Armes, insurrections, bandes criminelles : mythes, fantasmes et mensonges post-émeutes<!-- --> | Atlantico.fr
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De telles émeutes peuvent se prévenir, par un travail de renseignement équivalent à un "sismographe social", au cœur même des pires zones hors contrôles, dits "quartiers sensibles" dans la novlangue officielle.
De telles émeutes peuvent se prévenir, par un travail de renseignement équivalent à un "sismographe social", au cœur même des pires zones hors contrôles, dits "quartiers sensibles" dans la novlangue officielle.
©PATRICK HERTZOG / AFP

Bilan

Éviter la négation ou les paniques nécessiterait que le ministère de l'Intérieur, et le ministre, instruisent l'opinion, au lieu de mentir.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Elle nous surplombe et souvent, nous écrase : l'infosphère, concept dû au philosophe Michel Maffesoli, définit l'addition des élites du faire : élus, hauts fonctionnaires, grands patrons (industrie ou finance) ; et du dire : savants, intellectuels, écrivains, magistrats, journalistes. Symbiose des milliardaires et directeurs de médias, et de ceux qu'ils dotent du "pouvoir de la parole" : "intellos-vus-à-la-télé" politiciens, grands commis, journalistes, artistes, etc., ce dispositif gouverne et informe à la fois : pouvoir majeur.

De même que le marxisme-léninisme n'entendait rien à l'économie réelle, l'infosphère, à l'idéologie importée de Californie, ne comprend rien au crime et aux criminels. Passant de la négation du réel criminel à degrotesques paniques, et quel que soit le mouvement de son balancier mental, l'infosphère divague sur l'illicite.

La preuve en trois questions-réponses.

• Y a-t-il eu "insurrection" en France, fin juin-début juillet 2023 ? Non. Une insurrection concertée est clairement politique, on trouve ses traces dans l'histoire. Au XIXe siècle, son texte majeur est "Instructions pour une prise d'arme" du révolutionnaire Auguste Blanqui. Pour la première moitié du XXe siècle, c'est "L'Insurrection armée", manuel publié par le Komintern (Internationale communiste) en 1931 ; la même année, "Technique du coup d'État" de l'italien CurzioMalaparte. Lors des guerres de libération des années 1960, le "Manuel de guérilla urbaine" du gauchiste brésilien Carlos Marighella.

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Rien de tel lors d'émeutes type automne 2005 ou début de l'été 2023. Bien plutôt, pour quelque motif ou prétexte, l’émeute spontanée, propagée de quartier en quartier, d’individus agrégés en meutes : quelques heures ici, un jour là : le scénario d’octobre-novembre 2005, qui par secousses sporadiques, dura trois semaines. Pour 2023, avec prudence, on aura la durée d'une décade.

De telles émeutes sont symboliques et anomiques ; elles visent à casser, incendier, ravager tout ce que représente la société haïe par ces émeutiers : ses institutions (mairies, commissariat), installations sociales (bâtiments culturels et sportifs), son commerce, ses moyens de déplacement. Surtout, ses lieux d'enseignement, où s'apprend la culture du peuple détesté. D'ordinaire, n'en déplaise à M. Darmanin, ces émeutiers sont issus de minorités immigrées. Celui qui a été tué, origine ou prétexte de l'agitation, est l'un des leurs : ces jeunes le vengent, manifestation primaire de la loi du talion.

Nulle coordination ici, mais la pratique commune de réseaux sociaux jouant le rôle du vent dans les incendies de forêt ; grâce à lui, et à eux, "L'étincelle peut embraser toute la plaine (Mao). Quand une telle émeute démarre, nul ne peut la contrôler : il faut soit la réprimer, soit laisser passer sa rage. Bien sûr, les travailleurs sociaux ou "grands frères" et figures associatives accourant alors à la télé affirmer que eux sauraient, pourraient... sont des escrocs, en quête d'une prébende en mode chantage ("si vous ne payez pas, ce sera pire").

De telles émeutes peuvent se prévenir, par un travail de renseignement équivalent à un "sismographe social", au cœur même des pires zones hors contrôles, dits "quartiers sensibles" dans la novlangue officielle. Pour cela, il faut y être présent en permanence, ou y recruter sans cesse des indicateurs. Le ministère de l'Intérieur ne fait ni l'un, ni l'autre.

• Les armes de guerre vont-elles envahir la France et servir à affronter l'État ? Les armes de guerres aux mains de gangs, surtout de trafiquants de drogues, servent à des guerres de territoires ou à des règlements de comptes entre bandits. Ces armes sont étroitement contrôlées par des caïds et seulementemployées dans ces guerres de gangs (23 morts à Marseille, janvier-mai 2023). 

Les caïds qui les achètent et ordonnent le tir, variante, les tueurs à gages qu'ils emploient, connaissent bien la société et les instances de répression. Ils ont des avocats bien payés et,eux, des indicateurs dans la haute société, qu'ils fournissent en "escortes" de tous sexes et en cocaïne. Partout et toujours, le milieu criminel contrôle au mieux le marché du vice : il en retire de l'argent, bien sûr, mais aussi une connaissance fine des lieux du pouvoir licite, ses réactions, craintes, etc. Ces caïds ne veulent pas gouverner mais s'enrichir. Leur constantestratégie est l'évitement, jamais le choc frontal avec l'appareil d'État. Seule inquiétude : l'effondrement récent - amusante coïncidence : depuis le début de la guerre en Ukraine - du prix des armes de guerre, type kalachnikov, de ± 2 500 euros à ± 300 euros : des "chiens fous" ou amateurs non contrôlés pourront désormais s'en offrir.

• Les gangs opérant en France peuvent-ils muter en cartels à la Mexicaine ? Inepte : les "cartels" du Mexique sont des armées criminelles de milliers, voire de dizaines de milliers d'hommes puissamment armés, encadrés par d'ex-policiers ou militaires issus de la région : Mexique, Amérique centrale, etc. Ils vivent du gigantesque marché de toxicomanes des États-Unis ; derniers chiffres officiels, ce marché américain comptait, toutes drogues et niveaux d'addiction confondus, un peu moins de 60 MILLIONS d'individus. D'où, des milliards de dollars par an pour financer ces armées criminelles. Un tel marché n'existe bien sûr pas en France : ± 600 000 cocaïnomanes, la moitié d'héroïnomanes, deux millions de fumeurs de hash. Cela finance des gangs, les plus robustes à Marseille, rien de plus.

Éviter la négation ou les paniques nécessiterait que le ministère de l'Intérieur, et le ministre, instruise l'opinion, au lieu de mentir ou raconter des sornettes. On pourrait rire de M. Darmanin, dont la véracité équivaut à celle des élèves du Lycée Papillon "Le cheval de bois, le pou la belle-mère, qui bave sur sa proie et puis qu'avale tout". Mais son cas est plus sinistre. Du fait de son ambition dévorante, la simple réalité des faits, la réputation et la crédibilité de son ministère, sont toujours écrasés par sa tactique : ce que je dis à l'instant sert ma carrière future, rien d'autre.

On ignore bien sûr qui lui succédera ; mais d'ores et déjà une chose est sûre : le nouveau ministre affrontera la tâche immense de ressusciter la crédibilité, la réputation d'un ministère majeur, que M. Darmanin aura détruite.

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