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Athènes face à l'Eurogroupe : pourquoi aucun libéral ne peut cautionner ce que l'Europe impose à la Grèce
©REUTERS/Ronen Zvulun

La Grèce, hélas

Etre un libéral cohérent, ce n'est pas considérer que marche ou crève est une devise, ce n'est pas tout mettre sur le dos de la Grèce et encore moins collectiviser les pertes d'un pays allié.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Au début, j’ai fait comme tout le monde. Partant du principe que la Grèce avait été gérée longtemps par des socialistes et des dépensolâtres étatistes de la pire espèce (le genre mitterrandiens du Pas-de-Calais, mais en plus clientélistes encore), je n’ai pas été scandalisé par ses premiers déboires, vers octobre 2009. A cette époque, une petite intervention orale de la BCE aurait suffi à tuer la spéculation sur les taux d’intérêt dans l’œuf, mais que voulez-vous, je confesse un esprit parfois mesquin et revanchard. Par contre, en tant que libéral à peu près cohérent, je n’ai pas aimé du tout la suite des évènements, surtout lorsqu’ils sont analysés par la presse aux ordres comme la résultante de "pressions libérales". 

Scandale n°1 : assister, les bras ballants, à une chute verticale des dépôts, de la monnaie, de M3, en un mot : à chute du PIB nominal, puis à une chute logique du PIB réel. Ce n’est pas ça le libéralisme dans une union monétaire, c’est plutôt la définition de la lâcheté, du jem’enfoutisme et du chacun chez soi. Soit dit en passant, il s’agit d’une punition qui dépasse toutes les erreurs monétaires criminelles de la FED des années 1930, et qui disculpe en grande partie les grecs eux-mêmes dans la mesure où même les isolats dictatoriaux et protectionnistes ne subissent pas de telles raclées :

Ceci est rigoureusement incompatible avec les écrits de Milton Friedman, par exemple. Il aurait fallu acheter de la dette hellène par QE massif dès 2010, accepter soit une dévaluation de 50%, soit un policy-mix archi-accommodant sur plusieurs années, soit une remise ambitieuse des dettes (pas un défaut dans les grincements de dents, nan : une remise des dettes), et tant pis pour l’aléa moral, on ne discute pas de la prévention du prochain incendie quand la maison brûle. 

Au lieu de cela, on a commencé par ne rien faire, puis on les a "aidés" avec des prêts à 4,5%/an (en pleine chute verticale de leurs revenus !! autant les flinguer), puis on leur a fait la bonne leçon de la conditionnalité (leçons qu’on n’ose plus proposer de nos jours aux pires satrapes africains), puis on n’a pas du tout lié les aides à la Grèce à ce que l’Allemagne recevait au même moment au titre du "flight to quality" (solidarité, quand l’Allemagne se refinance en dessous de 0%, mon œil !), puis on a exigé des grecs des hausses de TVA au pire moment (rien de plus stupide), tout en trafiquant à chaque étape les prévisions de croissance et d’inflation, et en faisant tout jusqu’en 2014 au moins pour promouvoir un euro trop cher (voir plus loin). Je passe sur le scandale du corralito imposé à Chypre, et autres sales coups périphériques, alors que les grecs ont globalement "fait le bouleau" dans ce marché de dupes, en dépit de tous les vents contraires : retour aux excédents (essayez, quand vos revenus chutent d’un quart, d’en faire autant !), réformes absurdes des marchés (je ne sais pas s’ils ont libéralisé les trajets de bus comme chez nous, mais quand la base monétaire s’effondre de 50% en 5 ans je ne vois pas bien le rapport), etc.  

Du grand n’importe quoi, donc, perpétué depuis 2 ans et demi avec l’exclusion de la Grèce du QE (au motif, tenez-vous bien, que les titres grecs ne sont pas assez sûrs aux yeux d’une BCE qui n’a jamais eu une comptabilité en mark-to-market : c’est pourtant Sarkozy & Merkel qui ont inventé le plan suicidaire d’un échange "volontaire" sur ces titres, et, au passage, ces derniers sont émis en euros ; bref). Tout a été fait pour couler ce pays, tout, et pour s’en servir à la fois comme épouvantail et comme moyen de pression (souvenez-vous du limogeage de Berlusconi, par exemple).  

Et en toute bonne conscience, c’est là le scandale n°2

Une citation suffira. Jeroen Dijsselbloem, président de l'Eurogroupe, interview au Frankfuter Allgemeine Zeitung, 21 mars 2017 : "Durant la crise de l'euro, les pays du Nord ont fait montre de solidarité avec les pays touchés par la crise. En tant que social-démocrate, j'accorde une importance exceptionnelle à la solidarité. Mais on a aussi des obligations. Je ne peux pas dépenser tout mon argent en schnaps et en femmes et ensuite vous demander de l'aide". (NB : l'Eurogroupe est la structure, tant réclamée longtemps par la France, qui est censée incarner le "contrôle politique européen sur l'euro", et qui de facto remplace le conseil ECOFIN sur les questions monétaires). Pauvre mec, va.

Le plus amusant est de voir cette thérapie de marche ou crève être administrée par des "fédéralistes" européens, qui nous ont bassiné pendant des décennies, à Sciences-Po et ailleurs, avec l’Europe "sociale", la solidarité communautaire, le prêteur en dernier ressort, le budget fédéral à l’américaine, les euro-bonds, les accommodements avec le pacte de stabilité, etc. En fait, ces sociaux-démocrates propres sur eux sont surtout en faveur de la solidarité quand elle s’exerce vis-à-vis de l’Allemagne, quand il faut faire payer à tous la facture de la réunification vers 1992, ou quand ce pays dépasse la barre fatidique de 3% vers 2003-2004. Devant un cas plus dramatique, et alors même qu’ils peuvent emprunter à 0% pour réaliser des transferts vers des gens qui ne sont plus soignés, ils rechignent. Bravo.     

Scandale n°3 : il y a eu tout de même quelques flux vers la Grèce, mais strictement organisés pour ne surtout pas aller vers le peuple de ce pays. On a discrètement collectivisé les pertes ou les actifs douteux, afin d’organiser une sortie à peu près en bon ordre des institutions financières du cœur de la zone euro, entre 2010 et 2014.

Les chiffres ci-dessous sont issus de Cembalest, de JP Morgan. 

No comment. 

Tout cela a été organisé par des gens comme Lucas Papademos, dont le CV 100% anti-libéral et 300% copinage&reseautage résume mieux que tout le scandale de cette séquence technocratique dans son ensemble. La BCE indépendante (encore un affront au libéralisme classique, et à l’ordo-libéralisme en particulier quand on prend le temps de lire des livres) est au cœur de ce chantage institutionnel, de la procrastination et de l’hypocrisie, et il est donc vraiment difficile en comparaison d’incriminer Bruxelles (même si la Commission aurait pu faire mieux que de regarder passer les balles), ou les Etats (même si, répétons-le, la France et surtout l’Allemagne ne ressortent grandies ni financièrement ni moralement), ou le FMI (qui, depuis le début, est sommé de jouer au méchant flic par Berlin, alors que le staff est plutôt favorable à une sortie par le haut de cette crise). On va encore s’en apercevoir dans les semaines à venir, où, comme l’année dernière, c’est une tranche de remboursement à la BCE qui pose problème, comme par hasard et comme un couteau sous la gorge (alors que transformer ces engagements en titres perpétuels dans le bilan de la BCE ne coûterait techniquement rien à Francfort).

Scandale n°4 : la budgétarisation et la structuralisation de toute cette affaire (ah ma bonne dame, ils travaillent peu, et ils dépensent si mal), de façon à faire croire que rien n’est monétaire. Le top du top c’est la focalisation sur les privilèges des popes (on veut abolir l’histoire ? et qui à votre avis s’occupe du social quand le chômage est à 25%) ou des militaires (on fait semblant d’oublier que la Turquie commet une provocation territoriale toutes les deux semaines), alors que le taux de changes est discrètement évacué des débats : pourtant, comment voulez-vous qu’un pays qui dépends crucialement du commerce international, et du tourisme en compétition avec la Lire turque, puisse s’en sortir avec un euro longtemps trop cher et encore aujourd’hui bien trop haut pour les besoins de ce pays ?

C’est là où un libéral ne peut pas suivre la vox populi bavaroise et la BCE. Un libéral aime plutôt les changes flexibles, surtout quand il pressent que dans un pays le marché du travail ne ressemble plus à rien (pas évident de le flexibiliser) et que les taux d’intérêt ne peuvent plus guère servir de boussole : quand il voit un mauvais alignement monétaire durable dans ce genre de configuration, un libéral recommande la dévaluation, comme Rueff en 1926 ou en 1958. Dans le cas qui nous occupe, un pays qui avant 2002 dévaluait contre le Deutsche Mark de plus de 50% tous les 10 ans, on imagine ce qu’il faudrait comme thérapie, et ce n’est pas avec des réformes ou de l’austérité (même pendant 50 ans) que de tels ordre de grandeur peuvent être atteints.

Vous me direz que ce sont les Grecs eux-mêmes qui sont entrés dans cette galère nommée euro, qui aboutissait à une grosse bulle pré-crise (des taux allemands vers des gens habitués à des taux mexicains, pensez !) et à une longue crise ultérieure en cas de non bail-out par la banque centrale : c’est très vrai. Mais, à partir de 2009, la Grèce (ou ce qu’il en reste) n’a plus le choix : avec ses banques pulvérisées, sa dépendance au mécanisme ELA de liquidité, et la menace constante de nouvelles sorties de capitaux, les grecs ne peuvent sortir (cela ne serait déjà pas simple pour nous…, imaginez avec des taux à 10%, etc.), à moins d’un scénario "Argentine 2001" (mais sans l’aide de la hausse des prix des matières premières pour amortir le choc). Perdre toute la prospérité et toute la souveraineté à l’horizon de la prévision, ou s’engager vers le gouffre néo-chaviste des parias financiers : le choix est assez vite vu, même à l’extrême-gauche de Siriza. 

Des européens libéraux, généreux et décidés auraient aidé à une sortie à peu près propre de la Grèce, ils se seraient coupés un bras sur la dette et auraient financé une partie de la transition monétaire par des aides directes, ce qui au final n’aurait pas coûté beaucoup plus cher que la comédie actuelle au fil de l’eau, et aurait au moins assuré une voie à peu près crédible de rétablissement. Mais on a toujours sous-estimé à Paris les gains apportés par la sortie d’un régime de changes fixes inadapté, et cela ne date pas d’hier. Et c’était surtout intolérable pour l’oligarchie allemande, qui redoute par-dessus tout une contagion d’idées dangereuses (dangereuses pour elle !) vers l’Italie notamment. Et la BCE n’a pas du tout envie de renoncer à ses créances, même si cela ne lui coûte rien, c’est parait-il une preuve et une condition d’indépendance. D’où le statu quo, les négociations secrètes qui s’éternisent, les rétablissements toujours remis à l’année prochaine, les pressions BCE à quelques encablures des échéances obligataires, les notes d’analystes sur les imperfections du régime de retraite hellénique, etc. Tout cela peut continuer longtemps, aussi longtemps que les européens ne réaliseront pas le caractère profondément injuste, anti-européen et illibéral de ce processus. Quand Friedman serait d’accord avec Krugman et Stiglitz, c’est que l’affaire est pliée… ; reste à la faire mieux comprendre au plus grand nombre, d’autant que je ne suis pas certain que Bruno Lemaire s’en chargera !

PS : pour ceux qui sont encore persuadés que l’Allemagne est budgétairement sérieuse (avec le bon élève de la BCE en fidèle lieutenant, l’Espagne), face à une Grèce de débauches : regardez les courbes depuis 2009 :

Le sujet vous intéresse ?

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