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Arabie Saoudite : une poudrière 
sur le point d'exploser ?
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Jour de colère

"Jour de colère" en Arabie Saoudite ce vendredi 11 mars. Un appel a été lancé sur les réseaux sociaux pour manifester en exigeant une réforme profonde de la société saoudienne. Le premier pays producteur de pétrole au monde va-t-il connaître lui-aussi une révolution ? Maître de conférence à Sciences Po, Stéphane Lacroix nous explique la complexité de la situation.

Stéphane Lacroix

Stéphane Lacroix

Stéphane Lacroix est maître de conférences à Sciences Po.

Il a enseigné dans différentes universités étrangères, notamment à Stanford (Etats-Unis).

Son dernier ouvrage s'intitule Les islamistes saoudiens. Une insurrection manquée (Presses Universitaires de France, 2010).

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Stéphane Lacroix nous racontait hier les problèmes de succession à la tête de l'Arabie Saoudite, il nous parle aujourd'hui des risques de révolution au sein du pays.

Atlantico : Pensez-vous que l'Arabie Saoudite puisse connaître des révoltes semblables à celles survenues en Tunisie ou en Égypte ?

Stéphane Lacroix : A priori, sur le court terme, c’est peu probable. Le pouvoir en place est plus solide qu’en Tunisie ou en Égypte. La famille royale bénéficie de l’argent du pétrole et a donc les moyens de calmer les ardeurs de révolte du peuple. Le roi a ainsi annoncé le 23 février dernier l’octroi de 36 milliards de dollars en aides sociales à la population. Et puis, il faut souligner qu’à mesure que les révolutions arabes s’étendent, le prix du pétrole augmente, ce qui renforce le pouvoir en Arabie Saoudite...

Par ailleurs, le régime saoudien est plus légitime qu’en Égypte ou en Tunisie, car la religion le rend légitime : le pouvoir se présente comme protecteur de l’islam, et le roi porte le titre de gardien des lieux saints.

Toutefois, il existe aujourd’hui des mouvements de contestation d’ampleur limitée, mais qui pourraient former un ferment de révolte. Cela correspond, d’une part, à l’émergence dune nouvelle génération politique qui ne se reconnait pas dans la sphère politique traditionnelle : ils veulent du changement et sont actifs sur Internet, via les réseaux sociaux, et dans des salons de discussion à Riyad. Ils sont donc présents, mais en nombre bien plus limité que ce que l’on peut voir en Égypte.

Ce sont certains d’entre eux qui ont appelé à des journées de mobilisation le 11 mars (« jour de colère ») et le 20 mars. Ces appels en sont restés pour l’instant à l’échelle des réseaux sociaux (la page appelant au «jour de la colère» compte environ 3000 inscrits), mais n’ont été repris par aucun groupe politique organisé sur le terrain, puisqu’il n’existe aucun parti autorisé en Arabie Saoudite…

En parallèle à ce début de révolte, il existe un mouvement de réforme démocratique au sein des élites saoudiennes. Celui-ci est né à la fin des années 1990. Il s’agit essentiellement d’intellectuels, pas d’hommes de la rue. C’est un mouvement hétéroclite qui regroupe des personnalités de sensibilité tant libérale qu’islamique : ils se retrouvent autour de leur demandes de monarchie constitutionnelle, mais restent modérés dans leurs méthodes. Leur action consiste surtout à soumettre des pétitions au pouvoir. Le mouvement s’est accéléré récemment : au moins cinq pétitions ont été envoyées et rendues publiques depuis février.

Par ailleurs, dans la province orientale – qui constitue la province pétrolière - les chiites, qui représentent un peu plus de 10% de la population du royaume et sont victimes de discriminations de toutes sortes qui font d’eux des sujets de seconde zone, ont recommencé à manifester ces dernières semaines. Le mouvement semble dans ce cas influencé par les événements que connaît le royaume du Bahrein, le pays voisin, où des chiites s’opposent également à un pouvoir sunnite. Cela indique une radicalisation de la rue chiite qui considère que la logique de conciliation avec la famille royale qui a prévalu depuis une quinzaine d’années ne lui a pas apporté grand-chose.

Si ces différents groupes – jeunes connectés sur les réseaux sociaux, intellectuels réformistes, chiites - s’unissent, éventuellement en lien avec l’une des factions de la famille royale qui verrait là un moyen de tirer son épingle du jeu dans les luttes de succession, le mouvement de révolte pourrait prendre de l’ampleur.

En ce sens, les journées du 11 et du 20 mars vont être décisives : si une masse critique de Saoudiens participe, on peut imaginer qu’un certain nombre de tabous tombe et que cette coalition de différents secteurs de contestation prenne forme et en vienne, in fine, à imposer des changements. Mais, encore une fois, il convient de rester extrêmement prudent, car il est tout de même très possible que ce ne soit là qu’un coup d’épée dans l’eau.

Si le pouvoir était remis en cause, quelles seraient les conséquences ?

Elles seraient bien plus importantes que tout ce qu’on a vu jusqu’à présent car l’Arabie Saoudite est un poids lourd de la production pétrolière, autrement plus important que la Libye, par exemple. Les prix du pétrole pourraient augmenter, tandis que toute instabilité prolongée poserait à l’Occident un vrai problème d’approvisionnement énergétique.

Par ailleurs, d’un point de vue plus géopolitique, l’Arabie Saoudite est le partenaire le plus ancien et le plus solide des États-Unis : c’est l’allié stratégique par excellence dans la région. La politique étrangère américaine et, par-delà, tous les équilibres politiques au Moyen-Orient s’en trouveraient bouleversés.

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