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Angela Merkel, présidente de l’Union européenne en juillet, aura tous les moyens de sauver la zone euro. En aura-t-elle envie ?
©John MACDOUGALL / AFP

Atlantico Business

Le calendrier de la présidence européenne va offrir à Angela Merkel l’opportunité de renforcer l’Union européenne, mise à mal par la crise pandémique. Elle en a les moyens financiers et politiques. La question est de savoir si elle en aura l’ambition et l’envie.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Une Europe nouvelle. Tout se passe aujourd’hui comme si les pays européens se préparaient à une sorte de psychodrame au terme duquel l’Union européenne serait en mesure de restaurer des nouvelles solidarités.

Après une présidence croate qui s’est retrouvée complètement tétanisée par la gravité de la crise sanitaire et le risque d’effondrement économique, c’est l’Allemagne qui, au 1er juillet, va s’installer aux commandes du Conseil de l’Union européenne. Pour beaucoup qui luttent contre l’asphyxie, cette perspective est sans doute la pire des choses. Pour d’autres au contraire, l’arrivée d’Angela Merkel offre une opportunité de changer la donne et de bouleverser le fonctionnement de l’Union européenne.

Angela Merkel va tenir en main le destin de l’Europe.Elle va occuper la présidence à un moment où l’Union n’a jamais été aussi fragile et vulnérable. Mais elle a tous les moyens économiques et financiers de contribuer au redressement. Elle en a aussi les moyens politiques. Elle a sans doute l’ambition de terminer son mandat sur un arrimage solide des pays européens, pour lequel elle s’est toujours battue depuis la chute du mur de Berlin. Pour comprendre la construction de ce psychodrame, il faut comme dans les grands opéras allemands, lire le livret et enchainer 5 actes.

1er acte : La situation politique d‘Angela Merkel n‘a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui. Alors qu’on la disait finie, et que beaucoup dans son propre camp pensaient qu‘elle n’irait pas jusqu’au bout de son mandat de Chancelière qui doit s’achever l’année prochaine, la gestion de la crise sanitaire l’a remise en selle aux yeux de l’opinion publique allemande. Son opposition de gauche n’a pas proposé d’alternative, pas plus que les Verts, les voix du populisme partant les rangs de l’extrême gauche et droite se sont faites discrètes. La Chancelière n‘a jamais été aussi populaire, ce qui lui a permis d’organiser les réponses les plus efficaces aux affres de la pandémie et à toutes les conséquences économiques et sociales. Le dialogue social a su éviter les polémiques stériles et les querelles d’ego ou de pouvoir. Angela Merkel est aujourd’hui soutenue par une grande majorité du peuple allemand. L’union nationale dont rêvent certains chefs d’Etat existe en Allemagne.

2e acte : l’appareil économique allemand a souffert mais beaucoup moins que celui des autres membres de l’Union européenne. L’exportation, principal moteur de la prospérité allemande, s’est retrouvée pour partie dans le coma artificiel, mais les soutiens publics ont été tels que l’industrie allemande a évité l’effondrement. Perfusions industrielles et prestations sociales très ciblées ont permis aux actifs de tourner au ralenti et de rester en parfait état de marche.

Alors que l’activité française s’est retrouvée plombée par les services et notamment par l’effondrement du tourisme ou des loisirs et a perdu plus de 30% de son activité (en termes de PIB), l’activité allemande a limité les dégâts à moins de 10% en mars et avril.  En termes de croissance, on a perdu en France 6% en avril et on perdra 10 % sur l‘année. 10 points de croissance en moins, c’est du jamais vu.

Les Allemands, eux, vont maintenir leur PIB hors de l’eau. Et préserver leur équilibre budgétaire compte tenu de leurs réserves. En termes de moyens financiers, on va donc se retrouver avec un déficit budgétaire accru de 180 milliards d’euros au mieux. Une situation financière qui n’est pas loin de rejoindre la situation italienne ou espagnole.

Le gouvernement français a tout fait pour éviter que la mise en coma artificiel de l‘économie tourne à l’asphyxie complète. D’où les perfusions aux entreprises et les aides au chômage partiel. 

Jusqu'à maintenant, les pays de l‘Europe du sud (France, Italie et Espagne) ont trouvé à emprunter à bas taux sur les marchés mondiaux mais si les financements ont été aussi faciles, c’est grâce à notre appartenance à la zone euro. Cette zone euro offre une garantie aux créanciers. Sauf que le cœur de cette garantie est apporté par l‘Allemagne.

3e acte : un débat européen de plus en plus tendu. La cohabitation au sein même de l’Union européenne, et notamment de la zone euro entre une Europe du nord avec notamment l’Allemagne bon élève de la classe et une Europe du sud considérée comme plus laxiste, n‘a jamais été facile. Culturellement et historiquement, les Allemands ont toujours été très attachés au respect du dogme de l‘équilibre budgétaire. Ils considèrent que le laxisme financier qui a suivi la crise de 1929 a accouché de l’horreur absolue avec le Nazisme. Ils n’ont pas tort. Cela dit, ils ont appliqué les règles pour eux-mêmes et ont imposé des critères de gestion à leurs partenaires pour s’assurer de ne pas avoir à payer leurs factures, d’où les fameux critères de Maastricht.

Après la crise des subprimes en 2008, il a fallu toute l‘habileté de Mario Draghi pour permettre à la banque centrale de pratiquer une politique monétaire non conventionnelle, de façon à donner aux pays en difficultés des moyens de financement que leur budget ne pouvait plus leur offrir. La BCE a donc sorti l’Union européenne du risque de faillite.

Au mois de mars, devant l’ampleur de la crise provoquée par la pandémie, la banque centrale dirigée par Christine Lagarde a rouvert le robinet à liquidités avec le logiciel que lui avait laissé Mario Draghi. La Commission, de son coté, a réactivé le MES, le mécanisme européen de stabilité et le FES, le fonds européen. Ajoutons à cela que les pays membres ont tous accepté de suspendre l’application des critères de Maastricht. Au total, tous ces outils ont représenté une masse de manoeuvre de 3000 milliards d’euros. Ce qui est considérable.

4e acte :l’Allemagne se retrouve devant un dilemme que seule Me Merkel pourra lever.

Les mécanismes européens ont beaucoup aidé au financement des périodes de confinement, mais ils ne suffiront pas à couvrir les besoins d’une relance des investissements pour assurer la sortie du coma artificiel. La phase de déconfinement va être plus délicate à gérer que la phase de confinement et sans doute plus couteuse. Nous sommes arrivés au moment où on commence à entendre en Allemagne des voix qui s’élèvent pour dénoncer les risques financiers que l’Union européenne ferait couvrir à l’Europe du Nord.

L’avertissement assez violent lancé par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe à la BCE, lui rappelant que la politique non conventionnelle qu’elle pratique est sans doute hors la loi et dangereuse pour l’équilibre global. Pour beaucoup d’observateurs, cet avertissement signifie que, pour l’Allemagne, l’Union européenne ne s’en sortira pas. Sous entendu, les Allemands ne maintiendront pas la crédibilité de l’euro. Donc il faudra sortir de la monnaie unique. C’est la petite musique qui, relayée par les souverainistes de toute nationalité, annoncerait la fin de l’Union européenne qui sera ainsi alors la dernière victime du Covid-19.

5e acte : Angela Merkel est donc la seule à pouvoir sauver cette construction mise à mal par l’épidémie. C’est une hypothèse qui n’est guère politiquement correcte mais si on regarde à la loupe ce qui se passe, on constate que la classe politique (les courants et les députés au Bundestag) sont restés étonnamment calmes. L’avertissement de la Cour constitutionnelle a été évalué à sa juste mesure. L'arrêt ne condamne pas la BCE, n’annule pas la politique d’intervention monétaire mais demande simplement des explications. Quant aux milieux d’affaires allemands, ils ne condamnent pas la politique d’aide en Europe au contraire. Cette semaine, les deux présidents du Medef et du patronat allemand ont co-signé une lettre ouverte pour réclamer une politique plus coopérative, plus solidaire et plus d’aides par les gouvernements.

Angela Merkel paraît en phase avec le grand patronat allemand, lesquels sont soutenus par les principaux syndicats sur une ligne politique très simple. Il s’agit de reconnaître que l’Allemagne a besoin de l‘euro et elle a besoin des marchés européens. Si l‘Allemagne reconnaît qu‘elle a besoin de l’euro et de la zone euro, elle doit faire en sorte que la zone euro ne s’effondre pas. Et même qu’aucun de ses maillons faibles comme l’Italie ne lâche.

Angela Merkel est soutenue et protégée par son ministre de l’économie et des finances. Ils n’iront pas jusqu'à accepter des eurobonds, même si on les baptisait coronabonds, ce serait de la provocation à l’égard de tous ceux qui en Allemagne pensent que ça reviendrait à signer des chèques en blanc à des gens qui ne savent pas compter. Mais le reste, le maintien des mécanismes de soutien, le respect de l’indépendance de la BCE, avec la création de ressources propres qui manquent cruellement à la Commission, tout cela permet de gérer l'Union européenne et de renforcer les solidarités internes.

Mme Merkel a les moyens et l’opportunité de donner un nouveau souffle à l’Union européenne. Pendant les six mois de sa présidence, elle peut même s’offrir le luxe d’ouvrir un chantier de réforme des structures politiques. Elle sait faire. Elle a envie de terminer son mandat de cette façon. L‘année dernière, tout le monde la donnait perdante et elle se préparait à un départ un peu honteux, débordée par des oppositions incohérentes. La crise du coronavirus et la façon dont elle la gère lui donnent l’occasion de repositionner l‘Europe dans la mondialisation.

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