Après 25 ans de conflit théologico-politique, pourquoi nous devons enfin faire de la sécurité du territoire notre première obligation<!-- --> | Atlantico.fr
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Le budget de la Défense a été diminué par le gouvernement.
Le budget de la Défense a été diminué par le gouvernement.
©Reuters

La guerre qu’on ne voulait plus voir

Le fait que 130 personnes aient pu être ainsi assassinées au cœur de notre capitale révèle que l’Etat français n’est plus en mesure d’assurer la sécurité de sa population, à l’intérieur du territoire national, ce qui est pourtant la première de ses obligations. C’est inacceptable.

Dominique Reynié

Dominique Reynié

Dominique Reynié est professeur des Universités en science politique à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol).

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Populismes : la pente fatale (Plon, 2011).

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Il n’y aura pas un « esprit du 13 novembre » comme il y avait eu un « esprit du 11 janvier ». Après 130 morts, on ne peut en appeler à l’indulgence ou à la patience publique vis-à-vis de nos gouvernants. On le peut d’autant moins que l’on assiste à la répétition amplifiée d’un même drame. Il s’agit maintenant d’obtenir une explication. A la suite de la terrible nouvelle, la droite, on peut l’admettre, n’a pas été parfaitement à la hauteur de son rôle d’opposant républicain, comme en témoigne la séance parlementaire du 17 novembre. Mais la gauche ne lui a aucunement été supérieure. Chacun a pu voir qu’elle ne résistait pas à la tentation de tirer des bénéfices électoraux de notre tragédie.

En plein deuil national, le lundi 16 novembre, Claude Bartolone, profitant d’un double rôle inadmissible, président de l’Assemblée nationale et candidat aux élections régionales en Ile-de-France, assurait la présidence du Congrès réuni à Versailles ; le lendemain, mardi 17 novembre, le « 20h » de TF1 recevait Jean-Yves Le Drian, profitant d’un double rôle inadmissible, ministre de la Défense et candidat aux élections régionales en Bretagne ; ce même jour, au cœur d’un deuil national faisant obligation stricte à tous les candidats de suspendre leur campagne, le « 20h » de France 2, chaîne de service public, invitait pourtant Marine Le Pen, présidente du FN et candidate à la présidence de la Région Picardie/Nord-Pas-de-Calais…

Depuis de nombreuses années, nous savions qu’un tel drame nous menaçait. Après l’effondrement du communisme nos démocraties n’ont pas connu le répit historique qu’elles espéraient. Aussitôt, elles se sont trouvées confrontées à un nouveau danger mortel sous la forme d’un islamisme radical manipulé par des forces politiques et religieuses, étatiques et non étatiques, engagées dans une guerre civile globalisée[1]. On peut en situer le commencement avec Salman Rushdie, dont Les Versets sataniques lui valent une fatwa de l’ayatollah Khomeyni, le 14 février 1989, appelant tout musulman à assassiner l’écrivain. Les traducteurs italien, japonais et Turc payèrent de leur vie. L’éditeur norvégien en réchappa de peu. Le livre fut brûlé publiquement, dans le monde musulman mais aussi dans les rues de Bradford.

Simultanément, dans la décomposition des mécanismes régulateurs de la Guerre froide, l’époque voit se déchaîner une vague d’attentats particulièrement meurtriers, perpétrés au nom de l’islam. Les pays démocratiques, par nature ouverts, faiblement répressifs et dont les opinions publiques sont plus sensibles, subissent des attaques dramatiques et traumatisantes : le 11 septembre 2001 à New York (3000 morts et 6300 blessés), le 11 mars 2004 à Madrid (200 morts et 4000 blessés) et le 7 juillet 2005 à Londres (56 morts et 700 blessés).

Depuis l’affaire Rushdie, le conflit théologico-politique s’est imposé au cœur des sociétés démocratiques. Aux Pays-Bas, Ayaan Hirsi Ali est menacée de mort après la publication de son livre, Insoumise (2002), dénonçant la condition des femmes chez les musulmans. En 2004, l’adaptation cinématographique vaut au réalisateur Theo Van Gogh, son compatriote, d’être assassiné par Mohammed Bouyeri (2 novembre 2004). L’affaire des caricatures danoises intervient ensuite, agitant violemment l’Europe et le monde, entre 2005 et 2010. C’est d’ailleurs à cette occasion, en soutenant avec une détermination particulière la liberté d’opinion, que Charlie Hebdo commence à devenir la cible des terroristes. Charb est alors menacé de mort. De même, c’est en réagissant à cette crise qu’un professeur de philosophie, Robert Redeker, publiera dans Le Figaro un article « Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ? » (19 septembre 2006), dénonçant la mise en cause des libertés par l’islam radical. Aussitôt menacé de mort, Robert Redeker vit, depuis, sous protection policière.

Année après année, le délitement de notre sécurité intérieure est devenu de plus en plus évident. François Hollande ne saurait en être tenu pour l’unique responsable. Il est cependant supposé être particulièrement averti, car il est président, et même le plus averti des présidents français puisque son quinquennat a commencé immédiatement après un drame national à l’évidence annonciateur. En effet, c’est en mars 2012, en pleine campagne présidentielle, que Mohamed Merah assassine Imad Ibn Ziaten, Mohamed Legouad et Abel Chennouf, puis Jonathan Sandler, les enfants Gabriel Sandler, Arieh Sandler et Myriam Monsonego ; puis ce furent les 4 personnes abattues le 24 mai 2014 au Musée juif de Bruxelles par Mehdi Nemmouche. De même, l’implantation de Daesh en Syrie commence en 2012. L’« Etat islamique » est proclamé en avril 2013.

On le voit, le mandat de François Hollande est saturé d’attentats toujours plus meurtriers ou de tentatives chaque fois plus inquiétantes. L’année 2015 est à ce titre édifiante autant qu’accablante. Les attentats de Paris les 7, 8 et 9 janvier auraient dû évidemment donner lieu à une révolution doctrinale et méthodologique en matière de sécurité, d’autant plus que les attentats de Copenhague, au même moment, les 14 et 15 février 2015,  confirmaient l’extrême dangerosité de la situation. C’est en janvier qu’il fallait prendre les mesures qui ont été prises fin novembre ! En lieu et place, après « Charlie », nous avons eu un traitement politicien des assassinats des 7-9 janvier, par un exécutif plus attaché à la gestion de l’opinion publique qu’à la sécurité nationale. Seules quelques annonces ont suivi, très superficielles. Le président de la République et son Premier ministre n’ont pas pris la mesure de la gravité de notre situation. La suite le prouve.

Dans la foulée des tueries de janvier, de nouvelles tentatives de massacres sont aussitôt fomentées. Si les unes sont déjouées par nos forces de police et nos services de renseignements, les autres ne doivent leur évitement qu’au hasard. Ainsi, le 26 juin 2015, à Saint-Quentin-Fallavier, Yassin Salhi fait exploser des bonbonnes de gaz dans une usine classée « Seveso ». C’est un ratage mais le malheureux chef d’entreprise Hervé Cornara sera assassiné et décapité. D’autres drames sont évités par l’héroïsme de simples passants, tels que Aurélie Chatelain - dont la mémoire n’est toujours pas honorée d’une Légion d’Honneur à titre posthume -, ou Mark Moogalian, Alek Skarlatos et Spencer Stone qui ont bloqué l’attaque lancée par Ayoub El Khazzani dans le Thalys, le 21 août 2015.

Lorsque l’on considère cette série meurtrière et l’on songe au 800 ou 1000 Français engagés au service de Daesh, à la facilité déconcertante avec laquelle ces individus fanatisés et armés jusqu’aux dents vont et viennent, prennent le métro, entrent et sortent du pays, de l’Union européenne, de Turquie ou de Syrie et semblent capables d’agir comme bon leur semble, il est difficile de comprendre pourquoi le président Hollande et son Gouvernement n’ont pas fait de notre sécurité l’un des principaux sujets de l’action publique, avec la lutte contre le chômage et l’équilibre des comptes.

A cet égard, l’idée d’organiser en décembre à Paris une conférence internationale pour débattre du réchauffement laisse perplexe. Sans contester la réalité de ce défi ni la nécessité d’y répondre, les menaces de mort qui pèsent sur notre pays à chaque instant devraient être l’objet d’un traitement urgent. Une conférence internationale plus conforme aux exigences des redoutables circonstances présentes aurait dû être organisée pour déterminer les conditions permettant d’écraser Daesh. Parallèlement, cette conférence aurait pu se pencher sur le rôle du web dans la déstabilisation terroriste des démocraties occidentales. Tous les gouvernants occidentaux se heurtent désormais à cet outil qui offre aux terroristes un statut d’extraterritorialité et une impunité de fait ne permettant plus aux Etats de droit d’assurer, comme par le passé, leur propre sécurité.

La tragédie du 13 novembre était également prévisible. Il était possible de l’empêcher ou d’en réduire l’ampleur. Le fait que 130 personnes aient pu être ainsi assassinées au cœur de notre capitale révèle que l’Etat n’est plus en mesure d’assurer la sécurité de sa population, à l’intérieur du territoire national, ce qui est pourtant la première de ses obligations. C’est inacceptable.

Il nous revient de répondre sans délai et sans faux-semblant. La véritable union nationale implique de mobiliser chacun d’entre nous pour relever le défi de la sécurité sur notre territoire. Il faut revoir rapidement le rôle que chaque institution peut jouer en la matière et la contribution qu’elle peut apporter à la préservation de l’ordre républicain. Profitons des élections régionales pour appeler les futurs Conseils régionaux à prendre leur part en matière de sécurité. C’est une proposition que je porte depuis le 1er septembre. Aujourd’hui, en tant que candidat à la présidence de la région Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées, je demande au Gouvernement et à la majorité de s’entendre avec l’opposition afin d’inscrire à l’ordre du jour des prochains mois une réforme législative suivie d’une révision des Contrats de plan Etat-Région (CPER) permettant de confier aux Conseils régionaux issus des élections des 6 et 13 décembre des compétences en matière de sécurité. Les Régions exerceront ces compétences en étroite coopération avec les services de l’Etat pour le bien de tous.


[1] Cf. C’est l’un des deux thèmes de mon livre Les Nouveaux Populismes, Paris, Plon/Fayard, 2013.

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