Au-delà des budgets de Noël en baisse : dans quelles dépenses les Français ont-ils taillé face à la réduction de leur pouvoir d'achat ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Insee reste sur une prévision de croissance de 0,5 % du pouvoir d'achat alors qu'on a constaté une baisse de 0,9 % en 2012.
L'Insee reste sur une prévision de croissance de 0,5 % du pouvoir d'achat alors qu'on a constaté une baisse de 0,9 % en 2012.
©Reuters

Poches vides

Selon l'étude annuelle du cabinet Deloitte, le budget de Noël des Français devrait baisser pour la première fois depuis 2010. Parallèlement et pour la première fois depuis 2011, les retraits effectués en septembre sur le livret A ont été supérieurs aux dépôts.

Atlantico : Selon l'étude annuelle de Deloitte, pour la première fois depuis 2010 le budget de Noël des Français devrait baisser. Et en septembre, pour la première fois depuis novembre 2011, les retraits ont été supérieurs aux dépôts sur le livret A. Qu'est-ce que ces chiffres disent de l'évolution du pouvoir d'achat des Français en 2013? Celui-ci a-t-il clairement baissé ? 

Philippe Moati : Pour l'instant, l'Insee reste sur une prévision de croissance de 0,5 % du pouvoir d'achat alors qu'on a constaté une baisse de 0,9 % en 2012. Pour l'Insee, il y aurait donc un retour dans le positif. Toutefois, l'Insee résonne sur le pouvoir d'achat de l'ensemble des ménages. Or la population française croît d'environ 0,5 % par an. Et le nombre de ménages croît encore plus vite, ce qui signifie en réalité que le pouvoir d'achat par tête continue de baisser. Si on veut tenir compte du comportement individuel du consommateur, il faut regarder comment son porte-monnaie évolue, et non l'enveloppe globale de la consommation comme le fait l'Insee. En dépit d'une hypothèse macro-économique de croissance du pouvoir d'achat, on assiste en réalité à la poursuite de la diminution du pouvoir d'achat par tête. Les moyens de consommer des Français continuent de se contracter.

Stéphane Rimbeuf : Dans notre étude, 4 Français sur 10 indiquent avoir ressenti une baisse de leur pouvoir d’achat, principalement sous l’effet d’une augmentation des dépenses contraintes (logement, impôt, santé, dépenses quotidiennes). Mais ils sont un peu plus (44 %) à craindre que leur pouvoir d’achat ne baisse. Cette inquiétude, qui démarque nettement les Français du reste des Européens, alimente un comportement d’achat très "raisonné"pour ces fêtes de fin d’année et la recherche d’économies.

 Thomas Laurenceau :C'était hélas tout à fait prévisible. Lors d'un sondage que nous avions réalisé avec la société Mediaprism au début de l'année, 61% des Français affirmaient qu'ils allaient mettre moins d'argent de côté en 2013, et 24 % qu'ils allaient devoir puiser dans leur épargne. Par ailleurs, à la question "sur quelles dépenses allez-vous rogner", les dépenses de loisirs arrivaient en première position : deux Français sur trois prévoyaient des sacrifices sur ce poste. C'est assez logique : face à la baisse du pouvoir d'achat et à la montée des dépenses dites contraintes (logement, énergie, etc.), on commence par sacrifier ce qui est "futile", avant de s'attaquer à l’utile" ou à l’indispensable".

D'après l'étude Deloitte concernant Noël, en France c'est le budget cadeaux qui devrait surtout faire les frais de la crise (- 2,7 %), et en particulier celui consacré aux adultes (- 5 %). Les dépenses consacrées aux loisirs, aux vacances et aux vêtements devraient également être revues à la baisse. En revanche, les enfants restent épargnés par les restrictions budgétaires. Au-delà du budget de Noël, en quoi les habitudes de consommation des Français ont-elles changé  en 2013 ?

Philippe Moati : Les dépenses contraintes, comme le logement ou les dépenses d'énergie (électricité, gaz, essence), qui ont été fortement inflationnistes cette année, ne peuvent être attaquées à court terme et prennent une part croissante du budget. Dans les ménages avec enfants, les dépenses relatives à ces derniers sont généralement prioritaires. Paradoxalement, les vacances, qui sont considérées comme un moment privilégié pour la famille, constituent également une priorité. Il y a encore une forte appétence pour les hautes technologies. Mais il est clair que les Français sont en train de modifier leurs modes de consommation. Il y a des automatismes de consommation qui sont rompus. Avant de dépenser, la plupart des Français sont désormais obligés de réfléchir et d'arbitrer entre différents postes budgétaires. 

Stéphane Rimbeuf : Les Français ont adopté ces dernières années des comportements d’achats "malins", guidés par une très forte sensibilité au prix. Et ils privilégient par exemple l’achat d’articles en promotions : près de 4 sur 10 le font davantage cette année. Ces stratégies sont désormais bien installées et seront poursuivies. Mais pour trouver de nouvelles marges de manœuvre, ils comptent utiliser de manière plus importante Internet pour trouver des offres promotionnelles attractives : ce sera notamment le cas pour les dépenses de Noël cette année. 36 % d’entre eux prévoient ainsi d’augmenter leurs recherches en ligne.

 Thomas Laurenceau : Là encore, les données de cette étude confirment ce qui était annoncé au début de l'année. Au quotidien, chacun essaie de préserver les enfants, de faire en sorte qu'ils soient les derniers à subir l'impact de la baisse du pouvoir d'achat. Le phénomène est général, mais encore plus marqué au moment des fêtes, on peut le comprendre. 

Ce qui, à mon sens, est en train de changer, c'est qu'une grande partie de la population a désormais pris conscience qu'il ne suffisait pas de gratter ici ou là, de réduire une dépense ou de retarder un investissement, mais qu'il va falloir consommer autrement. Un des chiffres les plus frappants de notre dernière étude sur le pouvoir d'achat est le fait que 58 % des Français envisagent de "consommer moins". Acheter moins cher, chercher les bons plans ne suffit pas : on réduit la voilure. Le paradoxe, c'est que c'est plus facile pour les riches que pour les pauvres : les riches peuvent isoler leur logement, acheter une voiture qui consomme moins, etc.

Dans quels postes de dépenses ont-ils taillé plus particulièrement ?

Philippe Moati : Les loisirs et les sorties (restaurant, cinéma) sont généralement jugés moins prioritaires, de même que les achats de vêtements et de cosmétiques. Le gros équipement du foyer, qui constitue une dépense lourde en termes de renouvellement, est également laissé en attente par les familles. Idem pour l'automobile lorsque les familles sont déjà équipées. 

Stéphane Rimbeuf : Les Français poursuivent leurs arbitrages de dépenses au détriment notamment des dépenses ponctuelles (travaux, réparation de voiture…), des loisirs, des vacances, de l’habillement. Et ils seraient prêts à le faire un peu plus encore si leurs revenus venaient à baisser. Mais une large majorité n’est pas prête à faire des arbitrages sur des postes tels que le logement, la santé, l’alimentation et l’éducation. Nous n’avons pas de statistiques selon les catégories de revenus.

 Thomas Laurenceau : Dans tout ce qui met un peu de pétillant dans la vie : les sorties, le restaurant, les vacances, le coiffeur, l'habillement. Autant de postes "antidépresseurs", dans la société de consommation qui est la nôtre, mais qui sont des moyens de supporter le reste. Du coup, on peut se poser la question : est-ce que les Français sont sur le point de sombrer collectivement dans la dépression, ou est-ce qu'ils sont en train de prendre conscience que consommer à tout crin ne fait pas forcément le bonheur ?

Au-delà des loisirs et de l'habillement, les ménages les plus modestes ont-ils dû tailler dans des secteurs essentiels comme l’alimentation ou la santé ?

Philippe Moati :  Il y a effectivement des indicateurs qui montrent que la proportion de personnes qui déclarent ne pas arriver à satisfaire leurs besoins en soins dentaires ou d'optique augmente. Incontestablement, des gens ne se soignent pas convenablement pour des raisons budgétaires. Pour certaines familles, l'alimentation reste une priorité avec laquelle on ne transige pas. Ce n'est pas forcément lié au niveau de revenu, mais plutôt une question de sensibilité personnelle aux enjeux sanitaires. La présence d'enfants à la maison peut également jouer un rôle. Mais il vrai que pour certains foyers la nourriture peut être un poste d'économies, d'autant plus que le poids de l'alimentaire est croissant dans l'échelle des revenus. Certains mangent moins souvent de la viande ou plus souvent de la viande blanche que de la viande rouge. D'autres font des plats complets. Enfin, certains font davantage eux-mêmes en achetant les aliments bruts. C'est un autre moyen de s'adapter par rapport à la contrainte budgétaire. On peut arbitrer entre les postes budgétaires, mais aussi dans chaque postes consommer différemment. Par exemple pour la voiture, certains vont louer ou partager plutôt qu'acheter. C'est une manière de ne pas céder sur l'essentiel en changeant le mode d'accès aux jouissances. La crise change les habitudes.  

Thomas Laurenceau : C'est sans doute l'un des éléments les plus préoccupants aujourd'hui : l'augmentation de l'écart entre ceux qui ont encore des marges de manœuvre et ceux qui n'en ont plus. Toujours selon notre étude avec Mediaprism, 65 % de ceux qui gagnent moins de 1500 euros mensuels disent avoir réduit leurs dépenses courantes, notamment d'alimentation, contre 35 % de ceux qui gagnent plus de 3000 euros. Et les plus modestes sont, de plus, amenés à acheter des aliments d'une moindre qualité nutritionnelle. L'élément nouveau, c'est qu'il semble qu'on ait atteint la limite en matière de baisse des dépenses alimentaires. Paradoxalement, la crise des lasagnes au cheval y a contribué : les Français ont pris conscience que l'on ne pouvait pas baisser indéfiniment les dépenses consacrées à l'alimentation, et que si l'on veut un minimum de qualité, il faut le payer.

Concernant la santé, on retrouve cette fracture entre les plus modestes et les plus aisés. Les dépenses de santé sont celles que les Français veulent sanctuariser en priorité, celles qu'il faut préserver à tout prix. Et pourtant, dans les ménages modestes (gagnant moins de 1500 euros mensuels), une personne sur deux se résoud à envisager de rogner sur ses dépenses de santé. Et l'augmentation régulière des dépenses non remboursées par l'Assurance maladie – dépassements d'honoraires, frais optiques et dentaires – ne fait qu'aggraver les inégalités.

Qu'en est-il dans le reste de l'Europe? La situation est-elle comparable ?

Stéphane Rimbeuf : Ces tendances sont comparables avec la moyenne  européenne.

 Thomas Laurenceau : Chaque  pays peut réagir avec ses particularités, mais sur le fond je pense que la situation est la même partout. Partout en Europe, on voit une frange de la population qui conserve une certaine capacité d'arbitrage, et une autre frange qui ne peut plus que subir la crise. Et partout en Europe, on doit se poser la question d'un nouveau modèle de consommation, et tirer un trait sur ce que l'économiste Olivier Géradon de Véra avait appelé "l'existentialisme du Caddie".

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