Assemblée générale des Nations-Unies : quelle onde de choc géopolitique en cas d’effondrement de la Russie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La guerre en Ukraine sera au coeur des discussions lors de l'Assemblée générale des Nations Unies.
La guerre en Ukraine sera au coeur des discussions lors de l'Assemblée générale des Nations Unies.
©Alexei DRUZHININ / SPUTNIK / AFP

Conséquences de la guerre en Ukraine

L’Assemblée générale de l’ONU se déroule jusqu’au 24 septembre. Les décisions et les mesures prises pourront-elles faire évoluer la position de la Russie et la situation du conflit en Ukraine ?

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Lors de leur rencontre à Samarcande, en Ouzbékistan, en marge du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, les présidents chinois et russe ont affiché leurs solidarités pour défendre leurs «intérêts fondamentaux» et rejeter un «monde unipolaire». Mais Poutine semble être rentré les mains vides de ce sommet. Qu’en est-il réellement ?

Emmanuel Dupuy : Cette Organisation de coopération de Shanghai n’est pas par nature favorable à la Russie. Elle a été créée sous l’égide de la Chine en 2001, représente 43% de la population mondiale et regroupe quatre puissances nucléaires. Il n’est pas étonnant que Poutine n’ait rien obtenu. Lors de ces rencontres, tout est fait en faveur du soft power chinois. 

On voit bien que les 9 de Shanghai (Chine, Russie, Inde, Pakistan, Iran, Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizistan, Tadjikistan) se rencontrent en opposition au G7. D’une part, il y a eu l’agenda propre à l'organisation dont le but est de créer une solidarité de fait entre les pays centro-asiatiques, pour faire face notamment aux sécessions ou à l'irrédentisme. Plus il y a de pays dans cette organisation, plus on va multiplier les problèmes. D’autre part, l’agenda russe. Deux crises sont venues perturber celui-ci pendant la réunion : la reprise du conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie et le conflit entre le Tadjikistan et le Kirghizistan. Au sujet de la guerre en Ukraine, la Turquie, invitée lors de la réunion, a fait comprendre à Poutine que la diplomatie devait jouer son rôle. Le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokayev, a renouvelé sa volonté de ne pas fournir de troupes et de ne pas reconnaître les républiques autoproclamées en Ukraine. Les alliés traditionnels de la Russie, à savoir les ex-républiques soviétiques et les pays du Caucase, ont marché dans les pas de la Turquie. 

Vladimir Poutine était venu gagner du soutien de la part des alliés, mais paradoxalement, il est obligé de garantir la sécurité entre des pays qui appartiennent à la même organisation. Par ailleurs, certaines oppositions apparaissent au sujet des pays limitrophes de l'Afghanistan. Faut-il discuter avec les talibans ? L'Ouzbékistan et le Turkménistan veulent dialoguer avec eux. Mais le Tadjikistan refuse toute compromission. La Russie revient dans cette région en juge de paix, ce qui complique sa tâche au moment de trouver des alliés dans le cadre de la guerre qu’elle mène en Ukraine. 

Autre mauvaise nouvelle pour le président russe, et qui est passée un peu inaperçue, les mots qui ont été employés par le pape François lors du Congrès des dirigeants des religions mondiales et traditionnelles à Noursoultan (Kazakhstan). Le pape a déclaré qu’il n’était pas immoral d’armer l’Ukraine. Le grand imam d’Al-Azhar et le grand-rabbin d'Israël lui ont emboîté le pas. 

L’Assemblée générale de l’ONU, qui a débuté hier, se tiendra jusqu’au 24 septembre. Que devons-nous en attendre au regard des positions de la Russie ?

On va assister à un rapport de force que le président russe ne peut guère élargir en sa faveur. En mars, lors du premier vote des Nations unies condamnant l’invasion de l’Ukraine, 141 États sur 193 avaient condamné la Russie, 35 s’étaient abstenus et 12 n’avaient pas assisté au vote, donnant l’impression d’une force de cohésion orientale contre l'Occident. Il y a quelques jours, pour la validation de la prise de parole de Zelensky à l’ONU, ceux qui n’ont pas validé l'autorisation étaient la Biélorussie, la Corée du Nord, l'Erythrée, Cuba, la Syrie, le Nicaragua et bien évidemment la Fédération de Russie. Autrement dit, le front de soutien à la Russie n’a pas bougé d'un iota, confirmant sa fragilité diplomatique. 

La guerre en Ukraine sera-t-elle à l’ordre du jour ?

On ne peut pas imaginer une absence de prises de parole des différents pays sur le conflit en Ukraine. Rappelons que l’ONU n’a pas réussi à prévenir le conflit, ni à l’arrêter, donc la légitimité de cette organisation sera interrogée. On parlera de l'Ukraine à travers des sujets tels que la sécurité alimentaire, l’accord sur le grain menacé par Poutine, les réfugiés et la reconstruction de l’Ukraine. 

Peut-il y avoir des surprises à l’issue de cette Assemblée générale ?

L’idée qui prospère est celle visant à créer un tribunal pénal international spécifiquement dédié à l’Ukraine puisque la Cour pénale internationale n’est reconnue ni par les Etats-Unis ni par la Russie.

Par ailleurs, on verra si une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU est envisagée. Y aura-t-il 20 pays membres du Conseil de sécurité au lieu de 15 ? 10 membres permanents au lieu de 5 ? Un consensus ne se dégagera pas aussi facilement. 

La position militaire de la Russie en Ukraine se détériore. Certains spécialistes affirment d’ores et déjà que la Russie va perdre la guerre. Même si la guerre est loin d’être terminée, certains s’inquiètent des répercussions géopolitiques d’une telle défaite. Est-ce un effet papillon que l’on sous-estime ?

La Russie est loin d’avoir perdu la guerre. Certes, elle a perdu une bataille qu’elle ne voulait pas perdre dans une région qu’elle voulait pacifier (le Donbass), mais l’armée russe n’est pas encore défaite. Les dernières estimations font état de la destruction de 20% de l’armement russe. Il lui reste donc beaucoup de pièces d’artillerie (900 sur le front du Donbass). Par ailleurs, on estime qu’il y aurait eu 80 000 victimes (morts ou blessés) côté russe, dont un dizaine de généraux, une centaine de colonels et près de 700 officiers subalternes (commandants , capitaines et lieutenants). Rappelons qu’il n’y a pas de corps de sous-officiers donc si une partie des officiers manquent à l’appel, il sera compliqué de reconstituer une armée digne de ce nom. Son appareil militaire est très durablement handicapé. Au-delà de la bataille de chiffres, l’armée russe a subi une défaite mais intensifie ses bombardements contre des cibles civiles et militaires. Pour l’instant, on ne sait pas si la Russie va mobiliser davantage d’hommes. On reste dans l’expectative concernant les prochaines manœuvres russes. De manière générale, il est indéniable que le rapport de force s’est équilibré. 

Que changerait une défaite russe sur le plan géopolitique ?

La défaite de la Russie est une vue de l'esprit. La Russie dira qu’elle a répondu à la demande quand elle a porté assistance aux deux républiques autoproclamées. Si elle reconquiert les territoires qu’elle vient de perdre, on pourrait parler de défaite ukrainienne. Pour le moment, rien n’est fait, aussi bien d’un côté que de l’autre. 20% du territoire ukrainien est sous administration russe, donc on peut tout de même dire que l’Ukraine a réussi à empêcher les Russes de conquérir le pays. Aujourd’hui, Zelensky a su être un chef avec un leadership politique certain. De plus, l’Ukraine a su créer une solidarité entre les pays de l’Otan. 

On pourrait parler de défaite pour la Russie si elle perdait les territoires conquis en 2014. Pour le moment ce n’est pas le cas. 

On sait que la Russie joue beaucoup de son influence en Afrique, dans quelle mesure une défaite militaire russe en Ukraine remettrait-t-elle en cause cette influence ?

L’effet collatéral majeur concerne la fiabilité de la Russie. Les partenaires de la Russie, tels que le Mali, le Cameroun, le Soudan, l'Egypte ou encore l'Algérie, l’ont constaté. 

Par ailleurs, une forme de hiatus se crée, entre d’un côté le monde du G7 et de l’autre, les 9 de Shanghai via l’Organisation de coopération de Shanghai, qui regroupe “les pays du refus” et constituent une alternative. Ils ont une vision qui remet en question le leadership occidental sur l’ordre du monde et au sein des nations unies. Inévitablement, et comme on pouvait l’anticiper, il y a un rapprochement entre la Chine et la Russie. 

Cependant, certains pays restent discrets sur l’action de la Russie en Ukraine. Parmi les 35 pays qui n’ont pas voulu participer au vote lors des résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU des 2 et 24 mars, 17 étaient africains. 

La Russie est aussi très présente en Asie centrale et l’affaiblissement russe semble déjà provoquer des troubles, entre l’Arménie et l'Azerbaïdjan mais également entre le Tadjikistan et le Kirghizistan. Cela pourrait-il s’aggraver ?

Pour la Russie, les ex-républiques soviétiques sont aussi un enjeu, notamment le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l'Arménie, qui appartiennent à l’OTSC. L’enjeu est de ne pas affaiblir une solidarité de fait issue du démantèlement de l’URSS en 1991. Tous ces pays ont envie de diversifier leurs partenaires et cela représente une épine dans le pied de la Russie. 

Concernant les tensions entre le Tadjikistan et le Kirghizistan, L’OSTC se retrouve affaibli. C’est une organisation de sécurité collective qui permet à un pays membre agressé par un État tiers de bénéficier de l’assistance des autres pays membres. La question ne se pose pas quand deux pays membres sont en guerre. C’est la même chose pour l’Otan. La médiation se fera à l'intérieur de l’OTSC, sous l’autorité de la Russie notamment. Je ne vois pas d'aggravation des tensions frontalières ou ethniques car celles-ci ont toujours existé (événements d’Och en 2010 par exemple). 

La Chine aurait-elle intérêt à s’appuyer sur son voisin russe si celui-ci se voyait affaibli ?

La question peut se poser dans l'autre sens. La Russie, étant déjà affaiblie, a besoin de la Chine. La Chine n’a pas besoin de la Russie. Elle continue sa fortification budgétaire et militaire. Comme Poutine va-t-il convaincre la Chine de le soutenir ? Pour le moment, Xi Jinping soutient indirectement le président russe, en faisant transiter des obus par la Corée du Nord. Militairement, on assiste à une interopérabilité de puissances qui ont des divergences politiques. La Russie, la Chine et l'Iran ont fait des exercices maritimes il y a plusieurs mois. Une sorte d’Otan oriental se crée. Mais il existe quelques contradictions : la Turquie, qui est membre de l’Otan, se rapproche de ce bloc. L’Inde, qui a pour ennemi prédestiné la Chine, appartient à l’Organisation de coopération de Shanghai mais également au Quad (organisation rassemblant les États-Unis, la Corée du Sud, l’Australie et l’Inde). 

Sommes-nous prêts à faire face à cette situation ? Devons nous mieux anticiper les changements géopolitiques qu’entraîneraient une défaite russe ?

On aurait dû le faire depuis bien longtemps. Le président Macron a parlé devant les ambassadeurs d’une diplomatie agile et d'influence qui puisse anticiper les futures crises (guerres informationnelle ou hybride). La France a tout intérêt à se prémunir de toute surprise stratégique. La guerre de haute intensité doit se faire également hors champ, notamment quand il est question de faire face à la désinformation. Une cellule anti fausse information (anti-infox) a d’ailleurs été créée par les ministères des Affaires étrangères et de la Défense. Est-ce qu’on privilégiera la boussole stratégique élaborée de haute lutte en mars dernier au niveau de l’UE, dans le cadre de l’élaboration d'une “autonomie stratégique” européenne ? Ou plutôt le nouveau concept stratégique de l’Otan, “Otan agenda 2030”, élaboré lors du dernier sommet de Madrid, préfigure une “otanisation” de l’Europe de la défense ?

Tous les programmes d'armement pensés entre Européens (SCAF, MGCS, CIFS, transport stratégique de fret, planeur hypersonique et eurodrone) sont désormais au point mort, au grand bénéfice de la montée en puissance de l’armée allemande, dont Olaf Scholz voudrait en faire la plus grande armée conventionnelle en Europe. La guerre en Ukraine a paradoxalement rendu possible le retour en puissance des Américains en Europe.

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