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Après la pandémie du Covid-19, l’épidémie de mauvais payeurs s’étend dans le tissu des entreprises…
©ERIC PIERMONT / AFP

Atlantico Business

Le comité de crise sur les délais de paiement a une fois de plus mis en garde les dirigeants d’entreprise sur l’aggravation de la situation et l’apparition de nouvelles pratiques particulièrement toxiques.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le comité de crise mis en place le 23 mars pour surveiller l’évolution des délais de paiement a, cette semaine et une fois de plus, constaté une aggravation des pratiques et surtout l’apparition de nouvelles distorsions.

Depuis le démarrage du confinement à la mi-mars, le Covid-19 a provoqué une épidémie mauvais payeurs qui se diffuse comme le virus. Car il s’agit bien d’une épidémie pour laquelle nous n’avons ni vaccin, ni traitement. Quand l’entreprise qui se retrouve en difficultés retient le paiement de ses fournisseurs, elle transmet le virus à ses fournisseurs qui, à leur tour, se retrouvent malades de trésorerie.  La maladie des délais de paiement se diffuse ainsi.

Le médiateur des entreprises a donc alerté le monde des affaires sur une très forte augmentation des incidents de paiement en avril. Ce qui risque de menacer la procédure de déconfinement et la reprise des affaires

En temps normal, le médiateur des entreprises reçoit environ 60 requêtes par semaine sur des conflits entre deux entreprises ou avec une administration. Depuis début mars, avec le Covid-19, le nombre est passé à... 600 ! Autant dire que les bureaux chargés de la réanimation sont saturés. Ce qui est toxique, c’est que dans de nombreux cas les entreprises n’ont pas de raisons valables d’arrêter de payer leurs fournisseurs. Elles continuent de tourner, de produire et de vendre, ce que n’accepte pas le médiateur des entreprises, Pierre Pelouzet. “Ce sont des excuses qui peuvent tenir une semaine mais pas plus. “

Pour les praticiens de l’optimisation financière, ce type de pratiques a toujours existé. Denis Le Bossé, président du cabinet ARC, explique : « ça existait avant la crise et le confinement.  Le rapport de force qui permet aux mauvais payeurs d’imposer des retards de paiement à leurs fournisseurs, qui ont peur de perdre un marché, s’est en revanche fortement accentué. Ne négligeons pas le rapport de force et la dépendance économique qui font que des entreprises « acceptent » d’être payées très en retard de façon régulière, pour conserver un contrat, par peur de perdre un client. »

Les mauvais élèves se font discrets mais on finit toujours par les connaitre.

A Bercy, le comité de crise a identifié 14 grandes entreprises qui jouent le jeu sur leurs délais de paiement pour soulager leurs fournisseurs. C’est bon pour la fidélisation de leur écosystème mais c’est aussi bon pour leur image  : Bouygues Telecom, Danone, EDF, Enedis, Michelin, L’Oréal ou encore Orange. Mais aussi Action Logement, GDF, GRT Gaz, Iliad (Free), Jouve ou Système U.

Mais du côté des mauvais payeurs, les dossiers sont plus difficiles à instruire. Le médiateur vient de mentionner une trentaine de cas signalés “qui ont un impact structurel dans leur secteur d’activité et dont les achats cumulés représentent plusieurs centaines de millions d’euros”.

Pour Denis Le Bossé, qui connaît bien ces entreprises puisqu‘il les croise dans son travail quotidien, « ces 30 cas restent la partie immergée de l’iceberg.Il existe à mon avis plus de 200 000 entreprises environ qui sont victimes du rapport de force imposé ».

A Bercy, on hésite à dénoncer systématiquement les mauvais payeurs. Le Name and shame n’est pas de la première élégance. Mais le délai de paiement non plus. Alors pour Denis Le Bossé, il faudrait « privilégier un circuit court dans lequel les démarches n’incombent pas aux entreprises non payées, plus fragiles, il faudrait inverser les rôles ».

Denis Le Bossé propose une solution très simple : « imposer aux grandes entreprises et grosses PME d’établir un rapport sur leurs délais de paiement clients/fournisseurs (à l’instar, par exemple, du rapport de gestion établi par le commissaire aux comptes) et adresser ce rapport à une cellule dédiée à Bercy ou à la DGCCRF, de façon mensuelle. Cette déclaration aurait pour avantage de déclencher une prise de conscience et de responsabiliser les entreprises qui ne respectent pas leurs engagements financiers, intentionnellement ou non ».

Au cabinet de Bruno Le Maire, on regarde avec attention toutes les solutions qui éviteraient de montrer du doigt les mauvais payeurs, et notamment celles qui responsabilisent les acteurs. Bruno Le Maire examine par exemple de conditionner les aides publiques ou les garanties de prêts données par l‘Etat au respect des bonnes pratiques en matière de délais de paiement.

Le problème, c’est que les bonnes pratiques à respecter sont nombreuses. Lors de sa dernière réunion, le comité de crise a tenu à rappeler les disfonctionnements ou des pratiques anormales que tous les spécialistes connaissent. Des pratiques qui n’ont pas attendu le Covid-19 pour ravager le tissu des entreprises. Ça tient de l’inventaire à la Prévert :

- les pressions très fortes exercées pour revoir à la baisse les prix ou les tarifs pratiqués dans les contrats liant clients et fournisseurs, parfois de manière rétroactive et sous peine de ne pas pouvoir concourir à un prochain référencement,

- l’absence de validation de la facture pour service fait, ce qui allonge les délais de paiement,
- le retard dans l'émission des bons de commande, ce qui décale de fait la facturation,
- la demande de récupération par le client des décalages de charges obtenues par le fournisseur,
- la compensation entre sommes dues et sommes à recevoir alors que leurs échéances respectives en vertu des délais légaux sont différentes,
- la hausse unilatérale des tarifs pour des fournisseurs en position de force.

Problème d’incivisme parfois, de malveillance volontaire ou de maladresse, toujours est-il qu’à la sortie du confinement, ces infections perturbent grandement le tissus des PME –PMI qui sont, comme le rappelle le président de la CPME, les premiers employeurs du pays. Ces entreprises sont coincées. Malgré les aides de l’Etat, elles se retrouvent sans chiffre d’affaires, mais obligées néanmoins de payer leurs fournisseurs qui les harcèlent. Dans la dernière livraison de l’Usine nouvelle, Denis Le Bosse qui connaît bien ces entreprises-là, tire le signal d’alarme : « Pour ces entreprises, c’est la double peine. D’une part, elles sont difficilement éligibles à un dispositif de financement. D’autre part, elles vont devoir payer comptant leurs fournisseurs parce qu’elles ne bénéficient plus de garanties. Croyez-moi, je les connais, ces entreprises ne passeront pas l’automne”.

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