Après la catastrophe Air Asia, les experts commencent à dire qu'il est temps de revoir les critères de sécurité aérienne<!-- --> | Atlantico.fr
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La sécurité aérienne montrée du doigt
La sécurité aérienne montrée du doigt
©REUTERS/Stringer

Prudence, ou sinon...

L'accident de l'Airbus A320 d'Air Asia vient étayer les mises en garde de certains experts du transport aérien, selon lesquelles l'accroissement du trafic aérien, tout particulièrement en Asie, est trop rapide pour se faire dans des conditions de sécurité raisonnables.

Michel Nesterenko

Michel Nesterenko

Directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

Spécialiste du cyberterrorisme et de la sécurité aérienne. Après une carrière passée dans plusieurs grandes entreprises du transport aérien, il devient consultant et expert dans le domaine des infrastructures et de la sécurité.

 

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Atlantico : C’est une véritable série noire pour la compagnie Air Asia : après le crash en mer du vol QZ8501, c’est au tour d’un autre A320 de connaître des déconvenues. Celui-ci a dérapé lors de son atterrissage à Kalibo, aux Philippines, causant une grande frayeur chez les 159 passagers (voir ici). Sachant que les marchés chinois, indien et brésilien sont ceux qui croissent le plus rapidement dans le domaine du transport aérien, est-il temps de réévaluer les critères de sécurité ? Autrement, risque-t-on d’assister à de plus en plus d’accidents ?

Michel Nesterenko : Le problème n'est pas et n'a jamais été les critères de sécurité aux normes américaines (FAA) ou européennes (ECAC) qui offrent une sécurité du plus haut niveau. Le problème a toujours été que certaines compagnies pour maximiser les profits ou minimiser les coûts on rogné sur le budget de sécurité tant en ce qui concerne la formation et l'utilisation des pilotes que sur l'entretien ou maintien à niveau des avions. Dans ce secteur une toute petite différence produit vite de très grandes économies. Dans le transport aérien il est prouvé depuis des décennies que toute économie sur la sécurité entraîne tôt ou tard des accidents et des morts. Et puis il y a la Loi des Séries. Généralement, après deux ou trois incidents et un accident grave en courte séquence, les dirigeants de la compagnie prennent peur, le budget sécurité remonte et les incidents disparaissent jusqu'au prochain cycle. Avec l'explosion du trafic aérien sur les marchés émergents et les nombreuses nouvelles compagnies et en plus des autorités de tutelle débordées, il faut s'attendre, logiquement, à une multiplication des accidents et des morts.

En 1993, plus de 73% du trafic aérien, était assuré par les compagnies européennes et nord-américaines, selon Boeing, mais la proportion pourrait chuter à 38% d’ici 2033. Pour faire face à la demande exponentielle, les compagnies et les aéroports parviendront-ils à embaucher et former suffisamment les personnels embarqués et au sol ?

Pour les pilotes il y a non seulement la formation de base mais aussi l'expérience qui se chiffre en milliers d'heures de vol et en années. C'est l'expérience et une formation continue tous les 6 mois qui font un bon pilote. Il faut aussi former les mécaniciens et le personnel d'entretien, ce qui prend là aussi plusieurs années. Sans compter les contrôleurs aériens et les experts des autorités de tutelle. Pour faire face à cette demande brutale dans les pays ne disposant pas des moyens de formation, adéquats et suffisants, la solution incontournable est d'embaucher du personnel américain ou européen et d'adopter les règles FAA-ECAC sans changements. Sans oublier de payer des salaires aux normes internationales.

Pour pallier leur manque de pilotes qualifiés, les compagnies chinoises, notamment, ne risquent-elles pas de débaucher des pilotes européens et nord-américains en grand nombre ? Quels dangers cela fait-il planer sur notre sécurité ?  

La Chine n'ayant pas des secteurs aviation privée, aviation commerciale et aviation militaire développés, ne pourra pas répondre à l'explosion de la demande de personnel expérimenté en cherchant uniquement sur le marché national. Il faudra faire appel à du personnel étranger et il faudra abandonner le Chinois comme langue unique en imposant l'anglais comme langue principale. C'est la langue qui représentera un obstacle majeur. La bonne communication dans le cockpit étant le premier gage de sécurité. Il faut aussi pouvoir communiquer avec le personnel du sol et les contrôleurs aériens. Les Pilotes asiatiques qui font déjà des vols chaque jour sur l'Europe et les USA sont déjà familiarisés avec l'anglais. Mais c'est le personnel en Chine qu'il faudra former. Si la Chine débauche en Europe il faudra s'attendre à une inflation sur les salaires donc un effort d'économies plus grand pour ne pas faire monter le prix du billet qui se doit de rester compétitif. C'est donc l'entretien et la mise au standard qui prendront du retard.

Après l’Asie, ce sera au tour de de l’Amérique latine et de l’Afrique de connaître une explosion du nombre de lignes aériennes. Compte tenu de cette réalité, que doivent faire les compagnies et les Etats ?

L'expansion du trafic en Amérique latine est beaucoup plus graduelle que celle de l'Asie et cette expansion est déjà en cours. La masse de la population concernée est elle-même sans commune mesure. Donc a priori il ne devrait pas y avoir de pression particulière sur ce front. Pour l'Afrique la question se pose si la population vas continuer son explosion ou bien va plafonner à cause des guerres, massacres, épidémies, famine, SIDA et autres… Sans sécurité-sûreté, nationale, bien établie, au-préalable, pendant de nombreuses années, il n'y aura pas de développement économique stable. Il y aura certes, dans un futur proche, un développement du trafic, mais sans commune mesure avec ce qui se passe en Asie en ce moment.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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