Après les réquisitions Duflot, la bedroom tax britannique : les méthodes communistes de gestion du logement ont-elles vraiment fait leurs preuves pour faire autant d’émules ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En proposant des logements en-dessous du prix du marché, le système du logement social engendre nécessairement une demande supérieure à l’offre.
En proposant des logements en-dessous du prix du marché, le système du logement social engendre nécessairement une demande supérieure à l’offre.
©Reuters

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De la France au Royaume-Uni, les gouvernants sont persuadés de connaître la solutions pour résoudre tous les problèmes de logement. Parc dit "social", réquisitions, taxations, les mesures sont nombreuses, mais leur efficacité plus que discutable.

Vincent Bénard

Vincent Bénard

Ingénieur et économiste, Vincent Bénard analyse depuis plus de 15 ans l’impact économique et sociétal des décisions publiques, pour le compte de plusieurs think tanks et partis politiques promouvant les libertés économiques et individuelles.
 
Il est l'auteur de deux ouvrages “Logement, Crise Publique” (2007) et “Foreclosure Gate, les gangs de Wall Street” (2011).
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Atlantico : Vous semble-t-il légitime que l'État se donne pour mission la gestion d'un parc immobilier devant accueillir les plus modestes ? Est-ce son rôle naturel et cela peut-il être efficace ?

Vincent Bénard : Ce serait légitime si cela avait la plus petite espérance de se montrer efficace. Or, cela est impossible. Quand bien même une offre subventionnée de logement public serait gérée honnêtement – et de nombreux scandales d’attributions privilégiées ou de gestion sulfureuse d’offices HLM nous ont montré que cet idéal est loin d’être atteint – elle ne pourrait pas engendrer plus d’avantages que d’inconvénients.

Pour faire simple, en proposant des logements en-dessous du prix du marché, le système du logement social engendre nécessairement une demande supérieure à l’offre. Il génère ainsi sa propre pénurie, obligeant le propriétaire public à gérer une file d’attente. Par conséquent, l’attribution de logements sociaux obéit à une logique politique qui vire le plus souvent au clientélisme. Le clientélisme, outre les attributions au "piston",  se traduit d’abord par le fait que l’attribution d’un logement n’est jamais remise en cause lorsque les revenus du ménage augmentent. Celui-ci a intérêt à rester coûte que coûte dans ce logement qui lui a été octroyé quand ses revenus étaient plus faibles, pour ne pas avoir à payer un loyer double dans le secteur privé. 

Le résultat est que plus du tiers des logements subventionnés reste occupé par des familles non modestes voire très aisées, alors que le secteur privé de bas de gamme loge plus de 40% des ménages modestes : un cas d’école de mauvaise allocation des ressources par un État ! Pire encore, l’État rationne administrativement l’une des composantes essentielles de la production de logements, le foncier, au nom d’externalités environnementales dont il ne se donne jamais la peine d’analyser le bien fondé. Résultat, une part importante de ce foncier est accaparée par les projets publics, réduisant à la portion congrue le terrain accessible aux bâtisseurs privés, contribuant un peu plus à l’augmentation des prix dans ce secteur, fragilisant un peu plus les ménages modestes qui n’arrivent pas à entrer dans le secteur social ! Bref, l’État a créé une situation ubuesque où il fait artificiellement monter le prix d’une ressource essentielle, puis prétend la subventionner pour aider ceux qui ne peuvent payer ce prix gonflé, et enfin distribue la moitié des subventions aux plus aisés.

Et pour ce prix déjà très élevé, l’État a construit un parc, en partie de très mauvaise qualité, regroupé dans des quartiers qui ont, de fait, concentré la pauvreté, et qui sont devenus plus de 400 zones de non droit. Les problèmes du parc public locatif débordent donc largement du cadre de la seule économie du logement et créent de nombreuses externalités sociétales qui nous coûtent bien plus que de l’argent.  

De multiples dispositifs incitatifs ou contraignants, du droit au logement opposable (DALO) aux réquisitions Duflot, cherchent à pousser les propriétaires à mettre leurs logements vides à la disposition de locataires, sans grand effet. Pourquoi cela ne fonctionne-t-il jamais ?

Le “droit au logement”, dans son acception sémantique pure, est une impossibilité physico-économique : si tout le monde se croit habilité à occuper un logement sans en payer le prix, cela veut dire que le logement doit être “gratuit”. L’État devrait donc intégralement prendre en charge le logement de la population. Les pays de l’Est ont essayé de le faire. Cela a abouti à des conditions de logement plus que misérables pour la plupart des ménages. A Moscou, 24% des logements étaient occupés par deux familles (“Komunalka”), avec une moyenne de 9m2 par personne ! Sans parler de la qualité catastrophique des logements produits à l'époque communiste, qui feraient passer nos pires HLM pour des résidences de standing. Là encore, c’est un simple problème d’offre et de demande : quand le prix apparent d’un bien, que ce soit le logement ou le pain, est arbitrairement fixé trop bas (en l’occurrence, gratuit), l’offre ne peut évidemment pas s’adapter, la pénurie s’ensuit. 

La version française du DALO n’est évidemment pas si extrême, le législateur n’étant pas stupide. En l’état actuel de la législation, il s’agit d’un simple outil de gestion de la file d’attente du logement social visant à essayer de remettre en tête de priorité les ménages vraiment en difficulté. Avec des résultats plus que médiocres, comme le rapport des sénateurs Dilain et Roche l’a constaté en mai 2012 : il ne suffit pas de proclamer un "droit au logement" pour faire jaillir du néant les logements manquants !

Quant à la réquisition des logements vacants, elle est une énième tentative de corriger par une disposition coercitive un dysfonctionnement des politiques publiques du logement. Aujourd’hui, la combinaison de rendement locatifs très faibles, d’une fiscalité hors de contrôle, et d’une protection abusive du locataire augmentant le risque, pour le loueur, de voir son logement perdre de la valeur,a transformé le logement, autrefois placement à rendement faible mais sans risque, en placement à rendement quasi nul et risqué ! Au lieu de s’attaquer aux raisons de ce triste état de fait, notre gouvernement tente de "punir" les propriétaires qui osent adopter un comportement rationnel face à la réalité : utiliser leur logement comme une réserve d’épargne, sans risquer de l’altérer par une location qui tournerait mal.

Cela ne marchera pas parce que cela envoie un "signal" de risque supplémentaire très fort aux bailleurs : si vous investissez dans un logement et que vous n’arrivez pas à le louer à des conditions vous permettant de rentrer dans vos frais, l’État pourra vous imposer des pertes supplémentaires en réquisitionnant votre bien. Mais qui peut être assez fou pour investir dans des conditions pareilles ? Cette mesure ne fera que renforcer la pénurie de bons logements. Alors on créera de nouvelles niches fiscales, qui créeront du mal investissement, et ainsi de suite...

Notons en outre que les logements "vraiment vacants", qui seraient mobilisables en zone dite tendue, sont au nombre de 400 000, grand maximum (selon un recensement de l'INSEE comptant les logements vides sans aucune raison connue), pour plus de 2 millions de familles sans logement, ou en logement de fortune, ou vétuste, ou surpeuplé. Quand bien même une réquisition n’aurait aucun effet pervers, et ce n’est pas le cas, ses résultats ne seraient absolument pas à la hauteur des enjeux.

La "Bedroom Tax" britannique vise à imposer une majoration importante du loyer des logements sociaux pour les locataires qui occupent un logement avec au moins une chambre inoccupée, pour les inciter à laisser leur place et leur proposer un logement plus petit. Que pensez-vous de cette mesure ? Est-ce pertinent, ou n'est-ce que l'aveu de l'incurie des autorités britanniques dans les gestion du parc social ?

Là encore, un  État tente de corriger par le bâton l’ineptie d’un système qu’il a lui même créé. Le problème, là-bas comme ici, est qu’un ménage, une fois attributaire d’un logement social public, souvent obtenu à la suite d’un parcours du combattant, sait que si ses revenus ou ses conditions familiales ont changé, il aura du mal à retrouver un logement identique. Alors il s’accroche à son logement social, y compris lorsque ses enfants quittent le domicile. L’étatiste qui sommeille en chaque politicien y voit un scandaleux gaspillage de ressources et veut faire payer une surtaxe aux ménages qui s’en rendent "coupables". D’où cette idée anglaise, dont on espère qu’elle ne traversera pas la Manche, d’une taxe sur l’espace "inoccupé".

Mais qui a créé un système totalement pervers où des locataires ont toutes les incitations du monde à s’accrocher à un logement plus grand que la moyenne ? Et puis d’abord, qui peut se permettre de juger que l’espace libéré par un enfant dans un logement "trop grand" ne peut pas retrouver une utilité différente ? Au nom de quel droit peut-on décider qu’un ménage a "trop d’espace" pour vivre ? Si le logement était privé, la question ne se poserait pas. Mais la nature "publique" du logement semble autoriser, dans l'esprit du législateur, toutes les dérives autoritaires.

Et qui sera pénalisé par le dispositif ? Les locataires modestes qui ne pourront ni payer la taxe et se maintenir dans leur logement social, ni s’offrir un logement privé, le foncier anglais étant au moins aussi rationné que le nôtre. En effet, le prix des logements dans les principales villes anglaises est un des plus élevé au monde rapporté aux revenus des ménages. Selon la presse britannique, 600 000 foyers pourraient souffrir grandement de l'entrée en vigueur de la Bedroom Tax. La Bedroom tax est à la fois une insanité économique et une injustice majeure, qui pourrait causer un tort considérable au gouvernement Cameron, tout comme la Poll Tax fit tomber Margaret Thatcher.

Bien que l'État semble relativement incapable de proposer une politique de logement efficace, ne serait-il pas socialement risqué de laisser au parc privé le monopole de la question du logement ? Le privé peut-il garantir un accès au logement pour tous ?

Quand on voit tous les effets pervers des politiques publiques du logement menées depuis 1919, on se dit que laisser sa chance au secteur privé ne serait pas du luxe. Au reste, de nombreuses cités parfois très importantes des USA (comme Dallas et Houston, plus de 6 millions d’habitants, les deux métropoles les plus dynamiques du pays) ont conservé un modèle du logement où la disponibilité foncière est importante, les permis de construire faciles à obtenir, et les baux locatifs très souples. Ce mode de fonctionnement a permis de maintenir une offre de logement abondante et bon marché. Ces villes de la "Middle America", malgré un crédit aussi fou qu’ailleurs, n’ont pas connu de bulle des prix.

Là-bas, les logements restent bon marché. En contrepartie, les plus-values spéculatives sont peu probables, et les logements anciens se déprécient avec le temps : ce sont donc ces "logements d’occasion" tout à fait privés qui servent de parc social aux familles modestes. On trouve facilement à Houston des logements spacieux de 3 à 4 chambres en assez bon état pour nettement moins de 100 000 dollars ! Mieux encore, Houston ou Austin ont été récemment primées par plusieurs enquêtes de la presse américaine pour leur qualité de vie, ce qui rend difficilement audibles les critiques qui affirment que la liberté foncière conduirait à l'émergence de villes anarchiques et invivables. 

La meilleure preuve de l’efficacité de ce modèle ? Après l’ouragan Katrina, 150 000 Louisianais, qui avaient pour la plupart tout perdu, se sont installés en quelques mois à Houston, parce qu’ils savaient que c’était là qu’ils trouveraient les meilleures conditions pour rebondir. Le marché du logement de la ville les a intégrés rapidement sans désordre majeur. Les institutions caritatives suffisent à gérer les quelques cas de détresse immobilière. Alors, oui, un marché privé libéré des entraves de l'État donnerait de bien meilleurs résultats sociaux que notre embrouillamini de pseudo-aides au logement.

Les initiatives publiques sur le logement sont-elles vraiment toutes à jeter ? Y a-t-il des dispositifs qui – tout en sortant de la logique du marché – pourraient se révéler efficaces et être impulsés par la collectivité ?

Passons en revue tout ce que les gouvernements (national et local) ont fait depuis 1914, et qui représentent aujourd'hui près de 35 milliards annuels de dispositifs divers d'aide au logement :

  • Le blocage intégral des loyers en vigueur jusqu’en 1948 a provoqué un désastre locatif majeur.

  • La nationalisation de la politique du logement social depuis 1955 a engendré les effets pervers que nous avons détaillés plus haut.

  • Nos lois renforçant progressivement la contrainte sur le foncier constructible ont créé les conditions d’une bulle foncière sans précédent qui obère le pouvoir d’achat des ménages.

  • Les lois protégeant les locataires (Quillot, Mermaz, etc...) ont petit à petit dissuadé l’investissement locatif privé, sauf...

  • ... Sauf niches fiscales, lesquelles ont coûté fort cher aux contribuables n’en bénéficiant pas, ont contribué à ruiner 50 000 ménages investisseurs, et n’ont pas visiblement donné de résultats probants.

  • Les aides directes aux ménages contribuent surtout à augmenter hors de proportion les loyers au m2 des petits logements.


Le résultat ? Lisez les rapports de la fondation "Abbé Pierre": chaque année, de plus en plus de ménages sont touchés par le "mal-logement", et même ceux qui parviennent à se loger décemment y consacrent une part croissante de leurs ressources, au détriment de leur niveau de vie général. En matière de logement comme dans bien d’autres, l’État n’est pas la solution mais bel et bien le problème.

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