Attaque masculiniste déjouée à Bordeaux : les tueries de masse à l'Américaine pourraient-elles débarquer en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme de 26 ans a été interpellé près de Bordeaux, deux jours avant le passage du relais de la flamme olympique.
Un homme de 26 ans a été interpellé près de Bordeaux, deux jours avant le passage du relais de la flamme olympique.
©CHRISTOPHE SIMON / AFP

Violence

Le masculinisme prospère sur un terreau rendu fertile par toutes les questions qui se posent aujourd'hui au sein de notre société.

Jean Doridot

Jean Doridot

Le Dr Jean Doridot  est psychologue, spécialiste des addictions.

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Atlantico : Un homme de 26 ans a été interpellé près de Bordeaux, deux jours avant le passage du relais de la flamme olympique. Le suspect a diffusé un message inquiétant sur les réseaux sociaux faisant référence à une tuerie de masse survenue en Californie en mai 2014 par Elliot Rodger, figure du mouvement « incels ». Quelle est la réalité du mouvement incel, aussi bien idéologiquement que sociologiquement ?

Jean Doridot : Le mouvement incel est une branche de la nébuleuse masculiniste. Cette idéologie remonte aux années 1970, au moment des premiers mouvements féministes, notamment en Amérique du Nord. A cette époque-là, les compagnons des femmes militantes pour le féminisme, en accord avec leurs compagnes de l'époque qui réfléchissaient à ce que cela voulait dire le fait d’être une femme, ont décidé de se réunir et de se poser la question sur ce que devait être un homme moderne, notamment sur le respect des femmes. Au départ, cela était animé de bonnes intentions. Tel était l'embryon, le début du masculinisme. Avec le temps, ces groupes d'échanges masculins ont développé une espèce d'anti-féminisme. Ils se sont mis à désigner les femmes comme étant un problème. Tous les problèmes des hommes ont été attribués aux femmes. Telle était la base du masculinisme. Il s’agit vraiment d’une nébuleuse. Il y a de nombreuses tendances et d'idéologies différentes.

Dans cette nébuleuse, il y a les incels. Ce terme désigne les célibataires involontaires. Ces hommes n'arrivent pas à trouver de compagne mais ils rendent les femmes responsables de cet état de fait. Les incels finissent par développer une rancœur, une frustration vis-à-vis des femmes, y compris sexuelle.

Certains revendiquent clairement être incels et d'autres, notamment des coachs en séduction par exemple, ne vont pas forcément le revendiquer mais ils vont véhiculer dans leurs discours le message des incels.

Quel potentiel ce phénomène pouvait avoir en France puisque généralement ce qu’il se passe aux États-Unis est souvent un signal de ce qui nous attend quelques années plus tard ?

Sans vouloir être alarmiste, la France est menacée par le phénomène des incels comme le démontre le projet d’attaque à Bordeaux. Sur les réseaux sociaux, l’influence de coachs en séduction a énormément d’impact. Parmi ces coachs en séduction, certains de ces hommes véhiculent un discours qui peut s'apparenter à un discours masculiniste.

En janvier 2020, un coach en séduction, un influenceur a tué son ex-compagne de 80 coups de couteaux. A l'issue de son procès en appel en février 2024, Mickaël Philétas a été condamné à la prison à perpétuité, assortie de 22 ans de sûreté. Il avait une chaîne YouTube avec plusieurs milliers d'abonnés. Dans ses vidéos, il adoptait un discours très dur, un discours masculiniste envers les femmes. Il n’a pas toléré que sa petite amie le quitte.

Il y a donc un réel danger en France face au mouvement incel, notamment à cause de l’influence des réseaux sociaux. Un parallèle peut même être fait avec des mouvements sectaires ou avec le basculement dans le terrorisme.

Des jeunes hommes isolés socialement, qui ne sont pas forcément remis de la période de confinement liée au Covid, sont très fragiles et ne sont pas forcément à l'aise avec les femmes. Ces hommes sont des cibles faciles pour cette mouvance masculiniste à travers des espèces de gourous. Ces représentants du masculinisme, du mouvement incels, les idéologues, vont pouvoir recruter ces garçons et leur soutirer de l'argent à travers des séances de coaching pour les aider à séduire des femmes ou à mieux se comporter avec les femmes, selon les codes des incels, donc la nécessité de se faire davantage respecter.

Sur les esprits les plus fragiles, ces idées peuvent déclencher des passages à l'acte violents car il y a cette idée, chez les incels, que les femmes sont des ennemies.

Comment faire pour éviter cette dérive ? Y aurait-il besoin d'un accompagnement spécifique pour ces jeunes ? Est-il nécessaire de réguler les réseaux sociaux pour venir en aide aux incels et limiter les passages à l’acte ?

La régulation sur les réseaux sociaux est un atout majeur. Des signalements sont faits auprès de la MIVILUDES concernant certaines mouvances masculinistes. Le législateur doit s'emparer de ce phénomène. La France fait quand même déjà beaucoup, notamment à travers la mixité à l'école publique.

La rencontre de l'autre constitue une altérité positive. Les jeunes apprennent à se connaître, à s'apprécier plutôt qu'à se battre.

Cette crise existentielle de certains jeunes hommes au cœur du mouvement incel n'est-elle pas aussi l'un des fléaux de notre société moderne ?

Le masculinisme prospère sur un terreau rendu fertile par toutes les questions qui se posent aujourd'hui au sein de notre société.

Au regard du phénomène concernant la dysphorie de genre chez les jeunes, cela souligne une crise de l'identité chez les garçons et chez les filles.

Certains hommes sont perdus. Ils ne savent plus tellement ce que cela veut dire que d'être un homme au sens noble du terme. Le masculinisme prospère dans ce contexte.

Dans le mouvement incel, il y a une notion d’emprise qui se rapproche de la dérive sectaire. Un adolescent peut être séduit par le discours d’un coach en séduction masculiniste. Il va rapidement être sous son emprise. Il ne demandera pas à être aidé. Il dira qu’il n’a pas de problème, qu’il s’est positionné. Il va considérer que les femmes ont besoin d’être dominées par les hommes. Il sera compliqué de l’accompagner et de le détourner de cette idéologie. L’adolescent en question, sous influence, ne voudra pas être accompagné et se détourner de sa grille de lecture incel.  

Les incels ont souvent été déçus. Ils ont pu être quittés par une petite amie et ils ne s'en remettent pas. La petite amie en question va être responsable de tous les problèmes. Il y a ensuite une généralisation. Toutes les femmes sont comme cela, selon les incels. Les femmes deviennent donc des boucs-émissaires et deviennent responsables de tous les maux.

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