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Après Mitterrand face à Reagan-Thatcher ou Chirac face à Blair-Schroëder, le quinquennat Macron est-il à nouveau parti pour une France totalement à contre-courant ?
©Odd ANDERSEN / AFP

Jet lag

​Après la victoire de Margaret Thatcher en 1979, de Ronald Reagan en 1980, orientant le monde anglo-saxon vers un virage néolibéral, la France faisait le choix de François Mitterrand. En 2017, la France est une fois encore à contre courant de la tendance souverainiste et sociale du monde anglo-saxon.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : ​En 2016, les électeurs britanniques ont pris ​la ​voie du Brexit, un choix justifié principalement par une volonté​ de retour à la souveraineté du Parlement. ​En 2017, une campagne électorale largement consacrée au modèle social a pu voir une progression forte du parti de Jeremy Corbyn. Derrière ce double axe - souveraineté, social - qui peut également se retrouver derrière la campagne de Donald Trump, comment expliquer un pouvoir en totale contradiction avec ces thèmes en France ?

Christophe Bouillaud : Il se trouve que François Hollande a accédé au pouvoir en 2012 sur un agenda ressenti par l’électorat, en particulier celui de gauche, comme largement similaire à celui qu’ont promu ensuite un Jeremy Corbyn au Royaume-Uni ou un parti comme Podemos en Espagne. Il faut se rappeler qu’un Stéphane Hessel, l’auteur du pamphlet Indignez-vous !, appelle alors à voter Hollande. Beaucoup de gens  s’illusionnent alors sur un PS apte à défendre la justice sociale. Or, une fois arrivé au pouvoir par ce biais de cette promesse de lutter contre les conséquences sociales de la grande crise économique commencée en 2007,  promesse dont le discours du Bourget restera à jamais le symbole, François Hollande a fait exactement le contraire aux yeux de la plupart des électeurs, tout particulièrement ceux des classes populaires. Le PS, la gauche de gouvernement en général, aux yeux des électeurs, en particulier ceux de gauche ou des classes populaires, se sont donc déconsidérés, d’où la perte brutale de popularité dès l’automne 2012 et les défaites électorales successives lors des élections intermédiaires. La situation est à la fin si sombre du point de la popularité du pouvoir que François Hollande ne peut même pas se représenter – une première dans l’histoire de la Vème République.

Du coup, lorsqu’arrive la campagne présidentielle de 2016-17, la droite se trouve en position de force. Le candidat issu des primaires de la droite, François Fillon, propose cependant une vision de la politique économique et sociale totalement aveugle, ou tout au moins indifférente, aux inégalités sociales qui augmentent dans le pays. On peut se rappeler à ce propos le moment où l’économiste de France 2, François Lenglet, lors d’une émission où F. Fillon est l’invité, explique aux téléspectateurs par a+b que les propositions Fillon en matière fiscale reviennent à donner vraiment beaucoup aux ménages aisés, et où ce dernier ne dément pas les calculs de ce dernier. Du coup, il n’a pas été trop difficile par contraste à Emmanuel Macron, mais aussi bien sûr à Jean-Luc Mélenchon de manière plus radicale, d’apparaître comme bien plus en phase avec les attentes majoritaires des Français en matière de justice sociale. Emmanuel Macron, plus social que Fillon et moins extrémiste bien sûr que Mélenchon ou Le Pen, va en profiter pleinement pour être en tête au premier tour, et être finalement élu face à la candidate du FN au second tour.

 Il se trouve qu’en réalité, ce n’est donc que par contraste avec le programme « ultra » de Fillon, promettant du sang et des larmes à tous les gens ordinaires n’étant pas assujetti à l’ISF, que  celui de Macron a paru plus social. Pris en lui-même, on se rendra pourtant bien vite compte qu’il est effectivement un programme qui suppose pour rétablir la compétitivité  des entreprises françaises de poursuivre sur la voie de la « dévaluation interne » choisie par François Hollande dès l’automne 2012 (rapport Gallois), et qu’il n’est pas très douloureux pour les Français les plus aisés, tout au moins ceux qui sauront suivre le mouvement. Ce programme ne vise en effet pas à réduire les inégalités présentes de revenu ou de patrimoine, celles qui importent effectivement aux Français, mais seulement à rétablir à terme l’égalité des chances  de chaque enfant ou jeune d’accéder au sommet de la hiérarchie des revenus. Tout un chacun doit pouvoir devenir millionnaire par son effort…  Cette vision méritocratique des choses ne doit pas être confondue avec un programme de lutte contre les inégalités présentes de revenus ou d’accès aux biens sociaux essentiels (santé, retraite, etc.). L’égalité des chances n’est pas l’égalité des résultats.

​Après la victoire de Margaret Thatcher en 1979, de Ronald Reagan en 1980, orientant le monde anglo-saxon vers un virage "néolibéral, la France faisait le choix de François Mitterrand. La France est-elle structurellement "à l'envers" du monde anglo-saxon, ou est-ce que la victoire d'Emmanuel Macron pourrait masquer une tendance différente au sein du pays ? La personnalité d'Emmanuel Macron a-t-elle pu faire la différence, au-delà, de ces tendances politiques ?

Non, en réalité, les élites françaises ont toujours été en phase avec les évolutions du monde occidental depuis 1945. On pourrait même presque dire que c’est l’inverse : après tout, Raymond Barre, ancien Commissaire européen, et « meilleur économiste de France », devient Premier Ministre dès 1976, et il commence donc à appliquer un programme d’ajustement néo-libéral de l’économie française avant même l’élection de Margaret Thatcher (1979) ou de Ronald Reagan (1980). Les historiens de la politique économique menée par le PS au début des années 1980 montrent par ailleurs que la phase d’opposition à cette tendance occidentale est en fait très courte. Le fameux « tournant de la rigueur » de 1983 est trompeur : dès la fin de l’année 1981, certains responsables socialistes abandonnent toute velléité de rupture avec le nouvel ordre international et européen néo-libéral. Les électeurs de gauche ne s’y trompent d’ailleurs pas, car, dès 1983, les élections municipales constituent une sévère défaite de la gauche, tout comme les élections européennes de 1984.

Par contre, ce qui est vrai, c’est que les élites socialistes françaises ont eu tendance à minimiser ou à occulter leur rôle dans le grand tournant néo-libéral qu’a pris l’Occident entre le milieu des années 1970 et la fin des années 1980. Ils ont tenu souvent un double langage, d’où cette impression d’un déphasage entre les pays anglo-saxons, où les choses furent présentées crûment, et notre pays, où les élites socialistes ont rusé avec leurs propres électeurs.

De fait, Emmanuel Macron tend à renouveler et rénover cette tactique. D’une part, il faut mettre à son crédit une grande dose de clarté sur la nature néo-libérale de son projet. Il a dit et redit qu’il voulait réformer en profondeur le code du travail pour lutter contre le chômage de masse et redonner de la compétitivité aux entreprises françaises. C’est là une vision complètement néo-libérale, qui rompt avec toutes les pudeurs ou faux-semblants socialistes. D’autre part, ou « en même temps » pour le paraphraser, il a réussi à apparaître, comme je viens de le dire, comme moins destructeur du « modèle social français » que François Fillon.  Il a réussi ce tour de force, parce qu’il sut se détacher au bon moment de François Hollande auquel il a pu attacher tous les blâmes de ce quinquennat. C’est moins sa personnalité qui a compté, que le timing et l’incapacité des médias à expliquer son rôle depuis 2012.

Dès lors, quels sont les risques que présente la situation actuelle en France ?

A court terme, sauf immense surprise lors des législatives, la situation politique devrait être totalement stabilisée par une majorité parlementaire pour le gouvernement. E. Macron pourra mettre en œuvre les points principaux de son programme. S’il réussit à faire accélérer les choses suffisamment, les syndicats auront vraiment du mal à réagir en plein été. Les congés payés et les vacances scolaires sont tout de même une arme puissante contre les mobilisations sociales. Par contre, l’automne peut être plus agité.

A moyen terme, à l’horizon d’un an, les choses risquent d’être plus compliquées. En effet, l’entrée en vigueur des réformes aura des effets contradictoires. D’un côté, E. Macron veut redonner du pouvoir d’achat aux salariés du privé en supprimant leurs cotisations chômage et maladie, tout en augmentant la CSG. Il y aura un gain certes. Mais, de l’autre côté, toute la réforme du code du travail vise à permettre aux entreprises de baisser drastiquement le coût du travail. Si les entreprises se mettent pour beaucoup à utiliser ces nouvelles possibilités de moins disant salarial, je ne donne pas cher de la popularité du gouvernement dans les classes populaires. François Hollande avait déjà beaucoup pâti de la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires. Son « héritier », pour reprendre un terme polémique à son encontre de la droite et de l’extrême-droite, risque bien de se créer un piège similaire s’il veut ramener par ce biais les salaires français des exécutants vers des niveaux très compétitifs à la slovaque, ou simplement à l’espagnole. Il faut ajouter pour noircir le tableau la bulle immobilière en cours qui ne manquera pas de faire augmenter les loyers, la principale dépense contrainte des classes populaires.

Plus généralement, l’absence de toute mesure forte pour réduire les inégalités de revenu ou de patrimoine finira par nuire à la popularité d’Emmanuel Macron.  Les classes populaires, qui ne sont déjà pas beaucoup « en marche » actuellement, risquent à terme d’être totalement à l’arrêt. 

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