Attractivité de la France pour les investissements étrangers : des bonnes performances en trompe-l'œil ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse à l'occasion du sommet "Choose France".
Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse à l'occasion du sommet "Choose France".
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Economie française

Les décisions d'investissement des entreprises étrangères dans l'Hexagone ont progressé de 7 % l'an dernier, selon les chiffres dévoilés par Business France et malgré le contexte de la crise énergétique.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Malgré la situation complexe de l’économie française et mondiale, les décisions d’investissement des entreprises étrangères dans l’Hexagone ont progressé de 7% l’an dernier, selon les chiffres publiés ce lundi par Business France. L’agence publique a recensé un total de 1 725 projets. Qu’est-ce qui peut expliquer ces très bons chiffres ?

Michel Ruimy : Au-delà de ce constat, il convient de voir leur traduction concrète. Les groupes étrangers ont développé des activités de production dans le secteur de l’énergie et du recyclage, de l’agroalimentaire, de la santé… et ont davantage implanté de centres de décision que par le passé. Près de 40% de ces projets et emplois (Un peu moins de 60 000 emplois ont été créés ou maintenus, dont 20% de CDI intérimaires) concernent les communes de moins de 20 000 habitants. Tout ceci participe ainsi à la revitalisation des territoires.

Outre le fait que la France occupe une position centrale dans le marché unique européen, les investisseurs ont privilégié les tissus industriels préexistants comme les clusters d’activité de certaines régions (aéronautique en Occitanie, chimie en Rhône-Alpes…). Mais, d’autres facteurs (infrastructures et institutions, libéralisation des politiques commerciales, coût du travail, la fiscalité, en particulier le crédit d’impôt recherche, les aides aux investissements…) sont pris en compte.

Alors que s’ouvre la 33ème olympiade de l’ère moderne, qui nous mènera jusqu’à Paris 2024, la devise olympique pourrait, dans une certaine mesure, s’appliquer pleinement à l’attractivité de la France : « Citius, Altius, Fortius – Communiter », « Plus vite, plus haut, plus fort – ensemble ! ».

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Faut-il les relativiser ?

Dans une perspective de long terme (10-15 ans), la France a toujours été parmi les pays les plus attractifs en Europe, avec le Royaume-Uni et l’Allemagne. Mais, notre voisin anglo-saxon a perdu en attractivité ces dernières années en raison notamment du vote sur la sortie de l’Union Européenne (Brexit). L’Hexagone, qui était souvent deuxième dans les classements, se retrouve ainsi au premier rang. Depuis le creux enregistré en 2015, où le nombre des décisions d’investissements étrangers était tombé en deçà de 1 000, la progression a été continue au fil des ans, hormis en 2020 (année du Covid). Le volume des projets annuels a quasiment doublé sur la période.

Toutefois, du fait des récentes crises (sanitaire, géopolitique), un ralentissement des investissements étrangers en Europe et, par ricochet en France, pourrait être craint à court terme. A plus long terme, la pandémie et la fragmentation géopolitique du monde pourraient inciter les entreprises à raisonner davantage par grandes plaques géographiques (Europe, Etats-Unis, Asie…) que de manière globale. Certaines d’entre elles pourraient chercher à rapprocher leur production des lieux de consommation voire à être moins exposées aux fluctuations politiques et aux coûts de transport. Aujourd’hui, les vents sont porteurs pour une relocalisation d’usines en Europe avec, pour chaque pays, une opportunité de développer l’activité qui avait tendance à partir loin.

Toutefois, n’oublions pas que les résultats observés minimisent, en partie, les succès de l’« attractivité intérieure ». En effet, les firmes nationales sont, de loin, celles qui créent le plus d’emplois en France… mais ces créations font moins de bruit.

Quelle part des investissements étrangers réalisés dans l’Hexagone se traduisent par des passages d’entreprises sous pavillon étranger ? Dans quelle mesure cette bonne santé sur le plan de l’investissement étranger se fait-elle au détriment de la souveraineté française ?

Il convient de nuancer l’attractivité de la France. Cette nouvelle, saluée au sommet de l’État, repose sur des fondations fragiles. Les différents rapports (EY, Business France…) se fondent sur le nombre de « projets annoncés » par les investisseurs, et non sur les montants réellement investis, chiffres malheureusement absents dans ces études. Et pour cause. La référence en matière de montants effectivement investis par des acteurs étrangers, la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement), montre, depuis des années, qu’aucune corrélation ne peut être établie entre le nombre de projets d’investissements et le montant des sommes réellement investies. Autrement dit, rien n’indique, dans les faits, que la France soit réellement la première destination des IDE en Europe. La France, à la première place en termes de volume, pourrait rétrograder, en termes de montants investis.

Par ailleurs, ces résultats sont, peu ou prou, contradictoires avec la notion de souveraineté. Peut-on sincèrement se féliciter d’être les champions européens des investissements étrangers alors qu’en même temps l’investissement des entreprises françaises est en chute libre. Certes, le Covid-19 est passé par là, mais en la matière, la France est un des plus mauvais résultats d’Europe. Difficile de se réjouir donc.

Par ailleurs, au-delà du fait que la croissance des investissements étrangers masque cette réalité, les leviers d’action à la portée de nos dirigeants se réduisent comme peau de chagrin en raison de la part croissante du capital des entreprises nationales passant sous le contrôle d’investisseurs étrangers. Par exemple, près de 40% du CAC 40 est détenu par des étrangers.

Dès lors, une question se pose. Au-delà des batailles de chiffres, doit-on réellement célébrer la forte attractivité de la France alors qu’elle traduit la perte tendancielle de souveraineté des Français ? Les emplois nouvellement créés offrent un certain réconfort, certes. Mais combien d’emplois supprimés par les délocalisations et les fermetures d’entreprises, ces nouveaux emplois viendront-ils vraiment compenser ? Finalement, à l’instar de grands précédents historiques, la France est-elle condamnée à devenir un gâteau que l’on se partage ?

Pourquoi la France réussit-elle à attirer les projets d’investissement mais pas à les concrétiser ? Qu’est-ce qui pèche ?

Depuis 2017, Emmanuel Macron a fait de la restauration de la compétitivité de l’économie, le fil rouge de sa politique. A l’étranger, la résistance de la France aux crises de ces derniers mois est « appréciée et comprise ».

Mais, en matière d’investissements directs étrangers (IDE), la France est confrontée à plusieurs injonctions : attractivité des territoires et besoin accru en financements et investissements privés pour faciliter la relance, nécessité de favoriser des IDE durables et responsables en conformité avec ses différentes priorités (transition écologique, cohésions sociale et territoriale…), renforcement de sa souveraineté et de protection de secteurs considérés comme stratégiques.

Sur ce dernier point, le contrôle des investissements étrangers en France (EIF) représente un axe important de la souveraineté économique du pays en soumettant à autorisation préalable ceux dirigés vers des cibles concourant à la sécurité publique, à l’ordre public et aux intérêts de la défense nationale…. Si son champ d’application a été particulièrement élargi depuis 2018 à la faveur de la crise économique, certaines de ces évolutions sont demeurées pérennes tandis que d’autres sont, pour l’instant, temporaires. Ceci rend incertain les investissements. Si la France peut toujours tabler sur ses forces traditionnelles d’attractivité tout en visant la réussite de ses ces impératifs, les investisseurs, eux, demandent à être rassurés en stabilisant le paysage fiscal et réglementaire.

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