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Arnaud Danjean : "Considérer qu'Alain Juppé serait mou du genou ou naïf face au terrorisme ou aux défis de l'identité française est un cliché de commentateurs qui n'écoutent pas ce qu'il dit"
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Interview politique

Failles du système de sécurité et de renseignement français, déni de réalité gouvernemental, mesures à adopter pour éviter que de nouvelles attaques ne se produisent sur le territoire national : autant de thèmes abordés par Arnaud Danjean, en exclusivité pour Atlantico.

Arnaud Danjean

Arnaud Danjean

Arnaud Danjean est député européen Les Républicains,membre de la Commission des Affaires étrangères et de la sous-commission Sécurité/Défense, et conseiller régional de Bourgogne. Il est ancien fonctionnaire de la DGSE.

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Atlantico : Vous avez élaboré avec Alain Juppé les dispositions qu'il défend en matière de sécurité intérieure et de défense. Vendredi, le maire de Bordeaux a donné une conférence de presse pour expliquer les mesures qu'il fallait mettre en œuvre pour lutter contre le terrorisme. En quoi celles-ci sont-elles différentes ce qu'il avait proposé jusqu'ici ?

Arnaud Danjean : Cette conférence de presse a été l'occasion d'effectuer un rappel, et d'actualiser les propositions qu'il avait déjà faites dans son livre Pour un Etat fort. Un toilettage était nécessaire, car certaines sont désormais en cours de mise en place (les réserves opérationnelles par exemple), et pour en rajouter d'autres, comme l'instauration d'un délit pour ceux qui sont partis sur un théâtre de djihad et qui constituent une vraie menace pour la sécurité intérieure par exemple. Nous les avons élaborées toujours dans le même esprit, avec pour objectif d'être efficaces, concrets et opérationnels. 

Pourquoi Alain Juppé a-t-il choisi de durcir les mesures de son programme quelques jours seulement après la prise d'otage dans l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray ? Lors de la conférence de presse, l'un des termes forts utilisé par Alain Juppé a été de dire qu'il fallait "changer de braquet". La maire de Bordeaux considère-t-il que la menace terroriste a évolué, qu'elle est montée d'un cran ? 

Nous avons toujours considéré que la menace terroriste était élevée, durable et d'une ampleur quantitative inédite. Les paramètres de base de ce constat n'ont pas changé. Mais nous devons effectivement faire évoluer les choses, en fait les affiner, sur le point du durcissement de la réponse pénale. L'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray montre qu'il existe un angle mort judiciaire et pénal très problématique. Certains individus sont partis ou ont exprimé des velléités de départ, ce qui est un signe extrême de dangerosité, mais sans preuve formelle de leur lien avec un groupe terroriste, il est très difficile, voire impossible, de les incriminer et donc de les mettre hors d'état de nuire. Cette menace est d'autant plus importante que le nombre de personnes qui reviennent du djihad est conséquent. Or la surveillance seule n'est pas suffisante, nous l'avons tristement vu avec l'attaque de Saint-Etienne-du-Rouvray. C'est pour cela qu'il faut permettre une incrimination pénale qui permette de mettre les individus qui ont tenté de rejoindre la Syrie ou qui en revienne hors d'état de nuire. C'est d'ailleurs en ce sens qu'il y aura prochainement une proposition de loi à l'Assemblée, à l'initiative de la droite.

Je comprends que l'enchaînement des attentats donnent l'impression que l'on franchit des paliers d'horreur, avec une dimension croissante de conflit civilisationnel. C'est un ressenti légitime. Du côté des responsables politiques en revanche, cette surprise n'est pas de mise. Je suis toujours inquiet de constater que des responsables publics marquent un étonnement dans cette montée en puissance du terrorisme islamique alors que tout était annoncé : les modes opératoires comme les cibles. La stupeur et la surprise n'ont plus leur place.

Vous avez été à la DGSE, et présidé la sous-commission sécurité et défense au Parlement européen. Qu'est-ce que votre expérience personnelle vous inspire à propos de la gestion de la menace terroriste par le gouvernement ?

Il faut d'abord répéter que le risque zéro n'existe pas, tout comme l'infaillibilité en matière d'anti-terrorisme. Le travail qui est effectué par les personnes en charge de l'anti-terrorisme (fonctionnaires du renseignement, de police, magistrats, militaires...) mérite notre reconnaissance car il est ingrat, demande un dévouement de tous les instants pour des résultats malheureusement très aléatoires.

Cela étant, je trouve que ce gouvernement a été excessivement dans une logique de communication et de diversion plus que d'action. Diversion car on nous a expliqué qu'il n'y avait pas eu de "failles", que les tragédies successives étaient de la faute des dysfonctionnements belges ou européens. En somme nous n'avions rien à nous reprocher en termes de renseignement, de sécurisation, de législation...

Nous avons donc perdu du temps dans l'examen des dysfonctionnements, alors que chaque attentat en a pourtant traduit plusieurs, de Mohammed Merah (où il y eût une faillite du renseignement) à Saint-Etienne-du-Rouvray, qui a clairement mis en lumière un problème de suivi pénal d'un individu reconnu comme dangereux. Pour Nice, nous verrons les résultats de l'enquête, mais il y a eu un problème de sécurisation d'une manifestation. Face à chacune de ces failles, les gouvernements ont trop été dans une attitude de déni.

Diversion aussi sur le plan politique, avec plus de trois mois de débats stériles sur la déchéance de nationalité.

Enfin, diversion avec la "facilité" de la réponse militaire aux attentats, alors que l'anti-terrorisme c'est d'abord l'articulation optimale entre le renseignement, la police et la justice. Après chaque attentat, la première réponse publique de l'exécutif a été d'annoncer une énième "intensification des frappes" contre l'Etat islamique. Je ne suis pas certain que cet activisme soit de nature à diminuer la menace terroriste en France.

Vous parlez de stratégie de diversion. Pensez-vous que la demande de respecter l'unité nationale, renouvelée plusieurs fois, peut en être une forme ? Pensez-vous qu'il soit indigne de ne pas la respecter ?

Je ne pense pas que qui que ce soit ait rompu l'unité nationale. Cette unité a été respectée lorsqu'il s'est agit de se recueillir, de rendre hommage aux victimes et de respecter le travail de ceux qui nous protègent au quotidien. Pour autant, au-delà de la compassion et de l'émotion, nous avons un devoir de lucidité et donc de débat, de proposition, qui concerne tous les responsables publics. Les victimes elles-mêmes l'exigent! 

Nous sommes tout de même la seule grande démocratie à avoir été frappée de façon récurrente par des attentats massifs et à n'avoir procédé à aucune remise en cause structurelle, notamment s'agissant du renseignement. Et celui qui vous le dit n'est pourtant pas un adepte des révolutions structurelles... Mais il faut s'interroger sur la façon dont les choses fonctionnent et sur les moyens de leur amélioration; or cela a été complètement éludé par le gouvernement.

Pour l'illustrer jusqu'à la caricature : le récent rapport de la Commission d'enquête parlementaire prône 38 propositions pour lutter contre le terrorisme. Je ne les partage pas toutes, mais le gouvernement a répondu en disant : "circulez il n'y a rien à voir"... C'est une forme de diversion, de refus du débat et de la remise en cause qui est dangereuse.

La déclaration d'Alain Juppé après l'attentat de Nice ("Si tous les moyens avaient été pris, le drame n’aurait pas eu lieu") a pu surprendre et sembler maladroite. Comment expliquez-vous qu'il y ait un étonnement lorsqu'il tient des propos aussi offensifs ? Alain Juppé est-il à l'aise avec cette position ?

Beaucoup de commentateurs ou acteurs de la vie publique véhiculent une image d'Alain Juppé sans regarder réellement ce qu'il dit : Alain Juppé serait un peu "mou du genou", promouvant naïvement une "identité heureuse" irréaliste... Il est vrai qu'Alain Juppé refuse les postures martiales et "va-t-en guerre", mais cela n'empêche ni la lucidité du constat, ni la détermination, en particulier dans la lutte contre le terrorisme. Ceux qui ont paru surpris sont souvent ceux qui ont véhiculé ces images, encore une fois déconnectées de la réalité de ce qu'Alain Juppé pense et propose. Je le côtois sur ces sujets, et sa fermeté, son intransigeance, n'ont jamais été mises en question. La réaction de Nice a pu surprendre par sa virulence, mais elle s'explique aisément au regard du contexte sécuritaire et non pour je ne sais quelles raisons tactiques.

N'oublions pas que la présentation complète du rapport Fénech a eu lieu trois jours avant l'attentat de Nice. Alain Juppé a suivi attentivement ces conclusions et s'est exprimé pour expliquer qu'un certain nombre des propositions parlementaires correspondaient à celles qu'il avait faites six mois auparavant. En particulier sur des points cruciaux, ceux du renseignement territorial et du rôle de la gendarmerie. Il estime que cette nouvelle expression forte pour des mesures qui s'imposent doit être prise en considération par l'exécutif, et il communique en ce sens. Mais le ministre de l'Intérieur balaye d'un revers de main ces propositions, et trois jours après survient l'attentat de Nice. Alain Juppé, comme beaucoup de ceux qui suivent très précisément ces questions, est exaspéré de constater que la menace se matérialise une nouvelle fois de façon dramatique alors que le débat est éludé depuis des mois. Sa réaction s'explique par ce contexte beaucoup plus que par une quelconque tactique politicienne.

Les enquêtes montrent pourtant que Nicolas Sarkozy est plus crédible qu'Alain Juppé sur la question de la gestion du terrorisme et de la réponse sécuritaire... N'y a-t-il pas un problème politique à résoudre pour lui, alors qu'un sondage Ifop pour Atlanticomontre que ce thème passe devant le chômage dans les principales préoccupations des Français (voir ici) ? Comment le résoudre à l'approche de la primaire et de la présidentielle ?

La marque de fabrique de Juppé est dans l'élaboration d'un programme de redressement global du pays. On ne segmente pas l'approche, et le même esprit de crédibilité prévaut, que ce soit sur les thèmes sociétaux, économiques ou régaliens. Ce qui compte, c'est de ne pas être dans une posture. Cela peut bien sûr être perçu comme une vulnérabilité de court terme dans une confrontation électoraliste. Mais ce que l'on propose, on aura à le mettre en œuvre. Le public de la droite et du centre qui sera appelé à voter à la primaire nous adresse un reproche permanent : qu'est-ce qui nous garantit que ce que vous n'avez pas fait à l'époque où vous étiez au pouvoir, vous le ferez ? Ce souci de crédibilité est au moins aussi fort que le besoin d'affichage. La désillusion est forte, la défiance est croissante et nous ne pouvons donc pas nous permettre de proposer des choses que nous ne pourrons pas mettre vraiment en œuvre. 

Nous pouvons donc paraître parfois un ton en deçà par rapport à la virulence de certains mais cela correspond à la personnalité du candidat Juppé autant qu'au souci d'élaborer des propositions que l'on pourra effectivement appliquer.

Par ailleurs, inutile de se cacher qu'une forme de propagande a été faite contre Alain Juppé. Malgré nos efforts, un certain nombre de caricatures ont été véhiculées le concernant, par rapport notamment à sa détermination sur les problèmes régaliens ou sur sa position vis-à-vis de l'islam. Il s'agit de mensonges et de procès d'intention inadmissibles. Juppé a pris, sur tous ces sujets régaliens, des positions à la fois extrêmement fortes et réalistes.

Plusieurs journalistes font état de tensions dans l'équipe de campagne d'Alain Juppé à cause de la baisse dont il peut souffrir dans les sondages. Comment cette baisse est-elle vécue ? Comment l'analysez-vous ?

Je ne ressens pas du tout ces tensions. L'équipe continue de travailler sérieusement, et ne se laisse pas aller à une communication tout azimuts au gré de l'actualité à base de slogans et de postures. 

Sur les sondages, il faut relativiser la "baisse" d'Alain Juppé. Elle est surtout liée à un rééquilibrage inévitable du fait du calendrier de la campagne qui est en train de se matérialiser alors que la primaire restait très virtuelle jusqu'à présent.

Je pense aussi que certaines séquences ont pu être favorables à certains "candidats" eu égard à leurs fonctions. Pour autant, les enquêtes qualitatives montrent qu'Alain Juppé peut compter sur un socle tout à fait solide sur les qualités qui lui sont prêtées et sur sa crédibilité.

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