ASN et CNDP : les leurres démocratiques fatals à notre nucléaire<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue d'une centrale électrique.
Une vue d'une centrale électrique.
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Crise énergétique

En janvier et février prochains, les Français vont avoir un avant-goût de ce à quoi ils vont devoir durablement s’habituer sur le plan énergétique.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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De 1974 à 2007, ce qu’est devenu l’Inspection de Sécurité de l'Aviation civile (1) a laissé voler un Airbus A300 considéré par d’aucuns comme assez dangereux, sans émettre la moindre réserve ni susciter de désapprobation. Pourtant, pas moins de 32 accidents sont à mettre au passif du légendaire appareil, responsables de la mort de 1126 personnes – plus de 1400 en comptant les actes criminels (2), notamment lors de ses 75 crashs au décollage et à l’atterrissage. Quel contraste avec le fait que la seule évocation de l’ASN inclinerait nombre de compatriotes à se signer, la mouvance écologiste et une part importante de notre classe politique n’hésitant pas à le faire ostensiblement, sous diverses formes !

Reconnaissons qu’il y a de quoi : les sentences de l’intangible création parlementaire du 13 juin 2006 (3) sont à ce point sans appel que, du Palais Bourbon à l’Élysée, personne n’est désormais en mesure de les remettre en cause, ni seulement de les infléchir, surtout pas les conseillers scientifiques et techniques avertis, accrédités ou non, auxquels l’exécutif et le législatif restent obstinément sourds. Nulle part comme en France, une aussi suicidaire disposition légale pèse sur le navire amiral de l’industrie nationale.

Qui peut croire que la filière nucléaire française serait parvenue à mettre sur le réseau national une soixantaine de réacteurs électrogènes en guère plus de 20 ans, soumise à la charia que les nouveaux gardiens du temple règlementaire sont aujourd’hui chargés de faire respecter ?

La loi TSN de 2006 était réputée dédiée à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire ; mais que reprochaient au juste les Français à la communauté professionnelle faisant alors l’admiration du monde et à laquelle ils doivent 2200 années.réacteurs d’exploitation sans incident ? Croient-ils vraiment qu’Élysée-Matignon et un Parlement aux ordres n’avaient alors rien de mieux à faire que mettre cette communauté en examen, la chargeant implicitement des pires soupçons de prévarication ? Les départs massifs en retraite alertaient déjà sur l’hémorragie des compétences dont nous payons aujourd’hui si chèrement les conséquences : n’était-il pas plutôt temps de se préoccuper de la pérennisation de notre parc de production dont la grande inertie exige une planification industrielle précoce ? C’est plus que jamais aux héritiers politiques du Président d’alors de répondre concrètement à ces questions, à ceux auxquels, par-dessus le marché, on doit la loi NOME et son scélérat dispositif ARENH.

Selon toute vraisemblance, en janvier-février prochains, les Français vont avoir un avant-goût de ce à quoi ils vont devoir durablement s’habituer. Combien de temps encore resteront-ils disposés à sacrifier d’abord leur confort, leur santé ensuite, puis leur sécurité existentielle à la crainte de la malédiction des coreligionnaires de Corinne Lepage ? Les pères fouettards d’une ASN hors sol pensent-ils sérieusement que brandir à tout bout de champ médiatique et sous menaces à peine voilées leur bréviaire de la norme ESPN (4) aide à désavouer les membres de la confession ?

Au fait, quelles compétences techno-industrielles les ASN ont-ils bien pu puiser dans l’abondant retour d’expérience dont la transmission avait déjà du plomb dans l’aile en 2006 ? La question se révèle sans objet lorsque le besoin n’est que celui de notaires bardés de diplômes, incollables sur les versets d’une bible règlementaire en constante évolution, et d’huissiers spécialisés en police des mœurs industrielles. Peu de ces intellectuels ont seulement séjourné sur un chantier nucléaire ou classique, observé ne serait-ce que la montée en puissance d’un groupe turbo alternateur, les yeux rivés sur les températures, les dilatations et les paramètres chaudière, ou même entendu vrombir la vapeur aux soupapes d’un sécheur-surchauffeur.

Ces docteurs en droit canon de la jurisprudence de sûreté n’ont plus rien à voir avec les authentiques experts IPSN (5) du temps jadis. Support technique et expérimental du SCSIN (6) basé à Cadarache, le millier de ces derniers était doté d’un budget annuel de quelque 500 millions d’euros, de réacteurs dédiés à la sûreté et d’installations spécifiques lui permettant de pratiquer des fusions accidentelles de combustibles et de procéder à l'étude des incendies de sodium. La filière française disposait ainsi de spécialistes et de professionnels dont la synergie avec leurs homologues de l’Équipement, de l’Aménagement et de l’Exploitation était capable d’identifier ce qui est scientifiquement et techniquement vraisemblable, ce qui est techniquement possible et ce qui est techno économiquement raisonnable, y compris en matière de sûreté.

Il n’aurait pas été nécessaire à ces experts-là d’être policièrement assermentés pour diagnostiquer qu’il y a un risque majeur à exploiter des tranches nucléaires dont un circuit de sauvegarde est localement fragilisé par la corrosion sous contrainte et pour en tirer les conclusions idoines. Patent pour tout professionnel, ce risque n’est autre que celui de l’ouverture d’une brèche dans le circuit primaire provoquée par la rupture du raccordement du circuit d’Injection de Sécurité – IS – a ce dernier. Pourquoi majeur ? Parce que le système IS a justement pour fonction d’injecter de l’eau borée dans le circuit primaire, au débit tendant à compenser celui de la fuite, lors d’un APRP (Accident avec Perte du Réfrigérant Primaire), et en accélérant l’arrêt de la réaction nucléaire ; cette dernière responsabilité incombe à la propriété « neutrophage » d’un Bore présent dans cette eau à 2300 ppm. 


Il n’aurait pas non plus été nécessaire à ces experts-là d’être policièrement assermentés pour considérer impossible d’entasser des intervenants à discrétion dans la zone exigüe des pièces à souder et pour constater que : 1/ l’adresse et la qualification de ces derniers font le délai de la réparation ; 2/ qu’une France largement dépourvue de l’une et de l’autre est obligée de faire appel à des soudeurs américains ; 3/ que, eu égard au débit de dose ambiant, la durée des interventions est limitée par des prescriptions de radioprotection dont la comparaison avec les américaines souligne le surréalisme sanitaire (7).

Cette ASN serait donc née de l’irrésistible volonté démocratique de doter le peuple d’un instrument de transparence en sécurité nucléaire et lui prêter –
dans son ensemble – l’aptitude d’interpréter ce qu’il va lui être donné de connaître. De fait, depuis 16 ans, non seulement ce dernier fait comme s’il y était apte, mais il se montre bel et bien capable de la censure industrielle en découlant dont il s’est octroyé le pouvoir. Résultat : un enjeu économique national de première importance est désormais soumis au verdict de l’opinion, quand la pérennité et l’enrichissement de son contenu relève de connaissances parmi les moins partagées… Nous goutons aujourd’hui les fruits de plus en plus amers de ce contenu.

Pour ne rien arranger, depuis 9 ans, la Commission Nationale du Débat Public – la CNDP – prodigue à notre électronucléaire la même bienveillance que l’ASN. Une même intention politique a créé les deux organismes et une même hypocrisie met cyniquement en scène leur même démagogie démocratique. Le palmarès de cette commission est au moins aussi éloquent que celui du gendarme nucléaire ; petit florilège de ses exploits :

Débat National sur la Transition Énergétique (DNTE) de 2013 :

- Prise en compte ô combien précieuse de la directive des 3 fois 20 % du paquet « Énergie-Climat » de l’UE :
+ 20 % de renouvelables ; + 20 % d’efficacité énergétique ; - 20 % de gaz à effet de serre ;

- Norme RTE 2012 relative aux consommations dites primaires des bâtiments, impactant le chauffage et l’eau chaude et ouvrant un boulevard au gaz, au large détriment du nucléaire.

DNTE de 2018 ayant débouché sur une LTECV qu’on ne présente plus : réduction de 75 à 50 % de la part de la production électronucléaire, à l’horizon 2025 ; - 20 % de consommation totale d’énergie primaire à 2028 ; - 30 % de consommation totale d’énergie fossiles à 2028… et tout ainsi à l’avenant.  

Après ça, la présidente de la CNDP, Chantal Jouanno, a le front de déclarer ceci dans le journal Le Monde : « 
le débat sur le nucléaire est empreint de défiance car les politiques ont été marquées par le secret et les décisions imposées… Les décisions sur le futur de l’énergie atomique doivent prendre en compte la parole des citoyens» (8). De quoi se mêle l’ancienne patronne de l’ADEME et à quel titre ? Peut-elle rappeler aux Français la nature de son mandat électoral ? Outrepassant ses prérogatives, chercherait-elle à faire oublier qu’EDF doit à cette ADEME une large part du naufrage que la dame semble chercher à parachever ? Lui dire que, dans quelques semaines, ses compatriotes ne seront pas rares à souligner combien leur pays doit son infortune à l’ADEME.

Las ! Le pénible contexte politique actuel ne laisse manifestement d’autre choix aux Français encore lucides que se résigner, impuissants, à la lente décomposition de ce qui fut une grande aventure industrielle française. Absolument tout de notre prestigieuse techno structure électronucléaire est à reconstruire, y compris l’attitude de la population à son égard, et l’on ne voit pas quelles vaines gesticulations médiatiques et/ou associatives pourraient encore parvenir à enrayer aussi peu que ce soit un tel déclin, en l’absence de l’hypothétique bouleversement politique requis.

Qui sait, l’ascétique épreuve que les Français vont prochainement se voir infliger aura peut-être la vertu de provoquer ce bouleversement ? Reste à redouter le prix que la paix sociale pourrait en payer.

(1)https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Inspecteur_surete_0.pdf

(2)https://fr.wikipedia.org/wiki/Airbus_A300

(3)L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Autorité administrative indépendante créée par la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (dite « loi TSN », désormais codifiée aux livres Ier et V du code de l'environnement par l'ordonnance n° 2012-6 du 5 janvier 2012), est chargée de contrôler les activités nucléaires civiles en France

(4)  Équipements Sous Pression Nucléaire

(5)Institut de Protection et de Sûreté Nucléaires

(6)
Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires

(7)https://www.contrepoints.org/2022/09/11/438507-combien-est-on-pret-a-payer-le-retour-precoce-de-12-gw-electriques-vitaux?utm_source=Newsletter+Contrepoints&utm_campaign=0a7442f4d4-Newsletter_auto_Mailchimp&utm_medium=email&utm_term=0_865f2d37b0-0a7442f4d4-114224609&mc_cid=0a7442f4d4&mc_eid=94fbf2d702

(8)https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/18/chantal-jouanno-le-debat-sur-le-nucleaire-est-empreint-de-defiance-car-les-politiques-ont-ete-marquees-par-le-secret-et-les-decisions-imposees_6146229_3232.html

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