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Attentats de Téhéran : cette occasion ratée par Emmanuel Macron de se singulariser du soutien apporté par Donald Trump à l’Arabie Saoudite
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Iran

Les attentats coordonnés de Téhéran ont laissé endeuillé 17 familles et a fait plus de 70 blessés. Aucune réaction officielle de Paris et une occasion manquée pour Emmanuel Macron de se distinguer de Donald Trump.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Plusieurs chefs d’Etat et de Gouvernement appellent, de leurs vœux, depuis plusieurs mois, par le biais d’élans oratoires, d’arrières pensées parfois inavouables et in fine des finalités politiques et spécificités locales radicalement opposées entre eux, à s’opposer plus ouvertement - tant sur le plan idéologique que militairement - au fondamentalisme islamiste.

Il était temps, au regard des nombreuses victimes, pour la plupart musulmanes…

Emmanuel Macron en a aussi fait son « mantra », à l’aune de son argument électoral de « Task force » contre Daesh », transformée administrativement en « Centre national du contre-terrorisme ». Le nouveau président n’a eu de cesse d’en rappeler la nécessité, à l’occasion des récents Sommets de l’Otan et du G7. Il devrait le rappeler, à l’occasion de la tenue du prochain Sommet du G20 d’Hanovre, mi-juillet.

Ce dernier en rappelle, du reste, l’urgente nécessité à chacun de ses interlocuteurs : à Berlin auprès d’Angela Merkel, à l’occasion de sa première visite comme Président de la République ; à Theresa May, à l’occasion des condoléances appuyées adressées au Premier ministre britannique après les attentats de Manchester et de Londres ; lors de son tête-à-tête « à poigne » avec le 45ème Président américain à Bruxelles ; et, encore récemment, avec Vladimir Poutine, sous les ors du Château de Versailles.

Pourtant, alors que Téhéran vient de subir une attaque terroriste sanglante laissant 17 familles endeuillées et blessant près de 70 personnes, la Présidence de la République a sans doute perdu l’occasion d’en convaincre la planète. Il eut été tellement probant de le réafirmer à cette occasion, marquant nettement une différente approche des Etats-Unis. Cela aurait été, en effet, une formidable occasion de faire sienne la politique d’équilibre « mitterrando-gaullienne » que le Président de la République n’hésite pourtant pas à prétendre incarner.

Il eut été aisé, en effet, et clairement audible par les opinions mondiales, d’affirmer une approche radicalement plus emphatique, que celle des Etats-Unis et ce, alors même que de plus en plus de pays semblent s’aligner sur le fait accompli saoudien, rendu possible, il est vrai par le discours manichéen « trumpien » de Riyad du 20 mai dernier, qui a ouvert une véritable « boîte de pandore » que son prédécesseur à la maison Blanche, Barack Obama, malgré les critiques légitimes sur sa politique moyen-orientale, avait eu, au moins, l’insigne mérite de savoir maitriser.

Malgré l’argument brandi conjointement par les services de l’Elysée et du ministère des Affaires étrangères, évoquant, dans le même élan, l’importance de la conversion téléphonique qu’Emmanuel Macron a eu avec le président iranien nouvellement réélu, Hassan Rohani, pour « relativiser » l’absence de communiqué et de réaction officielle de la France, on ne peut s’empêcher d’avoir à l’esprit cette formule prémonitoire de Talleyrand, grand diplomate s’il en fut : « si cela va sans dire, cela ira encore mieux en le disant » !

Emmanuel Macron, qui fut - à juste titre - prompt à endosser le leadership moral et oral des défenseurs du Traité de Paris sur le climat, quelques minutes après que Donald Trump ait décidé de s’en amender aurait ainsi, pu prendre, dans la même fougue et cohérence, celui de « porte-parole » du P5+1 (Russie, Etats-Unis, Grande-Bretagne, Chine, France auquel il convient d’ajouter l’Allemagne et l’UE). Nous pouvons, en effet, nous considérer quelque peu « orphelins » des négociations ayant abouti, après plus de deux ans d’âpres négociations, le 14 juillet 2015, au traité sur le nucléaire iranien.

La décision cynique du Congrès américain de voter, quelques jours avant l’attentat de Téhéran (par 92 voix contre 7) de nouvelles sanctions à l’encontre de l’Iran pour cause « de soutien au terrorisme international », semble indiquer que la volonté de l’administration américaine est bel et bien d’isoler l’Iran et semble confirmer les pires craintes d’un conflit de part et d’autre du Golfe persique, du moins si fallait prendre pour argent comptant la récente déclaration du vice-prince héritier et ministre de la défense saoudien, Mohammed Ben Salmane Al Saoud appelant à « punir » l’Iran et à « porter la bataille »  sur le sol iranien.

En effet, la lutte contre les organisations terroristes djihadistes, ne saurait admettre, du moins de notre part, la moindre faiblesse ou laisser place au doute, car ce sont avant tout des musulmans qui meurent : pas moins d’une quarantaine dans la banlieue de Bagdad, dans la ville sainte chiite de Kerballa, et dans le sud chiite de l’Irak il y a quelques jours ; 150 à Kaboul et 9 à Hérat à la sortie d’une mosquée, là aussi chiite, la semaine dernière, ou encore les affrontements entre islamistes et les forces armées philippines à Mindanao, qui fait grossir l’inquiétude de l’ouverture de nouveaux fronts en Asie centrale et du Sud-est, à mesure que la perspective des libérations de Mossoul et de Rakka se précisent.

Que dire, dès lors de l’attitude de certains pays, prompts à relativiser l’action pourtant revendiquée par Daesh, à l’instar des Etats-Unis, dont l’hallucinant tweet du Président Trump, laissait planer le doute quant à la responsabilité « implicite » de Téhéran, accusée avec de plus en plus d’insistance, par Washington d’être elle-même, un Etat terroriste,  sous prétexte de son soutien au régime de Bashar el-Assad, au Hezbollah libanais présent en Syrie, aux milices houthies qui combattent au Yémen aux côtés de l’ancien président Ali Abdullah Saleh ?

L’attentat de Téhéran advient alors qu’une tension jusqu’ici sourde et désormais fortement crisogène, semble se durcir entre Etats arabes sunnites (suivis par plusieurs états africains musulamns, à l’inster du Sénégal, du Gabon et de la Mauritanie) de la rive méridionale du Golfe persique, menée par l’Arabie Saoudite, l’Egypte, Bahreïn, le Yémen et les Emirats arabes Unies à l’encontre du Qatar, mais qui vise, implicitement, l’Iran.

Ce n’est pas la première fois que Téhéran est touchée par le terrorisme, néanmoins, la dernière attaque remonte à 1999, alors que l’organisation des Moudjahidinesdu peuple, revendiquait l’assassinat du général Ali Sayad Shirazi, chef d’Etat-major des forces armées iraniennes durant la guerre Iran-Irak (1980/1988).

Plus récemment, plusieurs tentatives émanant de groupes extrémistes sunnites du Balouchistan frontalier avec le Pakistan et du Kurdistan, frontalier avec le Kurdistan irakien, ont été déjouées par les services de renseignement iraniens. Les cinq assaillants iraniens, dont plusieurs femmes qui se sont fait exploser, avaient d’ailleurs tenté, en juillet 2016 de commettre des attentats, sous la direction d’Abou Aïsha, un des chefs de l’EI abattu par les Iraniens. C’est ce dernier, qui avait appelé, en farsi, à s’en prendre à plusieurs villes saintes chiites.

Le Ministre des services de renseignement, Mahmou Alavi avait d’ailleurs rappelé, il y a quelques mois, au cours de la première Conférence sur la sécurité organisée par l’Iran, que plusieurs dizaines de combattants iraniens combattaient au sein de Daesh à Raqqa et Mossoul.

Néanmoins, la signature revendiquée par Daesh, via son agence de propagande habituelle (Amaq) dans une attaque simultanée inédite visant deux piliers symboliques d’un pouvoir multicéphale en Iran - le Parlement, centre d’un pouvoir législatif qui avec la Présidence, nouvellement renouvelée, le 19 mai dernier, incarne une ligne « réformiste » et encline au dialogue avec la Communauté internationale ; et le Mausolée de l’Ayatollah Roullohah Khomeiny, qui incarne l’esprit de la révolution islamique de 1979, mettant fin au règne de 400 ans de Shahs d’Iran (brièvement perturbé par la précédente Révolution constitutionnelle de 1905-1911, qui fonda, du reste, le Majlis, Parlement fortement inspiré de l’Assemblée nationale française) et dans le même temps jette les bases d’un schisme non seulement religieux mais militaro-diplomatique dans la sphère arabo-musulmane - ne cesse d’interroger.

Cette action terroriste témoigne, en tout état de cause, s’il fallait encore trouver une raison ou une occasion de l’affirmer urbi e orbi, qu’il y a urgence à créer les conditions d’une mobilisation internationale -, à l’instar de ce « front » uni, fut-il appelé « Task force » ou « coalition » ou « Yalta » - de la lutte contre le terrorisme. Néanmoins, la contradiction semble évidente dans les motivations qui poussent, depuis septembre 2015, 68 Etats à combattre « résolument » l’EI et « en pointillé » d’autres groupes, en Syrie.

Que dire, dès lors, des raisons profondes ayant amené, 55 Etats (à l’exception notable de la Turquie et de facto de l’Iran !), membres de l’Organisation de la Coopération islamique (OCI), à répondre positivement à l’invitation du Roi d’Arabie Saoudite, Salman Bin Abdulaziz pour entendre Donald Trump confirmer qu’il entendait que ces derniers combattent autant Daesh que l’Iran ? Déjà plusieurs états africains, à l’instar du Mali vont rompre leurs relations diplomatiques avec l’Iran, et ce, alors que l’Arabie Saoudite a promis une aide financière à Bamako. Plusieurs autres états (Sénégal, Mauritanie, Gabon, Maldives…) ont décidé de rompre leurs relations diplomatiques avec Doha, dans un contexte similaire.

La Realpolitik qui a toujours marqué les relations de la France avec le reste du monde devrait, dès lors dans ce contexte d’une nouvelle « guerre froide » aux acteurs plus méridionaux, se conjuguer avec notre dessein de médiateur et de facilitateur « équidistant » - durant la dernière moitié du 20ème siècle -  entre l’Est et l’Ouest. Le Général de Gaulle le rappelait avec emphase, en 1966, à Phnom Penh, posant les jalons du non-alignement.

Puisse l’émergence de nouveaux fronts moyen-orientaux, aujourd’hui, extrême-orientaux demain, nous permettre de réaffirmer, que, parfois - au-delà de la longévité et la solidité d’une amitié transatlantique, dont nous fêtons en 2017, le centenaire de l’entrée en guerre des Etats-Unis dans la 1ère Guerre mondiale  - nos intérêts stratégiques nous imposent aussi de penser dans la profondeur de notre propre histoire.

Pour rappel au nouveau locataire de l’Elysée, si la France s’est honoré - à juste titre - de célébrer 300 ans de relations diplomatiques avec la Russie, la France peut aussi s’enorgueillir d’avoir fêté en novembre 2015, 300 ans de relations diplomatiques entre la France et la Perse. L’Iran, qui conserve - encore - de la France, l’image d’une puissance bienveillante, reste sensible, comme toute puissance régionale à quelques égards diplomatiques, surtout quand ceux-ci peuvent être révélateurs d’une stratégie et d’une ambition.

Cela valait bien un communiqué de presse !

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