables dans un Etat de droit, d’Yvan Colonna, membre du commando qui a assassiné le préfet Erignac, qui ont provoqué l’accélération d’un processus institutionnel en panne. Le Président Macron aime souvent les effets d’annonce et la situation de la Corse se prête bien à ceux-ci. Il entend sans doute ainsi répondre aux demandes formulées par le mouvement autonomiste emmené par Gilles Simenoni, président du conseil exécutif de Corse depuis 2015. Répondre aux aspirations autonomistes corses c’est, sans doute certainement dans l’esprit du Président, « contenir » l’influence des indépendantistes. Mais il ne faut en rien conclure de l’évolution de la position du chef de l’Etat sur la Corse, que celui-ci serait devenu un « décentralisateur » de conviction à même d’accorder plus d’autonomie aux régions métropolitaines françaises. Emmanuel Macron est et demeure un haut fonctionnaire jacobin, de surcroit jamais élu local, formé à l’école de la grande méfiance vis-à-vis des « grands élus » territoriaux… Les présidentes et présidents de Région peuvent bien « enfourcher » le cheval corse pour espérer voir leurs pouvoirs renforcés : il faut craindre que cela fasse « flop »…

C'est Elisabeth Borne qui a du répondre aux questions des autres présidents de région, expliquant notamment qu'elle ne venait pas " expliquer comment gérer vos politiques publiques" mais a tout de même souligner la nécessité de donner davantage de marge de manoeuvre aux régions. Faut-il s'attendre à ce que les présidents de régions soient déçus ?

Bien sûr que oui… Les élus territoriaux, et au premier rang d’entre eux les Corses, ont une relation quasi-schizophrène à l’égard de l’Etat. Ce en quoi l’Etat central le leur rend bien en étant totalement paranoïaque face à eux. Du côté des collectivités locales il y a une grande promptitude à solliciter des aides étatiques. La Corse est ainsi totalement sous-perfusion financière de l’Etat et de l’UE, pour une population totale de moins de 340.000 habitants (tout juste un peu plus que celle de la seule ville de Nantes….) ce qui n’empêche pas les élus corses de réclamer plus d’autonomie, voire d’indépendance. Sans aller jusqu’à ces positions extrêmes, qui trouvent leurs explications dans la dimension insulaire, dans les spécificités culturelles et sociales de la Corse, les autres régions françaises (pour ne parler que d’elles) réagissent aussi de la même manière : « l’Etat nous insupporte mais nous en avons besoin ». Comme, du côté de l’Etat justement, les hauts fonctionnaires qui tiennent ses rênes, sont aussi « désarmés » face aux collectivités locales qu’une poule qui aurait découvert un couteau, il y a fort à parier que toute velléité de voir s’accroitre la marge de manœuvre des élus locaux et des collectivités qu’ils dirigent ressemble à de la science fiction. Il y aurait, par exemple, une réforme de fond à faire en matière d’autonomie fiscale et financière des collectivités locales pour donner aux élus la responsabilité financière, sur laquelle ils seraient jugés politiquement lors des élections locales. On en est loin. Dommage.

A quoi pourrait ressembler une France accordant plus de place à ses régions, au juste ?

Entre 2014 et 2017, François Hollande a engagé une triple réforme territoriale : la loi MAPTAM (portant statut des métropoles) ; la loi NOTRe (réforme du seuil des intercommunalités, réforme des compétences, etc.) et une nouvelle cartographie des régions. L’ambition gouvernementale à l’époque était sans doute plus grande. On se souvient d’un discours du nouveau premier ministre à peine nommé, Manuel Valls, en avril 2014, qui annonçait la « disparition des départements » d’ici deux ans. On s’est habitué à entendre, ultérieurement, d’autres propos tout aussi ineptes du personnage… Il est manifeste que de telles annonces n’ont aucun intérêt et sont même totalement contre-intuitives. Les départements, qui figurent parmi les premiers acquis de la Révolution française, dès 1789-1790 sont toujours « là » et tant mieux… Les « réformes Hollande » sont loin d’être exemptes de critiques. J’étais de ceux, m’intéressant depuis longtemps à ces questions, qui ont dit alors qu’en matière de décentralisation « François Mitterrand et Gaston Defferre ont porté un grand dessein en 1981 quand François Hollande s’est plutôt intéressé au petit dessin de la carte des régions et des intercommunalités en 2014 ». C’était injuste et comparaison, de toute manière, n’est pas raison, surtout en matière d’histoire politique. Les « nouvelles régions » existent depuis 8 ans maintenant, il ne faut plus y toucher. Les nouvelles intercommunalités, renforcées, doivent être traitées à l’identique. Mais il faut désormais doter les régions et les EPCI (Etablissements publics de coopération intercommunale, appellation officielle des « Intercos ») de pouvoirs renforcés et surtout de moyens et d’outils financiers spécifiques capables de venir en soutien des politiques décidées par ces instances décentralisées. De véritables banques de développement régionales doivent être ainsi mises en place. Il faut prendre le risque de la dévolution des pouvoirs aux treize régions françaises métropolitaines, dans les domaines autres que ceux qui relèvent du « régalien » et des fonctions propres à un Etat providence moderne. Un seul exemple : il est évident aujourd’hui que ce monstre qu’est devenu l’Education nationale est littéralement ingouvernable et ingérable. Si la compétence immobilière ou celle sur les personnels TOS (internats, restauration, orientation, périscolaire, etc…) n’avait pas été confiée aux communes pour les écoles maternelles et élémentaires, aux départements pour les collèges et aux régions pour les lycées (et même, au titre de la politique de la recherche) pour les universités et les grandes écoles, tous ces bâtiments seraient aujourd’hui dans un piètre état si l’Etat les avait gardés dans son « portefeuille ». Il faudrait envisager une véritable régionalisation des programmes scolaires, avec une obligation de socle minimum national dans le contenu, mais une large latitude décentralisée pour le reste, avec un recrutement renforcé et régionalisé des enseignants.

Le citoyen lambda doit-il, de son côté, s'attendre à des différences majeures au quotidien si les régions récupèrent plus de marge de manoeuvre ? Faut-il penser que les conditions de vies pourraient évoluer drastiquement (et peut-être dans des sens opposés ?) du fait de politiques locales spécifiques ? 

Une des raisons qui expliquent que la décentralisation en France a beaucoup de mal à fonctionner réside dans la méconnaissance chronique du fonctionnement des institutions de ce pays par les citoyens eux-mêmes. Avec le temps on peut certes considérer que les différentes collectivités territoriales sont mieux perçues, ou plus exactement, mieux identifiées par les Françaises et les Français. Mais tous les sondages montrent quand même une ignorance crasse des rudiments de ce que l’on peut nommer « l’instruction civique ». Au point d’ailleurs que les citoyens rendent responsables tel ou tel élu de dysfonctionnements vécus au quotidien en se trompant de « cible ». C’est la raison pour laquelle d’ailleurs les maires sont devenus les réceptacles des ressentis négatifs de leurs concitoyens. Il serait urgent de faire en sorte que cet état d’inculture institutionnelle chronique cesse. En s’en donnant les moyens.

L’une des difficultés majeures en France, en matière de décentralisation, réside aussi dans le fait que la culture politique française repose considérablement sur la notion d’égalité des droits. Il ressort de l’évidence que ce principe fondateur pour être juste et humaniste, est de l’ordre de la théorie, ou si l’on préfère de l’ordre de « l’idéal type ». Autrement dit : une notion qui n’existe pas dans la réalité. De ce fait les Français, tout en demandant que le pouvoir qui les administre soit « près de chez eux » et que « tout ne remonte pas à Paris », sont les premiers à considérer qu’à Dunkerque ou à Perpignan, qu’à Brest ou à Biarritz et qu’à Strasbourg ou à Nice, tous les droits offerts soient les mêmes… Et pendant ce temps-là ceux qui habitent à 100 kilomètres d’un service d’un SMUR ou d’un SAMU, ou qui n’ont pas d’autres moyens de transport que leur véhicule personnel pour aller travailler matin et soir vivent, au plus près de leur vécu quotidien, une inégalité de fait qu’une vraie décentralisation, avec de vrais moyens, paradoxalement, viendrait corriger… Oui il faut encourager des politiques locales, départementales, régionales spécifiques. Oui il faut multiplier les incitations aux expérimentations territoriales, oui il faut oser prendre le risque d’une forme d’inégalité dans les pratiques et dans des politiques publiques décentralisées qui ne se traduirait pas par une inégalité dans les droits et par une amélioration globale des conditions de vie de  nos concitoyens.

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