Après avoir encensé les excédents et la bonne gestion allemande, Bruxelles est-elle (enfin) en train de réaliser l'ampleur des dégâts causés par les déficits du sud de l'Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Après avoir encensé les excédents et la bonne gestion allemande, Bruxelles est-elle (enfin) en train de réaliser l'ampleur des dégâts causés par les déficits du sud de l'Europe ?
©Reuters

Euro-girouette

En dénonçant les conséquences nocives de l'excédent commercial allemand pour l'UE, José Manuel Barroso et Olli Rehn ont pris le contre-pied des arguments pro-austérité qui caractérisaient le catéchisme de Bruxelles.

Atlantico : José Manuel Barroso a créé la surprise cette semaine en déclarant que "l'Allemagne [devait] apporter sa contribution pour corriger les déséquilibres en zone euro", critiquant ainsi directement le modèle mercantiliste en vigueur à Berlin. Cette déclaration, favorable aux économies du pays du Sud de l'Europe, nous autorise-t-elle à penser que le vent est en train de tourner à Bruxelles ?

Nicolas Goetzmann : Il y a actuellement un feu nourri sur le modèle allemand. la semaine dernière, c’est le département du Trésor Américain qui mettait en cause l’Allemagne pour les mêmes raisons, en l’accusant de menacer l’économie mondiale. La logique mercantiliste consiste à regarder fièrement ses excédents commerciaux pour mesurer sa puissance économique. Pour schématiser, l’Allemagne est accusée de tout faire pour exporter sans se préoccuper de ses partenaires européens. Je rajouterais volontiers à cette critique le fait que cette logique consiste surtout à ne pas redistribuer les bénéfices de ces exportations aux salariés allemands. Les faibles salaires allemands sont une stratégie permettant au pays de consommer moins, et donc d’avoir moins besoin d’importer. Ainsi, l’excédent allemand provient aussi bien de sa capacité à exporter que de sa capacité à ne pas importer. C’est un modèle qui consiste à démontrer sa supériorité économique alors que la population n’en profite pas réellement. 5 millions de mini jobs en Allemagne, 8 millions de travailleurs qui travaillent sous le SMIC horaire français... Si c’est ça le modèle européen, autant en finir tout de suite. C’est peut-être ce que vient de comprendre la Commission européenne. Personne ne reproche à l’Allemagne d’exporter, ce qui lui est reproché, c’est de ne pas consommer et donc de ne pas importer, c’est ça le point essentiel à retenir.

Gérard Bossuat : Ce qui m’a frappé a été de voir M. Barroso en appeler aux responsabilités de l’Allemagne dans la résolution de la crise économique et sociale qui agite actuellement l’Europe. En effet, si l’on remonte au temps du couple Mitterrand-Kohl, on note que l’Allemagne manifestait un intérêt tout particulier pour l’instauration de politiques de relance européenne. Faire appel à la solidarité allemande est donc assez étonnant puisque le pays d’Adenauer est en quelque sorte le premier instigateur de cette logique. Il est vrai cependant que l’Allemagne a conduit une politique économique et financière de plus en plus autocentrée ces dernières années, avec la Chancelière Merkel.

On ne peut que s’étonner de l’appel à la solidarité de M. Barroso quand on sait que ce dernier a été le premier champion de l’austérité pendant des années. Il est encore plus étonnant d’ailleurs de le voir utiliser l’argument de la limitation des excédents commerciaux des pays membres de l’UE (à 6% contre 7% pour l’Allemagne, NDLR) pour tenter d’instaurer un rapport de force avec Berlin et forcer l’Allemagne à contribuer plus généreusement à la sortie de crise. Il est difficile d’imaginer selon moi que M. Barroso perdure dans ce revirement politique et économique.

Si elle est suivie d'effets, quelles conséquences cette nouvelle peut-elle avoir pour le reste de l'Europe ? En particulier pour l'Europe des PIGS - Portugal, Italie, Grèce et Espagne ?

Nicolas Goetzmann : La première conséquence que pourrait entraîner ces critiques serait une tolérance à la hausse des salaires en Allemagne. Cette hausse a pour but de donner du pouvoir d’achat aux consommateurs allemands, ce qui enclenche de plus larges importations et profite ainsi aux différents partenaires européens.

Une telle action permettrait un rééquilibrage, elle est donc utile, mais elle aurait à mon sens un caractère plutôt résiduel. D’ici à ce que les salaires allemands s’emballent et génèrent une demande suffisante pour redresser l’Europe dans son ensemble, il y a un pas un peu large à franchir.

Le point essentiel de cette logique mercantile, c’est la volonté de stabiliser les prix qui est inscrite dans le traité de Maastricht, et qui est la politique menée par la BCE. C’est grâce à cela que les salaires sont constamment pressurisés vers le bas. Les PIGS ont ici tout à gagner avec une réforme monétaire, la France également, mais encore l’Allemagne, même si elle semble l’ignorer.

Gérard Bossuat : J’observe tout d’abord que la politique de la BCE est plus cohérente que celle de la Commission puisqu’elle a décidé d’abaisser ses taux directeurs de 0.5 à 0.25%, ce qui constitue à première vue une bonne nouvelle pour les pays du Sud. La complexité des circuits financiers forcera logiquement à attendre un certain temps avant de voir les banques, puis les entreprises, profiter de ces nouveaux taux, mais cela aura effectivement des effets bénéfiques bien que limités sur des économies de plus en plus essoufflées.

D’autre part, il ne faut pas oublier que M. Barroso n’est pas le seul à décider de la situation européenne, puisque le Conseil européen et le Parlement européen ont aussi leur mot à dire dans cette affaire. Au regard des dernières actualités, on voit mal quelles pourraient être les positions de ces institutions sur un éventuel rééquilibrage européen. Il est nécessaire de créer un large consensus entre les différents acteurs de l’Union européenne pour espérer qu’une telle politique de solidarité puisse s’établir. Je reste donc assez méfiant dans l’ensemble sur un éventuel retournement des rapports de force entre Europe du Nord et Europe du Sud.

Les théoriciens du modèle d'exportation allemand sont nombreux en France. Cette remise en cause de M. Barroso doit-elle les inviter à revoir leurs copies ?

Nicolas Goetzmann : Les adorateurs du modèle allemand sont surtout situés au centre de l’échiquier politique Français, et représentent une sorte de libéralisme moral, une éthique protestante. Aimer le modèle allemand, c’est s’extasier devant la publication de son excédent commercial en évitant de se poser la question du niveau de vie de la population. C’est nier le fait que les Etats-Unis n’ont pas connu un seul excédent depuis le milieu des années 1970, et que le revenu par habitant du pays s’y est accru à un rythme supérieur de 40% par rapport à celui de l’Allemagne. Et les Etats-Unis ne sont pas exactement un pays marxiste qui aurait tendance à surpayer ses salariés de façon irresponsable. Il s’agit donc véritablement d’une blague. Je le répète, ce modèle allemand n’est pas seulement la glorification de l’export, c’est aussi la glorification de ne pas importer de ses voisins. Ce qui revient à expliquer à ses partenaires que nous voulons leur vendre notre production mais sans contrepartie.

Gérard Bossuat : Derrière cette question se pose directement celle de la peur des Français à l’égard de l’Allemagne Si l’on trouve effectivement des théoriciens du modèle allemand dans l’Hexagone, c’est justement parce que nous persistons dans notre appréhension du développement industriel outre-Rhin. L’économie française s’en retrouve quelque part « complexée », et je trouve dommage que cela se traduise par une volonté d’imitation alors qu’il serait bien plus salutaire de concevoir notre propre modèle de production en définissant ses priorités (marché intérieur, marché global…) en accord avec nos intérêts. Développer un modèle de PME exportatrices peut paraître intéressant sur le papier mais cela devient compliqué lorsque l’on passe à la réalité. Notre modèle d’organisation économique et sociale et de consommation reste, somme toute, bien différent du modèle d’exportation allemand en termes de structure, fait qui peut s’expliquer notamment par une certaine incompréhension de notre part des mécanismes de la globalisation. Au-delà de ces considérations, il est important de réfléchir à un modèle européen plutôt que de se demander si la France peut devenir une seconde Allemagne. Quand la Commission encouragera-t-elle les partenaires économiques à penser européen, à créer européen plus que s’arcbouter sur des positions nationales ?

Derrière cette question se pose celle d'un modèle d'équilibre européen. Vers quelle type de fédéralisme sommes-nous en train de nous diriger actuellement ?

Nicolas Goetzmann : Pour le moment, le modèle européen tant critiqué est un modèle mercantiliste qui a pour objectif de transformer tous les pays en exportateurs nets, ce qui est bien entendu impossible. Avec un peu de recul, il est difficile de trouver une raison objective à un tel massacre économique. Le chômage bat record sur record en Europe non pas parce que c’est inévitable... mais parce que c’est un choix. Plus le chômage est élevé, plus les salaires baissent, et plus l’Europe est compétitive. Voila la logique actuelle.

Evidemment, un tel modèle mercantiliste ne devrait pas beaucoup emballer la population, et il serait de bon ton d’y mettre un terme rapidement. Le traitement est connu, il s’agit de demander à la BCE d’accomplir un objectif de plein emploi. Un objectif de plein emploi qui devrait correspondre un peu plus à ce que les populations européennes s’imaginaient obtenir en votant "oui" aux différents traités.

Un véritable projet fédéraliste ne pourra être qu’un modèle équilibré, c’est à dire ayant pour objectif le niveau de vie de la population et non de faire de l’excédent commercial un but en soi. Encore une fois, il s'agit bêtement de ce que font les Etats-Unis, et de ce qui a permis à leur taux de chômage de baisser à 7.2% contre 12.2% en Europe.

Gérard Bossuat : J’aurais tendance à dire que, concrètement, on ne voit apparaître aucun modèle fédéral. Le modèle fédéral du 9 mai 1950 de Haute Autorité n’a pas été reproduit. Celui de la BCE, mystérieux, secret, est très restreint. Je crains encore une fois que nous soyons dans l’incantation. Si l’on tente de dessiner en théorie ce fameux modèle européen, on peut remonter à des théoriciens comme Simon Nora, grand commis de l’Etat, proche de Mendès-France et de Delors. Issu de ce que l’on appelait alors les « modernisateurs », il pensait que le rêve de l’Europe unie était de créer « un grand marché concurrentiel », ce qui était selon lui le seul projet capable de rassembler une génération « qui avait connu les fruits amers du nationalisme malthusien et querelleur ». On note cependant que ce fameux « rêve », réalisé en 1993 par Jacques Delors n’a pas conduit à l’unité politique. L’expérience montre que le modèle européen ne saurait se résumer à la seule instauration d’une zone concurrentielle. L’originalité de l’Europe unie, son identité ne se résument pas à la libre concurrence. L’Europe unie peut exister si elle le veut, ou plutôt si la Commission européenne, le Conseil européen, le Parlement européen et les citoyens le veulent. Evoquer l’idée d’un modèle fédéral est souhaitable au regard des difficultés actuelles, mais il reste encore à en définir les objectifs.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !