"Aussi pires" pour la démocratie que les 1% les plus riches, les 0,0003% (de grévistes SNCF) qui imposent leur volonté au pouvoir politique ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
"Aussi pires" pour la démocratie que les 1% les plus riches, les 0,0003% (de grévistes SNCF) qui imposent leur volonté au pouvoir politique ?
©Reuters

Petits, mais si puissants

Les cheminots s'accrochent autant à leurs avantages qu'aux idéaux d'un autre temps. Le gouvernement, en faiblesse à tous les niveaux, ne souhaite pas plus rompre avec l'idée qu'il se fait de lui-même: être le garant d'un équilibre social.

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

Voir la bio »
Nicolas Perruchot

Nicolas Perruchot

Nicolas Perruchot est un ancien membre de l'UMP et ancien député et maire de Blois (2001-2008). Il a aussi la fonction de président du Conseil départemental de Loir-et-Cher. Nicolas Perruchot a dirigé une commission d'enquête parlementaire sur le financement des syndicats. Son rapport, pour la première fois dans l'histoire de la Ve république, n'a pas été publié.

Voir la bio »

Atlantico : Malgré les appels de François Hollande et Manuel Valls, la grève à la SNCF a été reconduite vendredi à 13h pour 24h, et "jusqu'à lundi dans certains endroits", selon Thierry Nier, porte-parole de la CGT-cheminots. Comment en est-on arrivé à ce qu'un petite nombre (0,0003 % de la population française en l’occurrence) impose sa volonté à tout un pays, et que le politique se retrouve démuni ?

Hubert Landier : Nous assistons à un comportement typiquement corporatiste. Il s’agit, pour la CGT Cheminots et pour Sud Rail, de défendre les " avantages acquis " ; or, ces avantages ont été acquis dans des conditions différentes, à l’époque de la locomotive à vapeur. Il y a, venant de ces deux organisations, une sorte de refus du changement ; elles s’accrochent à un monde qui a disparu et à des schémas de pensées qui ont peut-être eu leur pertinence, mais qui ne correspondent plus, ni aux circonstances économiques d’aujourd’hui, ni au attentes de la majorité des salariés.

A partir de là, elles fondent leur action sur le droit de grève, qui est inscrit dans la Constitution. Et le résultat, c’est que les clients se trouvent pris en otages. Face à une telle situation, que peut faire le Gouvernement ? D’abord, ne pas céder, comme ceci a souvent été le cas dans le passé, quelque soit la majorité au pouvoir, et soutenir la Direction de la SNCF dans sa fermeté. Or, si les deux syndicats qui ont appelé à la grève n’obtiennent rien après avoir fait perdre plusieurs journées de salaire aux grévistes, les cheminots risquent de le leur faire payer aux prochaines élections professionnelles en votant pour les candidats des syndicats non grévistes. Il ne faut pas oublier que leur majorité est fragile et qu’un basculement pourrait intervenir en faveur des syndicats plus ouverts au changement : CFDT et UNSA.

Nicolas Perruchot : Cette énième grève à la SNCF démontre toutes les limites du dialogue social souhaité et défendu par François Hollande.

Cette grève a été décidée par 150 à 200 responsables régionaux de la Cgt le 27 mai dernier. Lors de cette réunion c’est la ligne dure qui a emporté la décision, soit une petite centaine de personnes tout au plus. Les cheminots ont alors décidé de faire un grand bond en arrière et de revenir à une situation ou l’on n'accepte pas de réforme sans créer en amont un rapport de force.

De la même manière et concomitamment, la Cgt spectacle a entrepris une démarche de blocage des festivals d’été, afin de montrer son refus de l’accord sur les intermittents, accord pourtant signé par le patronat et certains syndicats de salariés.

On assiste donc à une radicalisation de certains responsables syndicaux qui veulent profiter de la faiblesse de l’exécutif pour s’imposer. C’est aussi pour la Cgt, doublement concernée dans ces conflits, l’occasion de tenter de regagner en image auprès des salariés, car à la SNCF comme ailleurs, son pouvoir s’érode un peu plus chaque année. (la Cgt est passée à la SNCF qui représente son dernier gros bastion, de 44% des voix aux élections professionnelles de 2004 à 35% en 2014).

Ces deux exemples démontrent toutes les limites du dialogue social, qui est à bout de souffle en France, et qu’il faut réformer d’urgence. Imaginer que ces centaines de milliers de personnes soient bloquées dans leur déplacement par la volonté d’une centaine d’individus nous interroge sur le rôle, et surtout le pouvoir excessif de la démocratie sociale dans notre pays.

Quelle est la responsabilité du politique dans la capacité de blocage des syndicats française ? Par où a-t-il péché ?

Hubert Landier : Le gouvernement actuel est un gouvernement très faible ; il doit à la fois faire face à une situation économique gravissime et donner satisfaction à une majorité auprès de laquelle il prétend représenter le progrès social, et ceci en se fondant sur un stock d’idées qui appartiennent largement au passé. Le problème, c’est que le progrès social ne consiste pas à donner satisfaction à des revendications injustifiées, venant de catégories professionnelles qui ne sont pas les plus à plaindre, mais à créer les conditions du progrès, en créant une dynamique en ce sens. Le progrès social ne consiste pas à donner satisfaction aux revendications corporatistes venues des rares secteurs d’activité où les syndicats sont en mesure de paralyser plus ou moins la vie du pays, comme c’est le cas dans les transports, qu’il s’agisse des transports ferroviaires ou des transports aériens ou des taxis.

En deux mots, il ne faut pas donner aux syndicats plus d’importance qu’ils n’en ont. L’intérêt général ne se confond pas avec l’intérêt de telle ou telle catégorie professionnelle ; or l’Etat est le gardien de l’intérêt général et il doit le défendre quand il se trouve compromis par tels ou tels intérêts particuliers.

Nicolas Perruchot : Les responsables politiques portent une lourde responsabilité dans cette affaire. De droite comme de gauche. Et ce depuis longtemps déjà.

Tout d’abord parce qu’ils ont souhaité et théorisé, il y a longtemps déjà, l’achat de la paix sociale dans notre pays en considérant que c’était une stratégie de long terme gagnante pour l’Etat. Or quand l’Etat gagne, ce sont souvent les contribuables qui perdent. On a même industrialisé le système de financement des partenaires sociaux, qui est devenu illisible et incompréhensible pour les citoyens.

Ensuite parce qu’il n’y a aucun moyen parlementaire de contrôler les acteurs du dialogue social. Les délégués syndicaux et les représentants de l’Etat travaillent en vase clos. On ne sait jamais ce qu’il y a derrière la signature d’accords. Est-ce que les salariés sont gagnants avec ce système fermé ? Si l’on regarde la courbe du chômage, l’efficacité n’est pas au rendez-vous. Si l’on regarde les réformes, pourtant nécessaires, on sent bien que notre pays est incapable de prendre des mesures qui tendraient vers plus de rigueur et d’efficacité.

Les responsables politiques et syndicaux ont des années de retard sur l’évolution de la société. Et une lourde responsabilité dans la situation actuelle. La multiplicité des acteurs sociaux et des alternances politiques ne facilitent pas non plus ces évolutions.

Quelle attitude le gouvernement devrait-il adopter en conséquence ?

Hubert Landier : Une attitude de fermeté. Le Général de Gaulle disait que la politique de la France ne se joue pas à la bourse ; elle ne doit pas non plus se jouer dans les appareils syndicaux ou patronaux. L’Etat doit se tenir au-dessus des intérêts en présence. Le souci mis en avant d’être à l’écoute, de valoriser le dialogue et la concertation se transforme en faiblesse lorsque le Gouvernement en vient à différer certaines décisions par crainte des réactions de la rue. Or, il a tendance à exagérer l’influence des organisations syndicales : il en voit la façade institutionnelle mais il ne voit pas que cette façade dissimule beaucoup de vide ; le syndicalisme français me fait parfois penser à une boutique de brocanteur ; on y trouve un bazar invraisemblable d’idées qui appartiennent au passé, de pratiques routinières, de préjugés qui empêchent de voir que le monde a changé et de logiques d’appareil selon lesquelles il s’agit de défendre l’organisation et ceux qui en vivent en oubliant largement ceux au nom desquels elle s’exprime. De ce point de vue le syndicalisme français est mort. Il est à réinventer de fond en comble.

Nicolas Perruchot : Le gouvernement devrait faire preuve de courage et de fermeté.

De courage pour permettre un fonctionnement transparent des organisations syndicales et patronales. Il a quand même fallu 125 ans ( !) depuis la loi Waldeck Rousseau de 1884 jusqu’à la loi Bertrand votée en 2008, pour obtenir la publication des comptes des partenaires sociaux. C’est dire la force du lobby syndical. Et la faiblesse de convictions des responsables politiques durant toutes ces années..Il faudrait maintenant faire la transparence sur les moyens humains mis à disposition des syndicats de salariés. Ce sujet est un tabou qui doit tomber.

De la fermeté aussi pour parvenir à moderniser le dialogue social, et passer à la performance social. Il faut imposer des règles nouvelles et accepter le contrôle parlementaire.

La grève est menée en réaction au projet de réforme ferroviaire, cependant les revendications de la CGT et de Sud Rail restent assez obscures pour la plupart des Français. Plus généralement, les syndicats se soucient-ils seulement de susciter l'adhésion de la population lorsqu'il mènent ce type d'action ? Pourquoi ?

Hubert Landier : La CGT cheminots et Sud Rail restent attachés à ce qu’était la SNCF d’après-guerre. Toute réforme qui ne va pas dans le sens de ce modèle révolu leur apparaît comme " anti-social " alors que le vrai problème est d’imaginer, et de négocier, des changements qui soient à la fois économiquement viables et socialement équitables. Mais cela suppose de changer de lunettes, ce que d’autres syndicats essayent plus ou moins bien de faire. Quand à une prise en compte de l’intérêt des clients, on n’en est pas là ; d’ailleurs, on ne parle pas des " clients ", mais des " usagers ". Nuance.

Nicolas Perruchot : En voyant la durée de ce conflit on voit bien que les syndicats se fichent éperdument des conséquences pour la population. Dans le cas qui nous préoccupe, c’est surtout la crainte pour la Cgt de perdre du pouvoir à l’intérieur de la SNCF qui est en jeu. La réforme ferroviaire doit permettre le regroupement de RFF et de la SNCF. La Cgt a fait ses calculs. Ce regroupement lui ferait sans doute perdre son leadership syndical dans le ferroviaire.

Sud Rail est dans une logique différente. Elle parie sur l’effritement de la Cgt chez les ouvriers pour devenir le syndicat de la base ouvrière. Elle a observé que la Cgt cheminots comptait prés de 50% de cadres dans ses rangs et que son discours évoluait. Sud Rail veut durcir les conflits pour faire grossir ses rangs.

Cet épisode soulève la question de la représentativité des syndicats, et donc de leur droit à mener des mouvements de grève affectant l'ensemble de la population. Peut-on dire qu'ils ont épuisé tout leur crédit de légitimité ?

Nicolas Perruchot : Oui et depuis longtemps. Le blocage n’a jamais été une solution permettant des avancées significatives. La séquestration des dirigeants est un autre exemple démontrant des évolutions radicales chez certains syndicats. Ces comportements démontrent qu’il existe une coupure assez forte entre les syndicalistes à la base et les dirigeants syndicaux. Un certain nombre de responsables se sont embourgeoisés au contact des hautes sphères du pouvoir. L’image des syndicats n’est pas bonne ; et leur légitimité a diminué avec l’évolution du syndicalisme militant, qui est une singularité française. Quand un responsable syndical adepte de la lutte se retrouve tête de liste pour le Parti Socialiste aux élections européennes il décrédibilise l’action syndicale.

Hubert Landier : Le syndicalisme continuera à perdre de sa légitimité s’il ne se montre pas capable de remettre en cause ses objectifs, ses principes d’action et ses pratiques. Il se limitera à quelques buttes témoin dans un nombre limité de professions et ne s’adressera plus qu’aux vieux, les jeunes préférant se tourner vers d’autres formes d’action. Face à un vrai sujet qui fâche, la mobilisation se fait aujourd’hui sur les réseaux sociaux, non pas à l’appel des lourdes machines syndicales ou patronales. Regardez le " mouvement des pigeons " puis les " bonnets rouges ". Tous les appareils, patronaux comme syndicaux, se sont trouvés débordés et pris de court. De ce point de vue la grève à la SNCF apparaît comme une grève du passé. On se croirait revenu aux années soixante.

Une réforme de l'action syndicale est-elle seulement possible ? Quelles sont les capacités de nuisance des syndicats, et où les blocages se situent-ils au niveau politique ?

Hubert Landier : Elle se fera parce que l’existence d’un contre-pouvoir est une nécessité face au pouvoir des investisseurs, au moins dans les grandes entreprises, ceci en vue de faire respecter une certaine équité et de s’opposer à tout risque d’abus. Mais cette réinvention du syndicalisme se fera en dehors de toute action des appareils syndicaux et des pouvoirs publics ; c’est une illusion que d’attendre quelque chose de leur intervention et ils ne peuvent que retarder le mouvement. Laissons la société civile s’organiser par elle-même et les interlocuteurs sociaux imaginer par eux-mêmes, sur le terrain, les voies d’un dialogue social qui soit à la fois équitable et efficace. Il sera toujours temps de généraliser ensuite ce qui a le mieux marché.

Nicolas Perruchot : Il faudrait plusieurs réformes pour parvenir à un dialogue social renouvelé. Il faut changer de logique et éviter de mettre face à face démocratie sociale et démocratie politique.

Les réformes (transparence totale des comptes, non cumul des mandats syndicaux, définition d’un statut de l’élu syndical soumis à la transparence patrimonial, sécurisation du droit de grève, réforme du financement, évolution des seuils sociaux, réforme de la représentativité patronale, assouplir la négociation d’entreprise, redéfinition du rôle des IRP,..) ne seront possibles que si la volonté politique est là. Pour l’instant je n’entends rien qui aille dans ce sens, ni à droite, ni à gauche, alors que le paritarisme est la clé de voute de l’évolution du droit social.

Pourtant ces évolutions sont nécessaires si on veut avoir demain des partenaires sociaux plus représentatifs, et surtout plus indépendants du pouvoir politique.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !